Le Festival Off d’Avignon a connu cette année un succès de fréquentation exceptionnel. Ses organisateurs le désigne comme « la plus grande fête citoyenne de France ». De fait, les chiffres sont parlant : près de 2 millions de billets vendus pour une recette de billetterie qui approche les 27 millions d’euros. Certes les 1 400 compagnies qui y ont participé n’ont pas toutes tiré leur épingle du jeu. Il s’agissait pour certaines d’entre elles d’un pari coûteux et très risqué. Toutes ne l’ont pas gagné. On doit toutefois saluer l’importance qu’accorde l’équipe dirigeante du Off à la professionnalisation des compagnies avec son « fonds de soutien à l’émergence et à la création ».
Avignon : le festival Off est considéré par ses organisateurs comme « la plus grande fête citoyenne de France »
Certains spectacles adossés à des salles ou à des collectifs plus solides ont connu le succès. Et de plus en plus d’actrices et d’acteurs bien connus au théâtre ou au cinéma sont maintenant visibles sur les scènes du Off. On y a vu cette année Ariane Ascaride et Natacha Régnier, et on a pu croiser dans les rues ou à proximité des scènes d’Avignon de grands noms comme ceux de Denis Lavant, Clémentine Célarié ou Jacques Weber.
Les célébrités de la chanson se font attendre mais Catherine Lara était là pour accompagner avec son violon un spectacle des jeunes danseurs de la compagnie Kumo. Les metteurs en scène de théâtre renommés sont eux des habitués d’Avignon depuis plus longtemps et cette année deux grands chorégraphes ont marqué de leur présence cette édition du Off : Mehdi Kerkouche, le nouveau directeur du Centre chorégraphique national de Créteil où il a succédé à Mourad Merzouki, lui aussi présent à Avignon dans un spectacle que nous avons pu admirer.
Lors de notre dernière semaine à Avignon on a débuté par un apéritif avec les brestoises de la compagnie Dérézo. Yoanna nous a touché profondément avec ses chansons. « Accordzéam » nous a fait voyager dans le monde avec La truite de Shubert. Ariane Ascaride nous a plongé dans la grande histoire avec le récit de la vie de Gisèle Halimi et on a pu conclure ce mois riche en création avec le formidable Phénix du chorégraphe Mourad Merzouki.
Apérotomanie
Apérotomanie est un « hybride d’apéritif et de théâtre » pour 40 invités à l’ombre si recherchée du jardin du Musée Angladon en ce mois de juillet caniculaire d’Avignon . Anne-Sophie Erhel et Véronique Héliès, les deux actrices, préparent sous nos yeux une dégustation de vins de Gaillac accompagnée d’amandes grillées et de mini crêpes de sarrasin.
Et dans le même temps elles font partager des textes d’Anaïs Nin, Pascal Quignard, Chordelos de Laclos et quelques autres grands noms de la littérature érotique. Les liaisons coulent de source et l’humour assure un goût bien épicé à un projet joyeusement sympathique.
On se régale au bon goût de l’apéritif et au choix de ces beaux textes. Le dispositif du spectacle, une grande tablée, ajoute à la convivialité de ce merveilleux moment. Une expérience qui donne envie de mieux connaître ce collectif brestois où s’exprime la forte personnalité de Charlie Windelschmidt, auteur et metteur en scène de la compagnie.
Le chant de Yoanna
Autrice-compositrice, accordéoniste et interprète Yoanna est une habituée d’Avignon où elle vient chanter régulièrement ses nouveaux albums. A l’Arrache-Coeur, ce haut lieu de la grande chanson pendant le Off d’Avignon, elle est venue présenter un album qu’elle va enregistrer en août.
Quand on a eu la chance de pouvoir l’écouter en toute fin de festival on sent que le travail est désormais finalisé. Accompagnée aux percussions et à l’électronique par Mathieu Goust, un grand musicien, elle joue de son accordéon et en fait un instrument moderne, vivant. Un accordéon très contemporain pour accompagner des textes puissants, vibrants et apaisés. Yoanna chante des existences douloureuses et des vies de combattantes. Féministe évidemment, engagée et sans étiquette, elle va à l’essentiel et le fait intensément. Toutes ces chansons vont maintenant devenir un album et bientôt sûrement une tournée. Autant de rendez-vous à suivre de prés.
