Sortie cinéma. Il a raté la Palme d’or de peu. En lui accordant leur Grand Prix, deuxième récompense dans l’ordre hiérarchique du palmarès, les jurés du dernier Festival de Cannes ont distingué le film norvégien VALEUR SENTIMENTALE (mercredi 20 août sur les écrans) pour son scénario intimiste et fort, ses trois actrices et son acteur principaux, et l’hommage ému qu’il rend au cinéma.
VALEUR SENTIMENTALE. Un beau film mélancolique et émouvant : le meilleur antidote contre le spleen de la rentrée
C’est le 6e film du petit génie du cinéma norvégien, Joachim Trier, 51 ans, qui s’était fait connaître du grand public par son précédent, JULIE (EN 12 CHAPITRES), qui avait valu à son actrice principale, Renate Reinsve, le Prix d’interprétation au Festival de Cannes 2021. Le film, disponible sur les plates-formes de streaming (Canal+, Netflix, Prime Video, Arte), vient de ressortir dans les salles.
Pour VALEUR SENTIMENTALE, Joachim Trier retrouve Renate Reinsve, qui interprète Nora, une actrice de théâtre connue du grand public pour ses téléfilms. Solitaire, un peu déprimée, elle est souvent paralysée par le trac avant d’entrer en scène.
Sa petite sœur Agnes (Inga Ibsdotter Lilleaas), moins tourmentée, est historienne, mariée et mère d’un garçon de 9 ans. Entre les deux sœurs existe une vraie complicité, un désir mutuel de protection, malgré leurs caractères différents.
Retrouvailles fraîches
À la mort de leur mère après une longue maladie, toutes deux voient débarquer leur père Gustav (Stellan Skarsgard), qu’elles avaient peu vu depuis le divorce de leurs parents quand elles étaient adolescentes. Les retrouvailles sont fraîches mais Gustav, 70 ans, ombrageux et distant, réalisateur de cinéma qui n’a pas tourné depuis 15 ans, propose à Nora le rôle principal du nouveau film qu’il s’apprête à tourner: il a, dit-il, écrit le scénario pour elle.
Mais Nora refuse. « On ne va pas travailler ensemble, papa. On n’arrive déjà pas à se parler », dit-elle. Gustav propose alors le rôle à une jeune star hollywoodienne, Rachel (Elle Fanning), rencontrée au Festival de Deauville à l’occasion d’une rétrospective de ses films. Les répétitions commencent. Mais le cinéaste n’a pas perdu l’espoir de renouer les liens, familiaux et artistiques, avec sa fille aînée…
Histoire d’amour ratée
« C’est presque une histoire d’amour ratée entre un père et une fille, une relation impossible. Pourtant, ils se ressemblent tant. Et c’est à l’intérieur du foyer représenté par la création artistique qu’ils peuvent se rejoindre », expliquait récemment le réalisateur dans une interview à Vanity Fair.
Relation père-fille(s), blessures familiales, communication entre proches, pardon et réconciliation sont les thèmes de ce VALEUR SENTIMENTALE mais aussi l’amour et le lien indéfectible entre les deux sœurs, que l’on voit sur l’affiche du film. « Ce qui me fascine, c’est à quel point les frères et sœurs peuvent être si différents et singuliers au sein d’une même famille », dit Joachim Trier. « Le film est né de ces deux sœurs, puis a pris plus d’ampleur pour raconter une histoire autour des relations parents/enfants, et de la famille ».
Trois rôles féminins forts
Ces deux sœurs et le personnage de l’actrice américaine sont l’occasion pour le réalisateur de créer trois rôles féminins forts: dans un registre plus intériorisé, moins léger que son rôle dans JULIE (EN 12 CHAPITRES), Renate Reinsve est à nouveau impressionnante; Inga Ibsdotter Lilleaas, qui joue sa sœur, est la révélation du film; et Elle Fanning, fragile et complexe, complète le trio.
Mais bien sûr Stellan Skarsgard occupe une grande partie du film. Le plus grand acteur suédois vivant est imposant, avec une force discrète, sans en faire des tonnes, sorte de double du réalisateur avec 20 ans de plus.
Hommage au cinéma
Le film est donc une réflexion sur la création artistique, un hommage au cinéma –et notamment aux actrices–, avec des séquences de film-dans-le-film et une scène finale qui résume le tout.
La réalisation de ce Grand Prix du Festival de Cannes est fluide, virtuose, très maîtrisée, confirmant le talent de Joachim Trier. C’est un beau film mélancolique et émouvant, parfois triste, on pense au cinéma de Bergman, mais le ton général et l’épilogue –on ne vous en dira pas plus– ne sont pas tragiques, façon cinéma d’auteur intello avec fin-qui-finit-mal.
Maison familiale
Et aux rôles de Stellan Skarsgard et des trois actrices s’ajoute un cinquième personnage important: la maison familiale. Le film commence par elle, maison de bois aux parements rouges et bruns, avec une voix off qui raconte son histoire au fil des générations, comme un être vivant décrit par Nora dans une rédaction scolaire quand elle avait 12 ans.
« Un foyer est un concept hautement subjectif, et cette maison est devenue un autre point de départ pour aborder un récit plus complexe: une réflexion sur la vie et nos attentes », explique le réalisateur qui, pendant l’écriture du scénario, est devenu père et dont la maison familiale a été mise en vente.
Spleen de la rentrée
En fin de compte, un des rares défauts de ce film est l’étrange idée des distributeurs français de le sortir en plein mois d’août, entre deux navets d’été. En septembre, quand vous aurez jeté votre crème solaire, quand vous aurez rangé votre VTT, quand vous serez revenus de vos vacances en Thaïlande ou à l’île de Ré, quand vous aurez cessé de chercher une boulangerie ou un kiosque à journaux ouverts à Paris, ce VALEUR SENTIMENTALE sera encore dans les salles de cinéma. Le meilleur antidote contre le spleen de la rentrée.
Jean-Michel Comte
LA PHRASE : « Rien n’est plus beau que les ombres » (Gustav).
- « Valeur sentimentale« (« Affeksjonsverdi »/ »Sentimental Value ») (Norvège, 2h14). Réalisation: Joachim Trier. Avec Renate Reinsve, Stellan Skarsgard, Elle Fanning (Sortie 20 août 2025)
- Retrouvez cette chronique ainsi que l’ensemble des sorties cinéma de Jean-Michel Comte sur le site Cinégong
