Un an après l’électrique « Ton corps est déjà froid » avec le groupe Les Beaux-sans-cœur, le chanteur québécois revient avec « Pour déjouer l’ennui ». Un album acoustique dans la grande tradition de la chanson, aux douces et mélancoliques ambiances où il met son cœur à nu et explore avec sensibilité le sentiment amoureux. En attendant son retour sur scène aux Folies Bergère, à Paris, le 30 mars 2020.
Pierre Lapointe: « Je pense que si on veut être un créateur qui tente de toucher l’émotion universelle, le seul moyen, c’est de se mettre en danger. Je dis souvent que j’écris des « petits aveux de défaite. C’est des moments où l’humain se met devant un miroir et laisse tomber des mécanismes de défense »
Il y a des mots qui font un bien fou dans le nouvel album du chanteur québécois Pierre Lapointe. Des vers sensibles posés sur des mélodies très douces qui vont droit au cœur. A l’image de la poétique « Tatouage » chanson d’ouverture de son opus « Pour déjouer l’ennui », où il met son cœur à nu: « Je cache sous ma peau ma peine en tatouage/Comme si mon corps avait pris en otage/Toutes les larmes arrivant des nuages « . Un registre aux ambiances acoustiques où le mal de vivre joue avec les amours bohèmes et les désamours entre joie, mélancolie et rêveries sentimentales. Un disque dans la grande tradition de la chanson composé de 12 ballades romantiques comme autant de pépites et de berceuses « pour petits enfants devenus grands« , réalisé par Albin de la Simone. Un répertoire délicat pour lequel Pierre Lapointe s’est entouré de plusieurs collaborateurs, parmi ceux-ci ses compatriotes Hubert Lenoir, Daniel Belanger ou encore la Française à la voix grave Clara Luciani avec qui il a coécrit l’émouvant duo « Qu’est-ce qu’on y peut ? ». De quoi faire fondre les cœurs entre larmes, désirs et regrets, avec toujours ce sentiment de devoir de se garder de trop aimer pour ne jamais souffrir. En attendant son retour sur scène au Théâtre des Folies Bergère à Paris où il sera le 30 mars 2020.
« Pour déjouer l’ennui » est votre 8ème album. Comment l’avez-vous imaginé ?
Pierre Lapointe : J’ai eu une obsession, travailler sur une chose qui serait extrêmement moderne et intemporel. C’est ce qui m’intéresse dans la mode, dans l’art, voir ce qui va être le nouveau classique, par la solidité de leur racine. C’est à partir de cette réflexion que j’écris beaucoup ces temps-ci. « Pour déjouer l’ennui » qui a été arrangé par Albin de la Simone, est ancré dans une tradition. Je voulais un disque facile et fluide, qu’on puisse écouter un peu comme du Cesária Évora. Que l’on sente la force mélodique, mais que ce soit tout en douceur.
C’est assez osé comme démarche à l’heure du mélange des sonorités, avec un univers presque dépouillé…
Pierre Lapointe : Totalement. J’avais envie de chanter, ce que j’appelle des « berceuses pour enfants devenus grands » , des gens qui ont vécu. C’est un disque qui m’apaise, me fait beaucoup de bien par sa douceur. Ce qui me rend heureux, c’est que c’est en dehors de toute forme de mode, en ce moment où l’on n’est pas du tout dans ces sonorités. Je m’attache encore une fois à une forme un peu classique, en essayant de dégager du beau de tout cela, avec quelques références jazz des années 1950 dans le visuel et dans la façon de poser les structures musicales.
On est souvent ému lors de vos concerts. Comment faites-vous pour créer des chansons qui vont droit au cœur de l’auditeur ?