Autour du monde avec Schubert
Accordzéâm, un groupe de « musiques du monde et d’ailleurs », s’empare de La Truite de Schubert et nous entraîne dans un étourdissant voyage autour du monde en arrangeant la partition du célèbre compositeur aux sons de 60 variations populaires et très internationales. C’est musicalement impressionnant d’imagination et de virtuosité.
Mais c’est aussi un spectacle complètement fou, mis en scène par Eric Bouvron dont nous avions déjà apprécié ici Les Braconniers, sa pièce de théâtre. Les musiciens sont sans cesse en mouvement, dans des situations toujours renouvelées où la danse n’est pas loin. On peut dire que c’est une sorte de chorégraphie musicale que réussissent les musiciens et leur metteur en scène. Un vrai régal que le public d’Avignon a salué avec enthousiasme pendant tout le Festival.
Gisèle Halimi, une farouche liberté
Ce spectacle mis en scène par Lena Paugam a été construit à partir des entretiens de Gisèle Halimi avec la journaliste Annick Cojean. Ariane Ascaride et Philippine Pierre-Brossolette interprètent ensemble le personnage de Gisèle Halimi et c’est un duo équilibré qui réussit à donner corps au personnage.
Certes on est touché de voir sur scène Ariane Ascaride quand on la connaît surtout pour ses rôles au cinéma. Elle se révèle comme une grande actrice de la scène et à aucun moment elle ne cherche à se mettre en avant par rapport à sa partenaire moins célèbre qui s’avère également être une grande comédienne.
Elles font découvrir ou redécouvrir le formidable personnage qu’a été Gisèle Halimi. On est particulièrement touché par ce spectacle quand on a eu l’occasion de partager certains des combats de l’avocate, contre la guerre d’Algérie d’abord, pour la liberté de l’avortement ensuite mais aussi comme députée de l’Isère s’opposant à la centrale nucléaire de Malville dans les années 80.
On découvre aussi discrètement une dimension plus intime de la femme qui doit gérer simultanément ses engagements et sa vie de mère.
Lena Paugam, Ariane Ascaride et Philippine Pierre-Brossolette ont réussi a faire vivre sur scène avec toute l’intensité qu’elle méritait cette formidable combattante qu’a été Gisèle Halimi.
Le Phénix de Mourad Merzouki
Ce fut une belle conclusion, le dernier soir du festival. On dit souvent que Merzouki « bouscule les codes ». On pourrait dire pourtant qu’il atteint avec Phénix une forme de classicisme. On l’avait en effet déjà admiré dans Folia et nous avions échangé alors avec lui pour We Culte. Les souvenirs de ses débuts dans le hip-hop y étaient très visibles.
Dans Phénix il réussit une forme de symbiose entre toutes les influences qui ont pu l’aider à se construire. On est vraiment dans un spectacle de danse contemporaine où le chorégraphe et ses danseurs utilisent pleinement tous les gestes et les mouvements qui constituent le style personnel de Merzouki comme on a pu connaître avant lui ceux de Jean-Claude Gallotta ou de Philippe Decouflé.
Le chorégraphe a proposé cette année à Avignon un spectacle formidablement dynamique et créatif avec quatre danseurs à la hauteur du projet : Mathilde Devoghel, Aymen Fikri, Hatim Laamarti, Pauline Journé.
On a ainsi apprécié un créateur qui pourrait légitimement trouver un jour une place d’honneur au Festival In. Ce serait sûrement génial et certainement très populaire. Rêvons un peu.
Yves Le Pape
Pour découvrir les tournées de ces spectacles :
- Compagnie Derezo : https://www.derezo.com/
- Accordzéâm : https://accordzeam.org/
- Yoanna https ://www.yoanna.fr/
- Gisèle Halimi, une farouche liberté : https://lascala-paris.fr/programmation/gisele-halimi-une-farouche-liberte/
- Phénix : http://www.encoreuntour.com/spectacle/mourad-merzouki-phenix-3/