Claude Lelouch l'amour c'est mieux que la vie
Claude Lelouch : "Quand on est amoureux, on retombe en enfance. On bascule dans la générosité". (Photo) Lou Benoist / AFP

Interview/Cinéma. Dans son cinquantième film, construit comme un match de boxe, Claude Lelouch, l’un des plus grands cinéastes français célèbre la vie, l’amour, l’amitié. On croise le diable, Jésus, le jazz et un casting exceptionnel : Sandrine Bonnaire, Gérard Darmon, Ary Abittan, Philippe Lellouche, Kev Adams, Elsa Zylbesrtein, Béatrice Dalle, Clémentine Célarié, Robert Hossein… « L’amour c’est mieux que la vie » (sortie, le 19 janvier), au scénario percutant, touche le public au plus profond et fait du bien dans cette période tourmentée. Entretien.


Claude Lelouch : « L’amour est la plus belle invention de la vie »


claude lelouch Claude Lelouch le 10 Mai 2019. • Photo : JOEL SAGET - AFP
Claude Lelouch : « Je ne fais rien d’autre qu’être un reporter de ce monde contradictoire »

Le public était debout après la projection en avant-première de « L’Amour c’est mieux que la vie », votre nouveau film. Et dans la salle on pouvait voir quatre générations de spectateurs. Vous attendiez-vous à une telle longévité ?

Claude Lelouch : Non. Ça me touche énormément ! J’ai eu la chance de faire cinquante films sans trop me poser de questions. J’ai toujours fait confiance à mon intime conviction. Elle est plus précise que mon intelligence. Elle ressent des choses qui relèvent de l’inconscient, de l’irrationnel. Je suis heureux car durant la tournée d’avant-premières, j’ai constaté que ce film touche les gens au plus profond d’eux-mêmes. Ils y trouvent quelques réponses aux questions qu’ils se posent en ce moment. J’espère qu’il leur donne envie de vivre même si, derrière la vie, il y a la mort. Je ne fais rien d’autre qu’être un reporter de ce monde contradictoire. J’en filme le spectacle extraordinaire à travers des hommes et des femmes qui sont ni des héros, ni des salauds, mais qui ont les qualités de leurs défauts.

Vous avez souvent créé des couples incroyables. C’est le cas cette fois encore avec Gérard Darmon et Sandrine Bonnaire.

Ils se rencontrent à mi-chemin, au milieu de leur vie. Et nous montrent que la deuxième mi-temps peut être encore plus passionnante que la première parce qu’on tient compte dans la seconde de tout ce qu’on a appris dans la première. Je pense que ce couple va laisser de très belles traces. Il donne la pêche. Il nous montre qu’on peut aimer à tous les âges. L’amour n’a pas d’âge. Il console de tout. Quand on est amoureux, on retombe en enfance. On bascule dans la générosité. L’amour est la plus belle invention de la vie. L’amour, c’est mieux que la vie. C’est mon intime conviction. J’essaie d’être positif dans un monde où le négatif est trop fort.



Depuis « La belle histoire », vous montrez beaucoup d’intérêt pour les préoccupations religieuses. Dans celui-ci, dieu et le diable forment un sacré couple.

Nous sommes tous le dieu et le diable de quelqu’un. On a tous la possibilité de faire le bien et le mal. J’ai matérialisé Jésus et le diable qui travaillent ensemble. Ils forment un duo d’enfer. Et se chamaillent en permanence. Le diable explique constamment à Jésus qu’il faut forcément passer par le mal pour trouver le bien. Les gens n’apprennent que dans la difficulté et la sueur.

Est-ce votre cas ?

Tout ce que j’ai réussi dans la vie, je l’ai d’abord raté. L’échec a été pour moi la plus belle école. La souffrance est la plus grande université du monde. J’ai essayé de filmer cette dualité, l’invisible. Des comédiens incarnent le bien et le mal. Ils sont copains car ils ont appris qu’ils avaient besoin l’un de l’autre, qu’ils étaient complémentaires.

