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Julien Clerc revient avec l'album "Terrien". Photo Laurent Humbert

Interview. De retour en France après un séjour de cinq ans à Londres avec sa famille, Julien Clerc revient avec « Terrien ». Un album, le 26ème de sa carrière, conscient des réalités du monde où se mêlent mélodies sensibles au piano et sujets sociétaux, porté par la voix émouvante du chanteur. Un disque poétique au tempo chaloupé et déjà un grand classique, qu’il a bien voulu évoquer pour We Culte, avant sa prochaine tournée intitulée « Les jours heureux », qui passera par le Palais des Congrès, à Paris, en décembre.

Julien Clerc: « On est là pour faire des chansons populaires. C’est tout le mérite d’un auteur d’être capable d’évoquer des sujets parfois lourds et d’en faire des chansons, un truc qui se fredonne en faisant réfléchir »

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Julien Clerc revient avec l’album « Terrien ». Photo Laurent Humbert

C’est un album à écouter un jour de mélancolie  et de vague à l’âme. Julien Clerc, sa voix émouvante, ses mélodies romantiques au piano, est là, présence rassurante dans ce monde chamboulé. « Pourquoi n’a-t-on rien fait et que lui a-t-on laissé ? » chante-t-il (« La rose et le bourdon »). Dans « Comment vas-tu ? », il sonde notre blues collectif, perdus que nous sommes dans ce silence imposé « Dis-moi, dis-moi/si ça ne va pas/Si le soleil ne revient pas/ ». Julien Clerc est ce « Terrien » cherchant la lumière qui nous emmène vers des ailleurs bien plus légers. Son nouvel opus au tempo chaloupé s’ouvre par « Mon refuge » sur des mots de Clara Luciani et s’achève par « Automne », seule chanson d’amour du disque, signée Bernard Lavilliers. Entre les deux, on retrouve d’autres auteurs, fidèles complices du chanteur-compositeur (Carla Bruni, Didier Barbelivien, Marc Lavoine…), ainsi que Jeanne Cherchal qui lui a écrit « La jeune fille en feu » sur les femmes victimes de violences sexuelles. Un album sensible et déjà un grand classique, qu’il dévoilera bientôt sur scène lors de sa tournée « Les Jours heureux », qui passera par le Palais des Congrès à Paris, en décembre.

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Julien Clerc. Photo Laurent Humbert

Quel sens vous donnez-vous au titre de votre album « Terrien », en cette période si particulière que nous vivons ?

Julien Clerc : Je crois que tout est dit dans cette chanson. C’est le fait d’être un habitant de cette Terre, qui est à la fois pas grand-chose et en même temps c’est notre maison à tous et donc il faut y faire attention. Comme il est dit dans le texte, « Tu ne seras pas venu pour rien, si tu deviens tout pour quelqu’un ». Cela parle d’amour bien sûr, mais j’ai choisi cette chanson-là parce qu’elle résume bien toutes les thématiques qui ont été abordés par les auteurs dans cet album.

C’est aussi un disque sinon « engagé » du moins plus « concerné » que les autres, où vous abordez des thèmes sociétaux comme l’abus et les violences faites aux femmes, la dépression, le Brexit, l’avenir de la planète, où vous rendez également hommage aux enseignants… Des chansons qui reflètent notre époque plutôt sombre…

Julien Clerc : Oui. Moi, qui ne demande jamais rien aux auteurs, j’attends toujours avec une certaine gourmandise les textes qu’ils m’envoient et ce qu’ils ont décidé de me faire chanter. Je ne leur tiens jamais la plume et je suis obligé de constater cette fois-ci que tous, des plus anciens aux plus jeunes, ont décidé des thèmes plutôt sociétaux. C’est évidemment en rapport avec ce qu’on peut ressentir dans nos sociétés dites évoluées hélas, ces temps-ci. Si c’est ça qui les a inspiré, c’est qu’il y a une raison quand on sait que les auteurs de chansons sont quand même sensés être en prise directe avec le monde et ressentir l’air du temps. On n’est pas là pour écrire des discours, ni faire des conférences, mais pour faire des chansons  populaires. C’est tout le mérite d’un auteur d’être capable d’évoquer des sujets parfois lourds et d’en faire des chansons, un truc qui se fredonne en faisant réfléchir.

Vous êtes de retour en France après un séjour de 5 ans à Londres, avec votre famille. Pourquoi le choix de l’Angleterre?

