olivia ruiz la commode aux tiroirs de couleurs
Olivia Ruiz publie son premier roman "La commode aux tiroirs de couleurs". Photo Sydney Carron

Livre. Chanteuse, danseuse, chorégraphe, Olivia Ruiz s’offre une première à 40 ans. Un premier roman, délicatement titré « La commode aux tiroirs de couleurs ». L’histoire d’une grand-mère espagnole réfugiée en France dans les années 1930. Un des beaux romans français de ce premier semestre 2020.

« La commode aux tiroirs de couleurs » d’Olivia Ruiz: un roman pour toutes celles et tous ceux nés quelque part, contraints de filer vers l’ailleurs, de s’y poser et d’y vivre…Un beau roman de fantômes et de désirs

olivia ruiz la commode au tiroirs de couleursFemme-chocolat, on l’a croisée en un temps où elle traînait les pieds- et le chantait délicieusement. Un temps, en 2008, où elle nous offrait une autre belle chanson, « Les Non-dits »- un duo parfait avec Christian Olivier, le fondateur et chanteur du groupe Les Têtes Raides. Et là, en ce carrefour de printemps et d’été, à 40 ans (depuis le 1er janvier dernier), Olivia Ruiz réapparaît. Non pas comme chanteuse, danseuse, voire chorégraphe mais comme écrivaine. Primo-romancière, comme on dit dans le monde de l’édition quand on veut faire genre !

Née à Carcassonne, grandie à Marseillette- village de l’Aude, elle s’est glissée dans les librairies avec « La commode aux tiroirs de couleurs ». La presse (et pas que parisienne !) a chaleureusement accueilli ce premier roman- tout empli des soleils d’Espagne et tenu, pour beaucoup, pour l’un des meilleurs textes français de ce premier semestre 2020 !

Celle que l’état-civil connaît sous le nom de naissance d’Olivia Blanc a raconté qu’au départ, elle avait écrit ce qui n’était qu’une nouvelle. Et puis, un jour, une amie tombe sur le manuscrit, lui dit qu’elle devrait « en faire un roman ». Alors, Olivia Ruiz reprend le texte, le retravaille, le nourrit, il y a un roman… Et l’amie, devenue son agent, envoie sans lui en faire part le manuscrit à quelques maisons d’édition parisiennes. Confidence de Véronique Cardi, la directrice générale des éditions JC Lattès : « On était plus de dix à vouloir la publier. En le refermant, je savais que je tenais un très grand livre car il en a tout le souffle, une plume, une saga familiale, un magnifique portrait de femme ». Et la maison d’édition, d’effectuer un premier tirage à 80 000 exemplaires- du rarissime pour un premier roman…

Déjà, on dit de la primo-romancière qui ne traîne plus les pieds qu’elle a un talent de conteuse– ce à quoi elle répond : « Je ne m’en rends pas compte mais je sais que je suis une raconteuse d’histoires, c’est mon plaisir. Lorsque j’écris, je procède beaucoup par images pour construire mes personnages. Par exemple, j’ai enregistré sur mon téléphone, à voix haute, des scènes d’échanges entre les trois sœurs de mon roman pour m’aider à les matérialiser. Ecrire des chansons m’a appris à installer des figures, plutôt que des tonnes de mots, pour décrire une situation ».

L’histoire de « La commode aux tiroirs de couleurs » pourrait tenir en quelques lignes- ce que fait d’ailleurs l’éditeur, en 4ème de couverture du roman d’Olivia Ruiz : « À la mort de sa grand-mère, une jeune femme hérite de l’intrigante commode qui a nourri tous ses fantasmes de petite fille. Le temps d’une nuit, elle va ouvrir ses dix tiroirs et dérouler le fil de la vie de Rita, son Abuela, dévoilant les secrets qui ont scellé le destin de quatre générations de femmes indomptables, entre Espagne et France, de la dictature franquiste à nos jours ».

Au cœur de ce roman de femmes fortes, Rita, la « patronne » de la famille, du clan- confidence de l’auteure Olivia Ruiz : « Elle est un mélange de toutes les femmes de ma vie, et sûrement de tout ce que j’aurais aimé être ». Alors, dans chacun des tiroirs, la jeune femme trouve un objet. Qui va l’aider à (tenter de) reconstituer une histoire. L’histoire de sa grand-mère, mêlée à l’Histoire, celle qui a vu à la fin des années 1930 les Républicains espagnols et leurs familles fuir le franquisme et sa dictature, traverser à pied les Pyrénées, arriver en France dans des camps de réfugiés où le minimum des conditions humanitaires et sanitaires tenait de l’illusion…

  Au fil des pages et des objets trouvés dans les tiroirs (la médaille de baptême, la clef, le carnet de poèmes, le sac de graines, le billet de train ou encore le baromètre), défilent une femme amputée de sa terre, l’exil, la vie et ses amours, ses désespoirs et ses bonheurs. Olivia Ruiz : « Au-delà de mes propres racines, cela m’intéresse de comprendre comment on se construit lorsque la fondation de notre histoire est d’abandonner la terre qui nous a vus naître… Je suis bouleversée par la vie de ces gens qui ont été arrachés à leur pays ». Et en ouverture du livre, l’auteure a pris soin de consigner deux citations– l’une de Federico Garcia Lorca (1898- 1936) : « Se taire et brûler de l’intérieur est la pire des punitions qu’on puisse s’infliger », l’autre de Pablo Neruda (1904- 1973) : « Le déracinement pour l’être humain est une frustration qui d’une manière ou d’une autre modifie la clarté de son âme ».

Dans « La commode aux tiroirs de couleurs », il y a aussi la maternité, la famille. Des idées fixes, résumées en phrases de vie- exemples : « A viser l’impossible on peut atteindre au moins le merveilleux », ou encore « Le souvenir, c’est bien quand ça te porte. S’il te ralentit ou même te fige, alors il faut le faire taire. Pas disparaître. Juste le faire taire, car à chaque moment de ta vie, le souvenir peut avoir besoin que tu le réveilles pour laisser parler les fantômes. Ils ont tant de choses à nous apprendre si on se penche un peu sur ce qu’ils nous ont laissé ».

olivia ruiz la commode aux tiroirs de couleurs

Rita la grand-mère pleure en son intérieur son Espagne. Souvenirs silencieux, réduits à quelques objets dans des tiroirs d’une commode. Toutes les pages du roman d’Olivia Ruiz sont emplies d’une douce nostalgie, d’une envoûtante mélancolie. « Tout y est vrai, et tout y est faux », confie la romancière. Ce qui donne un roman pour toutes celles et tous ceux nés quelque part, contraints de filer vers l’ailleurs, de s’y poser et d’y vivre… Un roman de l’exil, de l’Espagne d’hier et d’aujourd’hui, de cette Espagne de Garcia Lorca et de Pedro Almodovar, de cette langue où le « r » roule toujours… Un beau roman de fantômes et de désirs.

Texte Serge Bressan

« La commode aux tiroirs de couleurs » d’Olivia Ruiz. JC Lattès, 208 pages, 19,90 €

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