Avignon In et Off. C’est dans un contexte tout à fait exceptionnel que s’ouvrent cette année les festivals d’Avignon, le In le 29 juin et le Off le 3 juillet. D’abord à cause des Jeux Olympiques qui ont obligé les organisateurs à débuter la programmation avant le début des vacances scolaires. Et maintenant les deux tours des élections législatives viennent encadrer la première semaine des festivals.
Les responsables ont organisé avec Cécile Helle, maire d’Avignon, une conférence de presse qui les éunissait sur la scène de la Cour d’Honneur. Ils ont fait appel à l’esprit de résistance et d’engagement populaire qui est leur commune ADN depuis les origines pour appeler les festivaliers à voter pour faire barrage à l’extrême-droite et à venir participer à cette première semaine où des tarifs économiques ont été mis en place.
On peut s’attendre à une chaude ambiance dans les rues d’Avignon dans cette période électorale. Mais les programmes sont en place et réservent une fois encore une immense richesse de propositions.
Le In à l’heure de la parité et de la langue espagnole
Tiago Rodriges a mis en place pour cette 78ème édition une programmation d’une très grande diversité. L’an passé c’est l’anglais qui était la première langue invitée. Cette année c’est l’espagnol qui lui succède et donne ainsi l’occasion à plusieurs sud-américains de venir présenter leur travail à Avignon.
Lors du lancement de cette édition Tiago Rodrigues était très fier d’avoir atteint une parité absolu dans les titulaires des mises en scène et d’avoir retenu deux femmes pour occuper la Cour d’Honneur.
Après Julie Deliquet en 2023 sont annoncées en cette année l’Espagnole Angélica Liddell, avec Dämon. El funeral de Bergman, et la Polonaise Marta Górnicka, avec Mothers a Song for Wartime, un hommage aux femmes qui subissent la guerre en Ukraine. Elles seront accompagnées en d’autres lieux par les françaises Caroline Guiela Nguyen, directrice du Théâtre National de Starsbourg, avec Lacrima, Séverine Chavrier, directrice de la Comédie de Genève, avec Absalon, Absalon ! et Lorraine de Sagazan (cousine de Zaho, la chanteuse) avec Léviathan.
Tiago Rodriges s’empare lui-même du merveilleux site de la Carrière Boulbon pour y créer Hécube, pas Hécube, d’après Euripide avec, sur scène, Denis Podalydes et des comédiens de la Comédie Française. Gwenaël Morin propose de son côté un Quichotte d’après Cervantès joué par Jeanne Balibar, certainement un des plus enthousiasmant rendez-vous de cette édition du Festival..
Le théâtre « documentaire » de Mohamed El Katib est toujours un rendez-vous très attachant comme ce fut le cas avec son populaire Stadium dont on avait parlé avec lui dans We Culte. A Avignon il met en scène les des amours des seniors. Avec La vie secrète des vieux on peut s’attendre à beaucoup d’émotions partagées sur la scène et avec la salle.
Le chorégraphe Boris Charmatz, directeur du Tanztheater de Wuppertal, est cette année l’artiste « complice » du festival. Il a échangé régulièrement avec Tiago Rodrigues au cours de la préparation de cette édition. Il y sera présent pendant toute sa durée et y présentera trois spectacles dont un très attendu Forever, Immersion dans Café Müller de Pina Bausch.
Le Off toujours aussi foisonnant
L’édition 2024 propose 1617 spectacles dont 615 sont joués pour la première fois à Avignon et 536 sont des créations. Il est bien sûr très difficile de mettre en avant certains d’entre eux tant la créativité des artistes a pu inspirer de nombreuses propositions de qualité. On se risquera donc a signaler une quinzaine de spectacles qui pourraient être parmi les plus passionnants.
On peut évidemment faire confiance à certains habitués du Festival dont on a pu admirer les réalisations au cours des précédentes éditions. C’est la cas de Jean-Philippe Daguerre avec sa nouvelle création, Du charbon dans les veines, une histoire d’amitiés, d’amours et de musique dans le décor d’une ville minière du nord de la France à la fin des années 50.
