Livres. Malgré l’ambiance hivernale, les Quais du Polar, manifestation dédiée au roman policier, ont retrouvé cette année une affluence proche de l’édition de 2019, la dernière avant la pandémie. Et 12 000 personnes dont 2 000 scolaires ont participé à la grande balade-enquête qui les a conduits de Villeurbanne, capitale française de la culture, à l’Hôtel de Ville de Lyon.
Quais du Polar de Lyon : grosse affluence pour l’édition 2022
Il n’est pas possible de présenter tous les évènements qui étaient au programme cet année. C’est donc un parcours très personnel qui est présenté ici avec pour ambition de rendre compte de la diversité des formats proposés par les organisateurs. On a également choisi de présenter des auteurs qui s’inscrivent dans les courants les plus variés du polar et du roman noir, de la littérature de diverstissement aux œuvres les plus engagées qui ambitionnent de rendre compte des failles les plus profondes de la société d’aujourd’hui.
La dictée de Béru
Pour la huitième fois c’est par la Dictée Noire qu’ont débuté les Quais du Polar 2022. C’est une tradition pour de nombreux festivaliers qui, pour la plupart, retrouvent à cette occasion une situation qu’ils n’ont pas connue depuis plusieurs décennies. Quand on participe à cet événement pour la première fois, on a en effet la sensation de prendre à cette occasion un sacré coup de jeune.
Le plaisir est d’autant plus grand que le rôle du maître d’école est tenu cette année par Antoine de Caunes, qui a choisi de nous entraîner dans sa profonde admiration pour Frédéric Dard et San Antonio. L’auteur était, pour Antoine adolescent, un ami de la famille. Bien plus tard l’écrivain est devenu un vrai copain de l’homme des médias qui est resté un sincère admirateur de son œuvre.
C’est avec une maîtrise incontestable qu’il a lu et dicté un extrait de « Vas’y Béru », un San Antonio de 1965. Les studieux élèves festivaliers ont pu ainsi retrouver toute l’inventivité de l’auteur en tentant d’échapper, autant que faire se peut, aux inventions langagières qui parsèment les écrits de Frédéric Dard. Epreuve réussie sans trop de dégâts comme pour la plupart des dizaines de participants à cette épreuve.
En chapelle avec Michel Bussi
La rencontre avec Michel Bussi se déroule dans le cadre majestueusement baroque de la Chapelle de la Trinité, un lieu réservé aux grands évènements lors de chaque édition des Quais du Polar. C’est Alexandra Schwartzbrod de Libération qui introduit et questionne avec habileté un auteur que, manifestement, elle connaît bien.
« Secrets d’écriture » est une toute nouvelle collection qui permet aux auteurs de parler de leur propre travail C’est donc de son métier dont nous a parlé Michel Bussi avec simplicité et une très grande modestie. C’est l’occasion d’ailleurs de remarquer que les auteurs de polar les plus populaires peuvent aussi être ceux qui se prennent le moins au sérieux.
Pour Michel Bussi, l’art du suspense, dont il est un des adeptes les plus appréciés, remonte à la Bible. Face à la concurrence des images, il est heureux de procurer le plaisir de lire aux centaines de milliers de lecteurs de chacun de ses livres. Et s’il fallait retenir deux titres parmi tous ceux qu’il a écrit, il cite « Les nymphéas noirs » (2011) et surtout « Au soleil redouté » (2020).
La politique du Noir
L’un des responsables du Festival faisait remarquer que ce sont les quatrièmes élections présidentielles qui se déroulent quelques semaines après le Festival. Il expliquait donc que cette proximité avait poussé à mettre à l’honneur des écrivains dont les romans avaient pour thème la politique. Ils le font d’une façon historique comme Laurent Joffrin qui reprend le flambeau de Jean-François Parot, décédé en 2018, dans la série des Nicolas Le Floch.
Dans l’histoire plus récente Frédéric Paulin a publié une ambitieuse trilogie sur le radicalisme islamiste et puise dans ses propres souvenirs pour inscrire son dernier roman dans les évènements qui ont bousculé la ville de Gênes lors d’un G8, réunion des grands dirigeants de la planète, en juillet 2011. De son côté Jérôme Leroy a imaginé une présidente de la République très contemporaine. Mais tout comme Frédéric Paulin et d’autres auteurs présents à Lyon, il s’inscrit dans un courant du roman noir très sévère avec les acteurs de la vie politique et très pessimiste quant à la capacité de la démocratie représentative à répondre aux problèmes de la société d’aujourd’hui.
