Sortie cinéma/« Emilia Perez ». Il n’a pas obtenu la Palme d’or du dernier Festival de Cannes, décerné au film américain « Anora », mais le dernier film du réalisateur français Jacques Audiard, « EMILIA PEREZ » (ce mercredi 21 août sur les écrans), en a été l’un des grands vainqueurs, avec pas moins de deux récompenses : Prix du Jury et Prix d’interprétation féminine.
Il aurait tout aussi bien pu remporter le Prix du scénario. Pour son 10e film depuis REGARDE LES HOMMES TOMBER en 1993, Jacques Audiard mélange les genres dans une histoire où un narcotrafiquant mexicain décide de devenir une femme et change de vie. Il a, dit-il, imaginé « un scénario qui, à l’instar d’Emilia, traverserait les genres: noir, mélodrame, comédie de mœurs, comédie musicale, télénovela… »
L’histoire s’intéresse d’abord à Rita (Zoe Saldana), avocate mexicaine surqualifiée et surexploitée, qui use ses talents au service d’un cabinet qui défend davantage les criminels que la justice. Un jour, la jeune et brillante avocate est enlevée par le puissant chef d’un cartel de narcotrafiquants, Manitas Del Monte.
Changer de sexe
L’homme veut changer de sexe: devenir une femme et entamer une nouvelle vie. Il propose à Rita une énorme somme d’argent pour une double mission: trouver un chirurgien qui réalisera l’opération sans le trahir; s’occuper de sa femme Jessica (Selena Gomez) et de leurs deux jeunes enfants en les mettant à l’abri en Suisse.
Rita accepte, et s’occupe de tout. Après s’être fait passer pour mort, Manitas Del Monte devient Emilia Perez (Karla Sofia Gascon). Qui, quatre ans plus tard, reprend contact avec Rita. Pour lui demander un nouveau service…
Une histoire de rachat
Ancien criminel brutal, Manitas est devenu dans la peau d’Emilia une femme qui crée une ONG, s’occupe des familles de disparus, aide ceux qui sont dans le besoin. Le message du film est-il que le mal est masculin et le bien féminin? « C’est, au fond, une histoire de rachat », résume Jacques Audiard.
« Est-ce que le fait de changer de genre peut faire percevoir différemment la violence des hommes? Fondamentalement, je ne pense pas. Que le personnage d’Emilia se joue ce scénario avec conviction, soit, mais la violence la rattrape quand même. C’est le chemin qui la conduit à sortir de ce cercle de violence qui est en lui-même vertueux ».
Comédie musicale
Pour raconter cette histoire qui a souvent des allures de thriller mais donne aussi la part belle aux séquences de mélodrame et aux scènes intimistes, le réalisateur a inséré de nombreux moments chantés et dansés. Cet aspect comédie musicale du film, pas toujours indispensable mais parfois bienvenu, fait alterner les messages légers et graves, comme à la fin où Emilia chante, sur un karaoké: « Je veux m’aimer moi-même, aimer ma vie, aimer qui je suis ».
Avec ce scénario touffu, très original donc pas tout à fait vraisemblable, Jacques Audiard montre à nouveau son éclectisme –et son talent–, dans un film qui ne ressemble à aucun de ses précédents, comme souvent. Après sa Palme d’or cannoise en 2015 pour DHEEPAN, drame social sur un réfugié tamoul, il avait réalisé un western en anglais (LES FRÈRES SISTERS en 2018) puis une chronique sentimentale à Paris en noir et blanc (LES OLYMPIADES en 2021).
Quatre actrices
Pour EMILIA PEREZ, il a fait fort dans les rôles féminins. L’actrice transgenre espagnole Karla Sofia Gascon est impressionnante dans le rôle-titre, avant et après sa transformation. Mais Zoe Saldana, à la carrière déjà bien remplie (AVATAR en 2009 et sa suite LA VOIE DE L’EAU en 2022, les trois GARDIENS DE LA GALAXIE en 2014, 2017 et 2023), est elle aussi omniprésente.
Toutes les deux ont partagé le Prix d’interprétation de Cannes avec deux autres actrices: Adriana Paz, qui a un rôle émouvant vers la fin de l’histoire, et Selena Gomez, étonnante dans le rôle de la « veuve » du narcotrafiquant et qu’on voit également beaucoup dans la seconde partie de ce film singulier, à la fois passionnant et émouvant.
Jean-Michel Comte
LA PHRASE : « La vie sans amour est une chute sans fin » (Emilia Perez).
- A voir :« Emilia Perez » (France/Mexique, 2h12). Réalisation : Jacques Audiard. Avec Zoe Saldana, Karla Sofia Gascon, Selena Gomez (Sortie 21 août 2024)
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