le consentement
"Le consentement" : Gabriel Matzneff (Jean-Paul Rouve), écrivain de 50 ans, séduit Vanessa Springora (Kim Higelin), collégienne de 14 ans, tombée amoureuse de lui (©Julie Trannoy/Pan-Européenne Distribution).

Sortie cinéma. C’est un film grave, éprouvant, dérangeant, qui met mal à l’aise pendant deux heures: « LE CONSENTEMENT » (ce mercredi 11 octobre sur les écrans) raconte l’histoire vraie de Vanessa Springora, tombée amoureuse et sous l’emprise de l’écrivain pédophile Gabriel Matzneff à la fin des années 80. Elle avait 14 ans, lui 50.

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« Le consentement » : Jean-Paul Rouve et Kim Higelin(c) Julie Trannoy

Le film est l’adaptation fidèle du livre éponyme, Le Consentement (Ed. Grasset), que Vanessa Springora décida d’écrire plusieurs années après les faits. Paru début 2020, il eut un gros retentissement médiatique et révéla au grand public ce que les milieux littéraires connaissaient depuis les années 70: l’apologie de la pédophilie par l’écrivain.

Paris, 1985. Lors d’un dîner mondain dans lequel elle accompagne sa mère (Laetitia Casta), attachée de presse dans l’édition, Vanessa (Kim Higelin), collégienne de 13 ans, fait la connaissance de l’écrivain de renom Gabriel Matzneff (Jean-Paul Rouve), 49 ans.

Brillant et cultivé

Immédiatement l’écrivain pose son regard sur elle. Il va lui écrire des lettres et Vanessa, excellente élève, éprise de littérature, timide et introvertie, va vite tomber amoureuse de cet homme brillant et cultivé qui s’intéresse à elle.

Il va la chercher à la sortie du collège. Puis l’emmène dans sa garçonnière au Quartier latin. Puis ce sont les premiers baisers, premières caresses. Vanessa le raconte à sa mère, qui se met en colère et lui interdit de continuer à le voir: « C’est un pédophile », prévient-elle, tout le monde le sait dans son entourage.

« Mon enfant chérie »

Mais Vanessa est amoureuse, elle est sa muse, il l’appelle « mon enfant chérie », elle continue de le voir. La mère finit par fermer les yeux. Le quinquagénaire et l’adolescente deviennent amants. « C’est une chance pour moi que je sois le premier », lui dit-il.



Entre deux séances de sexe, l’adolescente accompagne l’écrivain dans les dîners, au théâtre, dans certaines de ses apparitions publiques. Mais au fil des mois cette relation va devenir toxique, les disputes vont se multiplier, Vanessa va subir l’emprise de son amant sans trouver le moyen de s’en délivrer, toute cette histoire va mal tourner…

Fidèle au récit

« LE CONSENTEMENT » est le deuxième film de la réalisatrice Vanessa Filho, suggéré par les producteurs de son premier film, « GUEULE D’ANGE » (2018), dans lequel Marion Cotillard, mère célibataire, partait faire la fête en laissant sa fillette de 8 ans se débrouiller seule. Ici elle dit avoir collé au plus près du texte du livre de Vanessa Springora: « Être fidèle à son récit était un vrai choix de ma part ».

« C’est donc son histoire que j’ai déroulée à l’écran, et pas une autre », ajoute-t-elle. « L’adaptation ne porte pas sur un roman mais sur un «récit» dont l’autrice se bat justement pour ne pas être un personnage fictif. J’ai, bien sûr, comme dans toute adaptation d’un livre au cinéma, fictionné des choses, développé, ajouté des éléments personnels, de mes obsessions intimes, de mes propres blessures aussi… Mais j’ai veillé à ne jamais m’écarter de la vérité des personnages ».