Julien Clerc : L’Angleterre est un pays si proche, et pourtant exotique, qu’on le veuille ou non. D’abord, c’est une société anglo-saxonne. C’est la première grande différence avec nous qui sommes aux confins des différents pays européens, avec une culture latine qui est très importante. L’ Angleterre est un pays de culture extrêmement fort, insulaire, mais avec un rapport constant depuis le bas Moyen-âge avec la France. L’histoire franco-anglaise est très imbriquée. Pendant deux siècles, il y a eu des régions entières de la France qui ont été anglaises, il ne faut pas l’oublier. Et quand on lit l’écrivain gallois Ken Follet, on voit dans ses romans à quel point la France est présente dans cette histoire anglaise. Je cite  toujours l’exemple de la cathédrale Saint-Paul à Londres. Quand on visite ce lieu magnifique, on s’aperçoit qu’il y a énormément de tombeaux de personnages qui sont morts dans des combats face à la France. A commencer par Nelson, le plus connu d’entre eux, mais il y en a plein d’autres. On est dans une culture non seulement historiquement très riche, mais également musicalement importante, qui depuis le début de la musique pop montre le chemin au monde.

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Julien Clerc: « J’ai toujours eu une histoire personnelle avec l’Angleterre ». Photo Laurent Humbert

Y avez-vous des souvenirs personnels ?

Julien Clerc : J’ai toujours eu une histoire personnelle avec l’Angleterre. Comme beaucoup de Français, très tôt j’ai été envoyé pour des séjours linguistiques. Après, j’ai passé mes premières vacances avec mes copains, en Angleterre. Je me souviens qu’on partait avec ma Simca 1000 à l’époque dans une de ces villes de la côte Sud, dans des caravaning centers, en pleine époque du film « A nous les petites Anglaises » évidemment (rires). J’ai calculé que j’ai enregistré le tiers de mes albums là-bas, ce qui est quand même beaucoup, avec des producteurs et des musiciens anglais. J’ai toujours eu un rapport soutenu avec ce pays, à travers la langue aussi, n’oublions pas que mes études, c’était une licence d’anglais. Il y a eu cette envie à un moment, partagée avec mon épouse, d’aller s’installer là quelques années. On s’est dit qu’on mettrait notre enfant dans une école anglaise. J’ai passé mon temps à faire des allers et retours dans l’Eurostar ou dans ma voiture, un voyage assez gai entre la France et l’Angleterre. Avec cette impression à chaque fois d’arriver dans un pays tellement différent.

Vous avez chanté les plus grands auteurs, Jean-Loup Dabadie, Etienne Roda-Gil et continuez à faire appel aux paroliers d’aujourd’hui, qui sont d’ailleurs souvent des auteurs-compositeurs comme Carla Bruni, Jeanne Cherhal, Didier Barbelivien, Marc Lavoine ou Bernard Lavilliers. Votre épouse, Hélène Grémillon, est romancière. Comment expliquez-vous votre attirance pour les mots, ce goût pour la poésie ?

Julien Clerc : Cela vient directement de mon père. On a été élevés mes sœurs, mes frères et moi par un normalien et bien sûr en ce qui me concerne par deux femmes, ma mère et ma belle-mère qui donnaient une place très importante à la musique. Mais pour les mots, c’est lui évidemment qui était le moteur. Il a été prof de français latin-grec et il a toujours dirigé jusqu’à la première partie de notre vie, nos lectures. Notre père nous influençait beaucoup, c’était un historien. Il avait ce goût pour la poésie, que je ne partageais pas quand j’étais au lycée. Mais, il nous en a tellement parlé que je me suis rattrapé par la suite en choisissant de faire ce métier. En n’étant que compositeur, je me suis rendu compte que j’étais incapable d’écrire mes propres textes. Et donc, toute ma vie, j’ai cherché des auteurs qui me donnent des mots pour que je les mette en musique. Là, ce goût de la poésie que mon père avait vainement tenté de m’inculquer, est revenu.

Quelles sont les personnes qui ont marqué votre vision des choses, sans qui vous ne seriez pas devenu ce que vous êtes ?

Julien Clerc : A part les autres artistes que j’ai pu admirer et évidemment, il y en a eu, ce sont principalement mes propres auteurs, d’abord Roda-Gil. J’ai eu une chance folle de le rencontrer, comme ça au hasard. J’aurais pu tomber comme premier parolier sur quelqu’un de beaucoup moins intéressant, original, atypique, poétique. Au début, j’avais tellement envie que ma musique soit sur un disque, que j’aurais peut-être fait des concessions. J’ai eu la chance de tomber dès le début sur ce type qui ne ressemblait à personne et qui arrivait de nulle part comme moi, avec ce style si particulier. C’est lui qui a imprimé toute la suite. Après, quand je me suis adressé à d’autres, ils connaissaient déjà un peu mon travail, et ils ont bien vu que je ne chantais pas n’importe quoi. Ils se sont donné du mal pour nous rejoindre et tous m’ont très bien servis. Cela continue aujourd’hui encore. Je pense que si un jeune auteur, accepte que je lui demande un texte, ça tient à la fois à tout mon passé, à l’interprète que je suis sans doute, au compositeur – je suppose qu’il doit se dire que je ne vais pas faire n’importe quelle musique – mais aussi à tout mon répertoire. Tout cela, je le dois au travail d’Etienne et par la suite à Jean-Loup (Dabadie), Maxime (Le Forestier), des gens qui sont de fortes personnalités et de grands auteurs de chansons françaises.