Pierre Lapointe : C’est plusieurs années de thérapie ! (rires). Depuis que je suis enfant, je suis obsédé par l’idée de comprendre ce qui se passe autour de moi. C’est pour cela que je suis très attiré par toutes les formes d’art, que je voyage beaucoup. Toutes ces expériences m’enrichissent. Je pense que si on veut être un créateur qui tente de toucher l’émotion universelle, le seul moyen, c’est de se mettre en danger. Je dis souvent que j’écris des « petits aveux de défaite ». C’est des moments où l’humain se met devant un miroir et se dit » il n’y a rien qui marche dans ma vie, je suis faible, pas aussi beau que je voudrais, je n’y arriverai jamais ». Pour moi, c’est là qu’il commence à avancer, à être beau, parce qu’il laisse tomber des mécanismes de défense. C’est en étant dans ces états-là que je peux écrire des choses comme ça. Souvent, quand les gens viennent me voir après les spectacles, ils me disent que cela leur fait du bien. J’ai l’impression qu’ils sont encore plus amoureux, seuls, ou plein d’espoir lors de mes spectacles.
Depuis vos débuts vous vous affranchissez des cases. L’idée de liberté vous habite-t-elle en tant qu’artiste ?
Pierre Lapointe : C’est fondamental. Une partie de mon travail est de trouver des sources de financement qui vont me permettre de faire tout vraiment librement en ne faisant pas de compromis. Quand on crée quelque chose, il faut s’adresser à la bonne famille, aux différents publics. Au Québec, ils sont fans, ils écoutent ce que je fais. Ça ratisse très large, il n’y a pas ce truc intello, tout est mélangé. Tandis qu’ici, si je regarde les gens qui viennent me voir, comme à la salle à Pleyel, c’est des metteurs en scène, des directeurs de théâtre, des acteurs, des artistes en art contemporain, c’est Amanda Lear, Pierre& Gilles… Des personnes qui sont dans une famille un peu plus artistique ou qui découvrent mon travail, mais qui sont amoureux d’une tradition de la chanson. J’ai l’impression d’avoir un public qui est plus proche de ce que je suis comme personne.
Comment expliquez-vous ce mélange de mélancolie et d’humour que l’on sent en vous ?
Pierre Lapointe : Si on est hyper lucide, on est obligé de rééquilibrer en souriant, parce que sinon on se tire une balle dans la tête ! (rires). Il y a un humour qui naît d’une certaine forme de cynisme. Je pense que le créateur est un éternel optimiste. Il crée des objets pour que cela aille mieux et que la vie soit plus belle. Il y a un combat intérieur extraordinaire entre une très grande lucidité et une très grande naïveté. C’est un mécanisme de défense que de créer. C’est aussi pour ça que j’essaie de faire des rencontres assez fortes et belles pour me rassurer sur la nature humaine.
C’est votre manière de « déjouer l’ennui » ?
Pierre Lapointe : Exactement. En vieillissant, c’est moins pire, mais j’ai la maladie de l’ennui. Rapidement, je trouve tout ennuyant, même avec les personnes, dont je fais le tour assez vite.
Voir les choses ainsi, n’est-ce pas se condamner à être seul ?
Pierre Lapointe : Non, parce que je suis très agréable au quotidien ! (rires). C’est facile de vivre avec moi parce que je m’amuse avec tout. La vie n’est jamais fixée, ça bouge. Je crois qu’il faut rire, même quand ça ne va pas comme on veut, ça aide à aller mieux. Je ne pense pas que l’amour dure mille ans. L’amitié dure plus longtemps. Ce qui est important, c’est de s’entourer de gens gentils. J’ai des amitiés très colorées, sincères avec des personnes qui ont envie de vivre des choses pas compliquées, intéressantes et riches.
Comment allez-vous traduire les ambiances de votre album sur scène ?
Pierre Lapointe : Une des tournées qui a le mieux marché et où je me suis le moins posé de questions, c’est « Paris Tristesse ». C’est un peu cet esprit-là que je veux recréer sur scène. On sera cinq musiciens. Il n’y aura pas de piano. Ça va être très simple, doux, sans prétention.
Album « Pour déjouer l’ennui » , Audiogram /Columbia. Concert le 30 mars 2020 – Folies Bergère, 32 rue Richer 75009 Paris. https://www.foliesbergere.com/fr
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