Prix Renaudot essai

Sur la fin, après le récit de la liaison entre Gabriel Matzneff et Vanessa Springora, on voit celle-ci, interprétée par Élodie Bouchez, plusieurs années plus tard, expliquer pourquoi elle a écrit « LE CONSENTEMENT »: « Prendre le chasseur à son propre piège: l’enfermer dans un livre ». Car entre-temps la jeune femme, qui s’est définie comme « victime d’une triple prédation, sexuelle, littéraire et psychique », aura vu Gabriel Matzneff parler d’elle –sans son autorisation– dans deux livres, en 1988 et 1993, et obtenir le Prix Renaudot essai en 2013.

C’est l’un des aspects de cette « affaire Matzneff » que montre et dénonce le film, la complaisance du microcosme parisien de l’époque: critiques littéraires, intellectuels germanopratins, homme politiques qui n’ignoraient rien du penchant de l’écrivain pour les très jeunes filles et les petits garçons de 8 à 14 ans qu’il allait régulièrement sodomiser lors de ses voyages aux Philippines –penchant ouvertement narré dans ses livres.

« Apostrophes »

Le film montre notamment un extrait de l’émission Apostrophes de Bernard Pivot de 1990 dans laquelle l’écrivaine québécoise Denise Bombardier (récemment disparue) est la seule à trouver répréhensible la pédophilie assumée de Gabriel Matzneff.

Pour ce film fort et douloureux, aux scènes parfois difficiles, les acteurs sont remarquables. Laetitia Casta joue avec subtilité la mère qui n’a pas voulu fermer les yeux, dans sa relation mère-fille dysfonctionnelle. « Pour moi, la question du consentement dans cette histoire est aussi celle du consentement de la mère et de la société dans son ensemble », explique la réalisatrice.

Petite-fille de Jacques Higelin

Vanessa est interprétée avec courage et réalisme par Kim Higelin, petite-fille de Jacques Higelin, qui avait 20 ans au moment du tournage mais en paraît moins. Elle s’était fait connaître en tenant l’un des rôles principaux de la série PLAN-B sur TF1 en 2021.

Quant à Jean-Paul Rouve, qui a perdu 10 kilos et a multiplié les séances de manucure et d’UV pour le rôle, il est impressionnant, effrayant, répugnant de bout en bout, sans once d’humanité. À la sortie du film, on a envie d’aller visionner les quatre « TUCHE » à la suite pour se changer les idées et oublier son personnage de Matzneff…

Public plus large

Le gros intérêt du film est qu’il permettra à un public plus large que les lecteurs du livre et des journaux du début 2020 de connaître cette histoire, comme l’espère sa réalisatrice: « Le film, porté par ses acteurs, pourrait permettre à un autre public, peut-être moins lecteur, de découvrir l’histoire, les blessures de Vanessa, à d’autres victimes d’y voir un exemple dans lequel se reconnaître, de vaincre leur peur, de sortir de leur silence, de leur culpabilité, de comprendre l’extraordinaire puissance de l’emprise, de balayer l’argument du consentement, de se rebeller enfin et de se reconstruire, donc de panser leurs blessures, puisque telle est la question ».

Aujourd’hui Vanessa Springora a 51 ans, a un fils, est éditrice (elle fut en 2019 directrice des éditions Julliard), prépare un deuxième livre et a lancé une collection de textes sur la sexualité écrits par des femmes. Gabriel Matzneff a 87 ans, vit entre l’Italie et le studio parisien que lui loue la Mairie de Paris depuis une trentaine d’années, a fait l’objet d’une enquête sans suite, et ses différents éditeurs ont arrêté la commercialisation de ses nombreux ouvrages.

Jean-Michel Comte

LA PHRASE : « A 14 ans, on n’est pas censée être attendue par un homme de 50 ans à la sortie de son collège, on n’est pas supposée vivre à l’hôtel avec lui, ni se retrouver dans son lit, sa verge dans la bouche, à l’heure du goûter » (Vanessa, adulte, dans son livre).


  • A voir : « LE CONSENTEMENT » (France, 1h58). Réalisation: Vanessa Filho. Avec Jean-Paul Rouve, Kim Higelin, Laetitia Casta (Sortie 11 octobre 2023)

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