Ce film dit-il aussi quelque chose de notre pays aujourd’hui ?

Absolument. J’ai fait plusieurs fois le tour du monde. Et je m’émerveille de plus en plus de la chance que nous avons d’être en France et français. Les français veulent tous commander mais personne ne veut obéir. Ce qui créer des cataclysmes permanents dans les esprits.

Vous faites dire à dieu : « profite de la chance d’être une femme ! »

Oui, parce que je crois beaucoup au recyclage des hommes. Je préfère d’ailleurs au mot réincarnation celui de recyclage. Je pense que les premières vies sont des vies d’hommes. Nous sommes des enfants. C’est pour ça que les femmes nous aiment. Nous sommes menteurs, tricheurs, voleurs. Ensuite, il y a une vie d’homosexuelle, intermédiaire, importante. Et l’étape suprême : celle de la femme. La femme est un homme réussi. C’est ce que j’essaie de faire passer dans le film. Toutes les femmes que j’ai rencontrées, même celles qui étaient plus jeunes que moi, étaient beaucoup plus vielles. Elles m’ont fait grandir, m’ont construit.



Beaucoup de scènes proposent plusieurs plans à la fois. Est-ce un choix ?

Oui car il y a sept milliards de personnes qui s’agitent sur cette terre dans tous les sens. Mais nous avons le rôle principal de notre vie et les sept autres milliards font de la figuration pour nous. J’ai voulu montrer que la vie s’invite dans celle de mes personnages. Seul, le présent nous appartient. Le futur et le passé appartiennent à la vie. C’est la pourquoi la nostalgie et le futur font aujourd’hui très peur. Je veux dire aux gens : profitez du présent ! Quelques jours avant que Jacques Brel nous quitte, il m’a dit : je suis rentré dans les dernières fois. Tout ce que je fais, je le fais peut-être pour la dernière fois, boire une bière, parler à un ami. Et, enfin, j’apprécie la vie. Il aura fallu que je sache que c’est la fin pour que je mesure à quel point la vie est formidable. Je n’ai jamais été si heureux. Je suis parti de cette déclaration d’amour à la vie pour construire ce film. Il est une ode à la vie.

Gérard Darmon dit à son fils joué par Kev Adams qu’il a trop fumé pour lui faire comprendre qu’il est condamné. Cette scène a-t-elle été improvisée ?

Oui, et c’est très bien ainsi. J’ai perdu mes meilleurs amis à cause du tabac. Jacques Brel, Ticky Holgado, Johnny Hallyday, Jean-Paul Belmondo, et bien d’autres encore. Il y a deux grands fléaux en vente libre sur cette terre : l’alcool et le tabac. Et, en même temps, ils nous permettent d’accepter le pire car la vie est très dure. Je ne critique pas les gens qui fument et qui boivent. La vie est un film d’Hitchcock. La cigarette et l’alcool sont nos pires ennemis. Mais quand ça va mal, on est contents de les avoir car ils rendent supportable l’insupportable. Cette contradiction est passionnante. Ceux qui ont fumé et bu ont été un peu plus heureux, ont eu moins d’angoisse. En revanche, sauf exceptions, ils n’ont droit, ni aux prolongations, ni aux tirs aux buts.

Ce n’est pas votre cas ?

Non, car je suis tombé amoureux de la vie très vite. Je n’ai jamais été très attiré par ces produits qui nous en éloignent. Aujourd’hui, j’ai droit à des prolongations. Et j’ai bien l’intention de les utiliser pour parler de mon intime conviction.

claude lelouch
Claude Lelouch : « Je suis convaincu que Dieu existe et que la musique est son langage. Elle est mon médicament principal »

Quelle est votre drogue ? La musique ?

Je suis convaincu que Dieu existe et que la musique est son langage. Elle est mon médicament principal quand je ne vais pas bien, quand je traverse une crise. C’est ce qui parle le mieux à notre inconscient, à notre part d’irrationnelle. La musique nous dit que nous sommes immortels. C’est pour cette raison que je l’invite dans mes films comme un acteur principal. Je l’enregistre avant le film car j’ai besoin de la faire écouter à mes acteurs.

