Théâtre. Les Nuits de Fourvière lyonnaises ont débuté le 2 juin avec la représentation de « Tartuffe ou l’hypocrite » de Molière par la troupe de la Comédie Française dans le site majestueux du Théâtre Romain. C’est une version tout à fait inhabituelle de ce grand classique que met en scène le belge Ivo Van Hove, qui dirige pour l’occasion le meilleur de la troupe et en particulier Denis Podalydès, Dominique Blanc et Marina Hands.
Nuits de Fourvière : un surprenant Tartuffe en ouverture de festival
Curieuse idée de choisir cette version inédite de Tartuffe pour fêter le 400ème anniversaire de Molière à la Comédie Française. En effet cette version en 3 actes n’avait été jusque-là jouée qu’une seule fois en public, devant Louis XIV, dans les jardins du Chateau de Versailles en 1664. Le roi l’avait appréciée mais décidait de l’interdire quelques jours plus tard pour répondre sans doute aux réactions provoquées à la Cour où l’on appréciait peu la mise en cause des «dévots» aux comportements trop souvent en contradiction avec les principes religieux.
En 1667 Molière présente une nouvelle version de Tartuffe. Elle comporte cette fois 5 actes mais elle est également interdite par le président du Parlement de Paris. Et c’est seulement en 1669 que va être présenté la 3ème version qui est celle que nous connaissons aujourd’hui, une version qui mêle des éléments des deux premières.
Georges Forestier, grand spécialiste de Molière, est à l’origine de cette « reconstitution » qui est le résultat de ses travaux «d’archéologie littéraire» dont il est un expert..
Dans la première version Tartuffe est un hypocrite dont les actes ne sont pas conformes à ses principes. Dans la dernière version c’est un imposteur qui veut se faire passer pour un «dévot».
C’est donc cette version «retrouvée» dont la Comédie Française a confié la mise en scène au belge Ivo Van Hove avec qui une précédente collaboration avait donné lieu à une présentation de « Les damnés », un adaptation du film de Visconti donnée dans la Cour d’honneur d’Avignon en 2016.
Dès le début du spectacle la couleur est annoncée. La mise en scène doit s’imposer et une entrée en matière prend la forme d’une longue séquence muette où la troupe occupe la scène et se met en place. On sent ensuite que le jeu des acteurs répond à une injonction précise du metteur en scène qui fait le choix de la violence du geste et de la force de la voix.
Seuls deux acteurs paraissent échapper parfois à ce parti-pris, Denys Poldalydès dans le rôle d’Orgon et Dominique Blanc dans celui de Dorine, une «dame de compagnie» qui occupe une place centrale dans cette version de la pièce. Tous deux jouent de leur immense talent pour donner avec sobriété toute son évidence au texte de Molière.
A la fin de chaque acte la pièce est ponctuée de flashs lumineux et d’une musique d’Alexandre Desplat, grand compositeur de musique de film, qui contribue judicieusement à la force de la représentation. C’est un spectacle qui pourrait être cinématographique avec un scénario de thriller où un manipulateur malveillant, Tartuffe étant présenté comme un Don Juan sans envergure, qui s’introduit dans un milieu familal et le fait voler en éclat.
Mais le thriller devient vaudeville pour permettre à Orgon de découvrir la vraie nature de ce Tartuffe qu’il admire tant. Entre temps des scènes très explicites d’une grande brutalité viennent ponctuer cette descente aux enfers d’une famille emportée par cette impérieuse manipulation.
Une nouvelle séquence muette conclue la soirée comme elle avait été introduite, une sorte de signature du metteur en scène qui impose à l’évidence son point de vue, une façon de voir et de montrer Molière finalement très contemporaine qui peut choquer ou enthousiasmer.
Yves Le Pape
- « Tartuffe ou l’Hypocrite » mis en scène par Ivo Van Hove a été joué les 2, 3 et 4 juin au festival des Nuits de Fourvière – 1 rue Cléberg 69005 Lyon – Informations : 04 72 57 15 40 – Billetterie : 04 72 32 00 00. Toutes les infos
