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Jean-Marie Gustave Le Clézio. Photo (AFP)

Roman. Prix Nobel de littérature 2008, J.-M.G. Le Clézio poursuit sa quête auto-biographique. En deux contes – « Chanson bretonne » suivi de « L’enfant et la guerre » – , il raconte les premières années de sa vie. Un livre aussi doux que violent, aussi lumineux que sombre…

Chez Le Clézio, on ne parle pas de mondialisation mais plutôt, dans une Bretagne qui sortait alors à peine du 19ème siècle, de « modernité », ce mot, cette tendance tellement en vogue dans les années 1950- 1960… Une Bretagne qui n’était pas « charmante », qui était pauvre et rude: « C’est le pays qui m’a apporté le plus d’émotions et de souvenirs… » confie-t-il  

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J.-M.G. Le Clézio. DR

Facilement (paresseusement?), certains évoquent l’auto-biographie. Précisant que, depuis les premières années 1960, J.-M.G. Le Clézio se raconte encore et encore dans l’essentiel de ses livres- romans et récits, essais. Pourtant, en préambule dès les premières pages de son nouveau texte joliment titré « Chanson bretonne » suivi de « L’enfant et la guerre » et à l’écriture aussi douce que violente, aussi lumineuse que sombre, l’auteur, 80 ans depuis le 13 avril dernier et prix Nobel de littérature 2008, précise : « Je n’en ferai pas le récit chronologique. Les souvenirs sont ennuyeux, et les enfants ne connaissent pas la chronologie. Les jours pour eux s’ajoutent aux jours, non pas pour construire une histoire mais pour s’agrandir, occuper l’espace, se multiplier, se fracturer, résonner ». Le Clézio rappelle aussi qu’il n’est pas né en Bretagne et que, entre 1948 et 1954, il n’y a vécu que l’été- toutefois, il ajoute : « C’est le pays qui m’a apporté le plus d’émotions et de souvenirs… »

Dans ce nouveau livre, non pas en deux temps mais en deux contes, l’auteur du « Procès-verbal » (1963), « Terra Amata » (1967), « Le Rêve mexicain ou la pensée interrompue » (1988), « L’Africain » (2004) ou encore « Ritournelle de la faim » (2008) ouvre avec « Chanson bretonne » cette période de l’enfance et de l’adolescence. Avec son frère et leur mère, « sitôt l’école finie », il passait alors en Bretagne. Vacances à Sainte-Marine, petit port du Finistère à l’embouchure de la rivière de l’Odet.

Le conte est empli d’allers-retours– hier et aujourd’hui, aujourd’hui et hier. Y aurait-il chez Le Clézio une bonne part de nostalgie ? de mélancolie ? Souvenirs du temps passé. Images du temps présent, « si je reviens au village de mon enfance, (…) je ne reconnais aujourd’hui à peu près rien. (…) Tout est à la même place, mais quelque chose a changé. Bien sûr le temps est passé sur moi et sur les maisons, le temps a usé et repeint, a modifié l’échelle, a modernisé le paysage. La route est goudronnée et surtout bariolée de peinture blanche, ces signalisations qui tracent les places de stationnement, créent des chicanes, des pointillés, des stops. On a construit des ronds-points pour contrôler le flux des voitures… »

La Bretagne du temps passé, chez Le Clézio- et ce sentiment étrange de la résignation, arc-bouté sur le refus de la nostalgie. Chez Le Clézio, on ne parle pas de mondialisation mais plutôt, dans une Bretagne qui sortait alors à peine du 19ème siècle, de « modernité », ce mot, cette tendance tellement en vogue dans les années 1950- 1960… Une Bretagne qui n’était pas « charmante », qui était pauvre et rude.

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J.-M.G. Le Clézio. Photo C. Elie Gallimard

Le deuxième conte titré « L’enfant et la guerre » est, chronologiquement, antérieur à « Chanson bretonne ». Pour décor, Nice où est né Jean-Marie Gustave (J.-M.G.) Le Clézio, et aussi, dans l’arrière-pays niçois, ce village de Roquebillière où il trouva refuge avec son frère, leur mère et leurs grands-parents quand les occupants italiens et allemands menaçaient. « Les cinq premières années de ma vie, je les ai vécues dans une guerre. Pour moi cette guerre- toutes les guerres- ne peut pas être un événement historique. Je ne peux pas la comprendre comme un fait dont j’analyserais les causes, dont je déduirais les conséquences, je ne peux pas en parler objectivement », confie l’auteur. Il précise : « Pour en parler, je n’ai aucun recul. Seulement des sentiments, des sensations, ce flux montant qui porte un enfant entre sa naissance et le tout début de sa mémoire consciente, à l’âge de cinq ans »…Donc, pas de souvenirs, mais des impressions, des sensations, non pas un bruit mais une onde. L’explosion d’une bombe, un cri qui « ne sort pas de ma gorge » mais « du monde entier ». Et cette sentence, définitive : « La guerre, c’est gris ».

Histoire de famille, la vie pendant des mois dans une cave, la sirène d’alarme. L’arrivée à Roquebillière au début du printemps 1943- « je me souviens seulement du gris, écrit le prix Nobel de littérature 2008. Le gris des paletots des soldats allemands que j’ai occupés à déjanter les pneus de l’auto de ma grand-mère, dans la cour de son immeuble. Gris comme le ciel de l’aube… » Et la question, imparable : « J’ai trois ans. Est-ce qu’on peut mettre des mots sur ce qu’on ressent à cet âge ? Sans doute pas des mots, sauf ceux-ci : c’est la première fois ».

jmg le clezio Et puis, dans ce deuxième conte, délicieux hommage aux femmes puissantes (parmi lesquelles sa grand-mère et sa mère), J.-M.G. Le Clézio glisse une esquisse d’auto-analyse. Ultimes regards sur cette enfance qui « m’a rendu violent (…) Cette violence, je la ressens encore, une rancœur, le sentiment d’avoir été trompé, d’avoir vécu dans un mensonge général ». L’enfance, la guerre, la débâcle côté français, et un constat, implacable : « Dans un pays défait comme la France en 40, il n’y a plus de solidarités, plus de lois, plus de dignité. C’est le règne des vengeances, des compromis. Les anciennes rancœurs troublent les yeux, ceux qui pourraient encore faire quelque chose, s’insurger, prendre les armes, se trompent d’ennemi. Plutôt que d’aider un Anglais, ils se rangent derrière le vainqueur ». Quelques années plus tard, avec ses deux garçons, la mère rejoindra son mari militaire. A Ogoja, Nigeria. »C’est l’Afrique qui va nous civiliser », explique l’écrivain qui connut alors l’enchantement…

Texte Serge Bressan

  • « Chanson bretonne » suivi de « L’enfant et la guerre » de J.-M.G. Le Clézio. Gallimard. 170 pages, 16,50 €.

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