Le personnage, joué par Sandrine Bonnaire, semble vouloir se lancer dans une carrière de chanteuse de music-hall.  Non ?

C’est ce qui va se passer dans le deuxième et le troisième épisode. Dans celui-ci, elle s’occupe d’escort-girls. Mais ça vie va basculer.

A ce sujet, vous avez déclaré : « les prostituées devraient être remboursées par la sécurité sociale »…

Oui bien que je n’aime pourtant pas ce mot : « Prostituée ». Mais si elles n’étaient pas là, ça serait un carnage sexuel. Elles permettent à ceux qui ne sont pas la chance d’être séduisants, d’aller au bout de certains fantasmes. Ce n’est pas pour rien qu’il s’agit du plus vieux métier du monde. On devrait protéger leur métier pour qu’elles puissent le faire dans de bonnes conditions et que ça puisse rendre de grands services à la société.



Vous offrez un dernier joli rôle à Robert Hossein.

Il avait déjà eu un rôle important dans « Les Uns et les Autres ». Et dans ce film, j’ai voulu reconstituer ma famille. Sandrine Bonnaire est la fille de Lino Ventura. Gérard Darmon est le fils de Robert Hossein. Robert a été magique. Le lendemain du tournage, il m’a appelé, très ému. Il m’a dit : « Tu m’as offert ma plus belle journée de cinéma » Et Dieu sait qu’il en avait derrière lieu.

La première scène du film risque bien de devenir culte. On y retrouve Clémentine Célarié et Olivier Rabourdin en policier. Béatrice Dalle, en diable. Xavier Inbona et Elsa Zylberstein en Jésus.

C’était la scène la plus dangereuse car elle pouvait foutre en l’air le film ou le rendre intéressant et passionnant. Ces personnages donnent les règles du film. Il faut une vie entière pour croire dans l’incroyable. J’ai été confronté à tellement de miracles dans ma vie que je serais bien ingrat de ne pas croire en Dieu.

La pandémie a beaucoup affecté l’économie du cinéma. Pensez-vous que le cinéma est en danger ?

Je ne suis pas inquiet pour l’avenir du cinéma à long terme. Il n’y a rien de mieux qu’une grande salle pour aller rêver. On ne le peut pas chez soi en regardant un petit écran. Ce ne sont que des séances de rattrapage. Le cinéma va finir par gagner. On n’a pas trouvé un plus bel endroit dans le monde pour rêver. Le cinéma est en crise depuis sa naissance en 1895. Et, il a toujours fait face.

Ce film est le cinquantième, mais pas le dernier.

Non, il m’en reste au moins deux à faire pour aller au bout de cette trilogie, dans laquelle j’aimerais partager avec le plus grand nombre, c’est-à-dire le public, mes observations et mes intimes convictions. J’ai été un observateur lucide et bienveillant pendant 60 ans. J’ai étudié le monde au microscope. J’ai envie de transmettre toutes ses émotions.

Entretien réalisé par Christian Panvert

A voir : « L’Amour c’est mieux que la vie » (Les Films 13) de Claude Lelouch. En salles le 19 janvier 2021


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Claude Lelouch : « L’amour c’est mieux que la vie » (sortie le 19 janvier 2021)

LE SYNOPSIS

L’histoire : Les trois A : L’AMOUR, L’AMITIÉ et L’ARGENT sont les trois principales préoccupations de l’humanité.

Pour en parler le plus simplement possible, Gérard, Ary et Philippe ont fait connaissance il y a 20 ans, à leur sortie de prison, et se sont tout de suite posé la vraie question : « Et si l’honnêteté était la meilleure des combines ? » Aujourd’hui, ils sont inséparables et scrupuleusement vertueux… Mais Gérard apprend qu’il souffre d’un mal incurable. Le sachant condamné, Ary et Philippe veulent lui offrir sa dernière histoire d’amour… car Gérard a toujours répété que l’amour c’était mieux que la vie.


 

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