Le repas des gens a été créé au théâtre de la Criée à Marseille en janvier 2024 et sera présenté au Théâtre des Halles dont la programmation est souvent une des plus enthousiasmantes du Off. François Cervantes prose là une curieuse rencontre entre un couple qui n’a jamais mis les pieds dans un théâtre et qui se trouve propulsé sur sur une scène à la rencontre d’un public. Une situation étrange pour un spectacle très chaleureusement accueilli au moment de sa création.
Eric Bouvron, le metteur en scène du génial Lawrence d’Arabie en 2022, revient à Avignon avec Paris-Istanbul dernier appel inspiré des récits et de la vie de l’autrice turque Sedef Ecer. Il s’agit, nous dit-on, d’une histoire de séismes et d’amnésies qui rend hommage à l’âge d’or du cinéma turc.
Avec sa compagnie Demain dès l’aube, Hugo Roux avait mis en spectacle Leurs enfants après eux de Nicolas Mathieu. Cette année il s’empare des Raisins de la colère de Steinbeck et poursuit donc son projet théâtral très engagé dans l’histoire comme dans le temps présent.
La disparition de Josef Mengele est un passionnant roman d’Olivier Guez, un récit de la cavale en Argentine de Josef Mengele, le médecin d’Auschwitz. C’est une adaptation, une mise en scène et une scénographie de Mikael Chirinian et Benoit Giros que programme le théâtre du Chêne Noir.
Dolores, est l’histoire extraordinaire de Sylvin Rubinstein, un danseur de flamenco tueur de nazis. Le texte de Yann Guillon et Stéphane Laporte est mis en scène par Virginie Lemoine qui a fait appel à une belle équipe d’acteurs dont Olivier Sitruk et François Feroleto. Un spectacle qui va certainement toucher un très vaste public.
Cinq nominations aux Trophées de la Comédie Musicale 2024 ont plébiscité les Punk.e.s ou comment nous ne sommes pas devenues célèbres. Une aventure musicale et féministe de Justine Heynemann et Rachel Arditi d’après l’histoire vraie des Slits, un des premiers groupe de rock punk féminin britannique.
Femme non rééducable est un texte de l’italien Stefano Massini qui retrace le parcours de la journaliste russe Anna Politkovskaïa, une journaliste courageuse qui avait couvert la guerre de Tchétchénie, à la recherche d’une vérité qui n’était pas celle de la propagande russe. Son assassinat en 2006 avait ému et scandalisé partout dans le monde.
Plus léger, mais pas forcément moins profond, la Kermesse de Marine Barbarit et Charles Mathorez avec le collectif La Cabale a été primée par le public et le jury du festival de mise en scène du Théâtre 13 de Paris. La chenille, cette danse populaire et conviviale, est un point le départ d’une réflexion sur le ridicule et sur le poids du regard de l’autre. On philosophe mais en riant beaucoup.
Pour beaucoup de chanteurs et de chanteuses Avignon est un rendez-vous très important. L’Arrache-Coeur est de ce point de vue un lieu incontournable pour les amateurs de chanson française. Toute la programmation y est excellente puisqu’on pourra y entendre de nombreux artistes talentueux comme Lou Casa, Phanee de Pool, Mike et Riké de Sinsémilia, Romain Didier et Julie Lagarrigue. Mais s’il en est une qu’il ne faut surtout pas manquer c’est Nawel Dombrowsky. Elle a chanté Ferrat devanr des dizaines de milliers de personnes place de la République à Paris. Et dans des lieux plus intimes elle chante un répertoire très intelligemment féministe et engagé qui raisonnera très fort en cette période troublée du mois de juillet 2024.
Il faudrait bien sûr évoquer aussi les artistes circassiens comme le Circus Baobab et son Yé! (L’eau) et #Since1994 d’une compagnie taiwanaise, Taiwan étant le pays invité d’honneur de cette édition du Off. Et bien sûr les chorégraphes et danseurs comme dans Njim, champion du monde de danse hip hop le jour, voyou la nuit, avec une mise en scène d’Eric Bouvron. La poésie sera russe avec le grand traducteur André Markowicz, la poésie de L’autre Russie, celle qui refuse le totalitarisme. Et il y aura même du Mozart au Chêne Noir avec le Mozart One Piano Show de François Moschetta.
Yves Le Pape