Livre. Née aux Etats-Unis, elle vit en France depuis plus de cinquante ans. Star mondiale de la littérature jeunesse, à 76 ans elle a décidé de se raconter. Une vie, sa vie en 18 exils. Avec Susie Morgenstern, «chaque mot est une bulle de champagne ». Un bonheur de lecture.
En près de 300 pages de « Mes 18 exils », Susie Morgenstern (se) raconte. Sa vie. Une vie. Formidablement pétillante, délicatement enthousiaste, follement exigeante parce que pour elle, «chaque mot est une bulle de champagne»
On la surnomme l’idole des jeunes, la fée bien-aimée ou encore la grande petite fille. Ces temps derniers, Susie Morgenstern a fait sensation à chacun de ses passages à la télé pour la promo de son nouveau livre, « Mes 18 exils ». Look immuable- unique, aussi : des lunettes en forme de cœur, des robes chamarrées- et même une robe toute blanche lors d’une émission littéraire pour demander la main d’un autre invité, le romancier Daniel Pennac. Elle évoqua aussi un de ses tee-shirts sur lequel est inscrit, pour slogan, « Je veux être harcelée »– ce qui, avoua-t-elle, fait le désespoir de ses filles et petites-filles. Elle alla également d’une confidence : « Il a fallu que j’écrive un livre pour adultes pour qu’enfin on parle de moi et m’invite ! »
A 76 ans, née à Newark, New Jersey (comme Philip Roth, l’auteur de « Portnoy et son complexe » ou encore « La Tache »), elle aligne une bibliographie d’environ cent cinquante titres pour la jeunesse. Ce qui lui confère le quasi statut de « papesse de la littérature jeunesse », ce qui devrait inciter également à la modestie ces pseudo-auteur.e.s qui bricolent des histoires en vers libres bourrées de clichés éculés et caricatures grossières, cultivent l’entre-soi et paradent autour de leur nombril sur les réseaux sociaux. Susie Morgenstern, elle, n’a jamais dédaigné ses jeunes lectrices et lecteurs– toujours, elle glisse des mots qui vont les faire réfléchir, éveiller leur curiosité…et quand elle passe à l’écriture « pour adultes », elle reste la même.
«Mes 18 exils» de Susie Morgenstern : l’hymne à la vie
Formidablement pétillante, délicatement enthousiaste, follement exigeante parce que, pour elle, « chaque mot est une bulle de champagne ». Un livre qui s’est imposé à elle lors d’un cours sur les ateliers d’écriture : « On nous a demandé de travailler sur ce mot : exil, confie-t-elle. Tout de suite, s’est imposée à moi une liste de moments de ma vie qui y faisaient écho. Pour moi, cela signifie le changement. C’est changer de peau comme un serpent, un lézard. C’est muer ».
Ainsi, dès les premières pages de « Mes 18 exils », elle annonce : « D’exil en exil, ma vie se déroule. La vie commence d’ailleurs par un exil ». On lit la table des matières. « Exil1. Naître. On est au chaud avec tout ce qu’il faut et puis, à grand-peine et avec violence, nous voilà expulsé du ventre de notre mère. Même si tout le monde y passe, avouez que c’est dur. Pourtant, je n’ai jamais regretté, pas une seule minute, d’être née ». On termine : « Exil 18. Mourir. L’ultime exil, on essaie tous de ne pas y penser. Mais quand on n’en est pas loin, c’est difficile. Ma prière quotidienne : « Merci d’être en vie ! » Restons le plus possible dans cette vie on se plaint mais qu’on aime tant-tant-tant ! »
En près de 300 pages, Susie Morgenstern (se) raconte. Sa vie. Une vie. Septuagénaire, elle dit encore et toujours « Merci la vie ! ». Evoque, en chapitres vivement rythmés, ses exils : entrer à l’école, être loin de ses sœurs, être juive, infiltrée chez les garçons, être intello, sioniste, amoureuse, mère, immigrée, veuve, errer, passer de souris grise à femme fatale, être malade, affronter le syndrome du nid vide, faire le deuil…
Elle a quitté son Amérique natale, voilà maintenant cinquante-quatre ans- et s’amuse, elle qui vit à Nice, de toujours aussi mal maîtriser la langue française et de n’avoir jamais pu gommer son accent (« J’ai bien essayé, mais à présent, c’est trop tard ! »). Elle raconte, avec joie et bonne humeur, également que sa vie a toujours été marquée, guidée, inspirée par l’amour, elle qui a grandi dans une famille « branque » où la douce folie était de mise et où, parce que studieuse, elle faisait les devoirs scolaires de ses sœurs ! L’amour… un des maîtres-mots de Susie Morgenstern. Il y eut, dans le restaurant de l’université de Jérusalem, le coup de foudre pour le mathématicien français Jacques Morgenstern. Pour lui, elle quitte tout ; le suit en 1967 en France, ce pays dont elle ne connaît rien si ce n’est « Charles de Gaulle et Chanel N°5 » !
Elle travaillera pour l’Education nationale, avoue aujourd’hui : « J’étais une escroc ! Je donnais des devoirs aux élèves, et pendant ce temps, j’écrivais mes livres ! Au début, j’avais un vocabulaire de cinquante mots… » Des livres inspirés par son enfance, puis par ses filles et ses petits-enfants ; des livres racontent la vie quotidienne des « kids », comme elle dit- il y eut « C’est pas juste » (Grand Prix du livre pour la jeunesse 1981), « La Sixième » (1984) ou encore « Lettres d’amour de 0 à 10 » (1996).
Des livres qui ont ponctué une vie d’exils– avec l’immigration, le veuvage, l’errement, la maladie, le deuil et « le choc de la mort des plus proches, famille et amis, bouleverse notre équilibre. Ces disparus font de moi un cœur en exil »… Avec « Mes 18 exils », Susie Morgenstern a écrit la belle célébration de la vie. Merci Susie !
Serge Bressan
- Lire : « Mes 18 exils » de Susie Morgenstern. Editions L’Iconoclaste, 306 pages, 19 €.
EXTRAIT
« Être une fille n’est pas un exil en soi. C’est plutôt le fait d’hériter de la déception des parents. Le pire, c’était qu’ils n’avaient aucune autre ambition pour nous. J’étais exilée des grandioses espérances. On était de la chair à marier.
Mes parents ont espéré jusqu’à la dernière minute avoir un garçon, puisqu’à l’époque il n’y avait pas d’ « échographie. A ma naissance, ils ont répété à la famille, comme mortifiés : » A-NO-THER girl ! » Ils ont fini par m’accepter, bien que femelle, mais je n’étais pas dupe. Il fallait que je sois sans reproche, sage, studieuse, silencieuse, ne pas me faire remarquer ».