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En croisière avec Franck Thilliez
Les Quais du Polar proposent aux festivaliers toutes sortes d’animation et de balades dans la ville. Mais une des propositions les plus agréables est incontestablement la rencontre avec un écrivain à l’occasion d’une croisière sur la Saône. Le silence de la propulsion électrique et la vue panoramique sur les plus beaux quartiers de Lyon offrent un environnement majestuex pour écouter Franck Thilliez présenter ses secrets d’écriture publiés dans « Le plaisir de la peur » à paraître en mai prochain. Tout jeune il aimait à se faire peur et maintenant il se réjouit de nous faire peur.
Il nous parle de son métier, un travail d’artisan qui ambitionne tout simplement de procurer du plaisir à ses lecteurs et qui y réussit depuis bientôt 20 ans. Primé par les lecteurs des Quais du Polar en 2006, c’est un auteur régulièrement présent au rendez-vous lyonnais et cette croisière a été une bien belle occasion de rencontre quelques uns de ses nombreux admirateurs.
Le point de vue des experts
Il y a le polar des romanciers et il y a le polar des experts. Certes les premiers passent souvent beaucoup de temps à se documenter avant de plonger dans la fiction. Mais il est bon parfois d’entendre des auteurs qui se sont coltinés professionnellement avec les faits avant de devenir des écrivains.
C’est le cas de Christophe Molmy qu’il était possible de retrouver dans « Le bus des experts », une balade en bus de tourisme organisée par la revue Alibi pour rencontrer «celles et ceux qui vivent au quotidien tout ce qui nous fait frissonner dans les polars». Avec un de ses collègues policiers, il répondait aux festivaliers qui cherchent à savoir si les fictions qu’ils aiment s’accordent aux réalités vécues par les experts. Ils ont été sévères nos deux professionnels et ne se retrouvent pas vraiment dans ce qu’on nous montre de leur travail en particulier dans les séries dont on a beaucoup parlé dans cette balade en bus. Une série reçoit toutefois la palme d’or de nos experts, c’est « Engrenages » dont 8 saisons ont été présentées sur Canal Plus.
Elena Sender est journaliste scientifique et Sylvain Forge expert en cybersécurité. Ils ont animé une rencontre sur la place de la technologie dans le Polar. Et leurs analyses sont extrêment inquiétantes. Ils estiment que la réalité virtuelle n’est plus une question de science-fiction et ils nous donnent des frissons quand ils évoquent le monde virtuel du metaverse que nous préparent activement les GAFA.
La question du deuil est posée par Elena Sender : comment vivre le deuil d’un proche quand on pourra le retrouver dans ce monde virtuel et continuer à échanger avec lui bien après son décès ? Ce sont ces thémes qu’ils ont abordés dans leur romans et on peut certainement les classer dans les priorités à retenir pour nos prochaines lectures.
Ce parcours sur les Quais du Polar montre la richesse et la diversité des échanges que permet le roman noir. Et bien sûr il faut rendre hommage à l’équipe qui a organisé cet événement. De rencontres en croisières, de films en balades, de scéances de signatures en enquêtes urbaines, du livre jeunesse aux courants les plus variés du polar français et international, les Quais du Polar lyonnais confirment une fois de plus le rôle majeur qu’ils peuvent jouer pour la promotion de ce genre littéraire.
Yves Le Pape
Les auteurs cités dans cet article et leurs romans
–Frédéric Dard, « Vas’y Béru » (Fleuve Noir, 1965)
–Michel Bussi, « La fabrique du suspense » (Collection Secrets d’écriture chez LeRobert, mars 2022)
–Franck Thilliez, « Le plaisir de la peur » (Secrets d’écriture, Le Robert, mai 2022)
–Christophe Molmy, « La fosse aux âmes » (La Martinière, août 2021)
–Laurent Joffrin, « Le cadavre du Palais Royal » (Buchet-Chastel, novembre 2021)
–Elena Sender, « Replay » (Albin Michel, janvier 2022)
–Sylvain Forge, « Sara » (Fayard, mars 2022)
–Jérôme Leroy, « Les derniers jours des fauves » (La Manufacture de livres, février 2022)
–Frédéric Paulin, « La trilogie Tedj Benlaza » et « La Nuit tombée sur nos âmes » (Agullo, octobre 2021)
- Plusieurs prix ont été attribués durant le festival et en particulier le Prix des lecteurs Quais du Polar / 20 Minutes attribué à Hervé Le Corre pour « Traverser la nuit » (Éditions Rivages) et le Prix Le Point du polar européen remporté par Victor Guilbert pour « Terra nullius » (Éditions Hugo Thriller).