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Julien Clerc: « Le piano est vraiment un support harmonique qui me permet d’inventer mes mélodies ». Photo Laurent Humbert

Vous arrive-t-il d’avoir l’angoisse de la page blanche au moment de composer ?

Julien Clerc : J’ai toujours eu peur de ça dès le premier jour. Quand j’ai compris que j’étais capable d’inventer des mélodies, je me suis lancé. En plus, je n’admirais que des gens qui avaient des carrières longues, tout naturellement, je me suis dis, que si je fais ça, c’est moi aussi pour m’inscrire dans la longueur. Dès le début, j’ai eu cette peur parce que je n’avais pas beaucoup de savoir. Je n’avais que mon oreille à ma disposition et ces quelques années de piano classique que ma belle-mère m’avait fait prendre. C’est tout ce que j’avais à ma disposition. Je ne savais pas lire les notes, je ne sais toujours pas d’ailleurs. Je suis très lent quand je dois déchiffrer une partition, je n’étais pas un extraordinaire instrumentiste, malgré ces leçons que j’avais prises. Le piano est vraiment un support harmonique pour moi qui me permet d’inventer mes mélodies. Je ne savais pas à 20-21 ans combien de temps , cela durerait. Je suis étonné moi-même d’avoir encore cette fraîcheur quand je me mets derrière un clavier. Et ça, c’est grâce aux mots. J’ai cet amour finalement de la langue  française et cette envie toujours de m’amuser à mettre des notes sur les mots.

Une carrière dans la longueur à la Charles Aznavour, cela vous tente ?

Julien Clerc : Oui, bien sûr, où à la Bob Dylan chez les Américains, Paul Mc Cartney ou Elton John chez les Anglais, des gens qui ont la chance de pouvoir rester créatifs longtemps.

Diriez-vous que la musique a embelli votre vie ?

Julien Clerc : Complètement ! Elle m’a permis de vivre avec et grâce à elle. J’ai vraisemblablement un côté amateur en moi, que je crois, gardent tous les artistes authentiques. La seule fois où j’ai vu les Rolling Stones en dehors d’une très grande scène, c’est à l’Olympia. J’ai été frappé il y a quelques années, qu’après plus de quarante ans de carrière, ils étaient comme des mômes de 17 ans dans leur garage. Ils avaient cette énergie, cette hargne à faire leur musique. C’est cela que j’appelle « le côté amateur » de la musique, qu’il faut garder toute sa vie. Après, dieu merci, on apprend, on acquiert un savoir-faire

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Julien Clerc: « la finalité de notre métier, c’est de chanter pour les gens ». Photo Laurent Humbert

Vous chantez « tout ce qui m’importe, c’est d’avoir l’amour des gens ». Après 53 ans de succès, est-ce qu’on a encore besoin d’être aimé ?

Julien Clerc : Oui. C’est l’essence même de notre existence. En plus, comme on en prend l’habitude, on n’a pas envie de décevoir, donc on est encore plus en recherche. Je suis très heureux d’être aimé. Dès le début, j’ai eu la chance avant même d’avoir un vrai succès commercial, d’avoir « un carré de fanatiques », comme les appelait Etienne. Tout ce que je cherche c’est d’ abord de ne pas les décevoir. Ils connaissent déjà votre travail, il faut commencer par ne pas les perdre. Ils vous ont vu tellement de fois sur scène, qu’ils vous aiment profondément. C’est pour eux que je travaille. Après, j’espère évidemment toucher le plus grand nombre.

Si les règles sanitaires le permettent, vous serez bientôt en tournée avec « Les jours heureux » et au Palais des Congrès à Paris en décembre. Pourriez-vous vous passer de la magie de la scène ?

Julien Clerc : Non parce que je n’aurais vraisemblablement pas fait ce métier s’il s’était agi d’écrire des chansons -dont le jaillissement reste à chaque fois une très bonne surprise au sens fort du terme. Mais malgré tout, la finalité de notre métier, c’est de chanter pour les gens. C’est le spectacle vivant, cet échange d’émotion chaque soir, ce truc que vous sentez qui, quand il vous a pris jeune, ne vous lâche plus (rires).

Entretien réalisé par Victor Hache

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