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Eric Paradisi publie "Gainsbourg, roman" (c) visuel de couverture

Livres. Il voulait être peintre- un art majeur. Il s’est tourné vers la musique- un art mineur, affirmait-il. Dans un formidable livre, « Gainsbourg, roman », l’impeccable romancier Eric Paradisi lui emprunte, tout en « je », son costume et ses ballerines blanches pour raconter les quarante premières années de sa vie. Un roman pour le temps des métamorphoses.


Eric Paradisi : « Je me suis dit : « pour un livre sur un tel personnage, il faut quelque chose de classieux »


A l’image d’un Spike Jonze, il aurait pu se glisser dans la peau de John Malkovich. Il n’en est rien : romancier de belle réputation (« Un Baiser sous X »– 2010, ou encore « Blond cendré »– 2014), Eric Paradisi s’est paré du costume et des ballerines blanches du créateur de « La Javanaise », du « Poinçonneur des Lilas » ou d’« Aux armes et cætera ». Et nous glisse un formidable livre, « Gainsbourg, roman ».

L’auteur s’est pris au « je » pour raconter une vie aussi singulière que plurielle, en parcourant les quarante premières années de ce Gainsbourg, mon héros. Avec une grâce littéraire et stylistique, Paradisi en Gainsbourg (ou le contraire ? allez savoir !) se balade de 1928, naissance de Lucien Ginsburg à Paris dans une famille juive, à 1968, année durant laquelle Serge Gainsbourg quitte Brigitte Bardot et rencontre Jane Birkin.

« Gainsbourg, roman », c’est le livre des métamorphoses. Celles d’un homme qui, de la laideur physique, a fait une beauté et qui chantait : « La beauté cachée / Des laids des laids / Se voit sans / Délai délai »… Une rencontre exclusive.     

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Eric Paradisi (c) Tereze Wysocki

 

Comment se glisse-t-on dans la peau de Serge Gainsbourg ? Comment en vient-on à écrire en utilisant son « je » ?

        Eric Paradisi. Cette idée, je l’avais en moi depuis très longtemps. Ecrire sur Serge Gainsbourg est, chez moi, un vieux projet- quasiment quand j’étais adolescent. De Gainsbourg alors, je ne connaissais que le personnage que je voyais à la télé et son album reggae, « Aux armes et cætera », enregistré en Jamaïque et sorti en France l e13 mars 1979. Et puis j’ai vu un documentaire à la télé, j’y ai vu un autre homme, mélancolique, timide. Plus je l’écoutais, plus j’avais l’impression de me voir. C’était assez troublant. Et quand il est mort le 2 mars 1991, ce fut pour un choc. Je me suis alors dit : « un jour, je lui ferai un hommage littéraire »

Il vous a fallu attendre plus de trente ans pour passer à l’acte de l’hommage littéraire…

Eric Paradisi. Il me fallait trouver la forme littéraire… et en effet, ça a pris du temps. Mais après la parution de mon précédent roman, « L’Homme sensible » (2018), le fantôme de Serge Gainsbourg est revenu à moi. Je me suis dit : « pour un livre sur un tel personnage, il faut quelque chose de classieux ». J’avais alors « Gainsbourg », la biographie écrite par Gilles Verlant en 1992, et ses albums. C’est tout… Mais pour moi, Serge Gainsbourg est un frère d’âme, une sorte de double. J’imagine assez bien ce qu’il a pu éprouver. J’ai aussi ce côté très mélancolique.

Pour « Gainsbourg, roman », vous avez opté pour le « je ». Est-ce une facilité technique ?

Eric Paradisi. Jusqu’alors, j’ai écrit tous mes romans à la première personne du singulier. Pour moi, écrire c’est avant tout un travail d’acteur. On prend les habits du personnage, on imagine ses pensées, ses émotions… Et puis, un soir, la première phrase m’est apparue : « J’ai passé ma vie dans une bulle et je n’ai rien fait pour retarder l’explosion ». Gainsbourg aurait pu l’écrire.

Vous vous êtes accordé quelques libertés sur cette première partie de vie de Gainsbourg qui court pendant quarante ans, entre 1928 (sa naissance) et 1968 (la rencontre avec Jane Birkin) ?

Eric Paradisi. Qu’on soit bien d’accord, je n’ai pas écrit une biographie de Gainsbourg. C’est romancé du début à la fin, même si tout est vrai.

 Votre premier souvenir de Serge Gainsbourg ?

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Eric Paradisi (c) Tereze Wysocki

Eric Paradisi. Une émission télé, mais ce n’était pas encore le coup de foudre même si j’aimais bien son côté provocateur. Un peu plus tard, j’ai découvert Lucien Ginsburg… et puis, l’album reggae. Mais il ne faut pas oublier qu’entre 1958 et 1962, il ne voit que par le jazz !

Qu’avait-il de si différent, de si unique ?

Eric Paradisi. Il voulait être à l’avant-garde. Peintre, il ne voulait pas peindre comme Picasso, il voulait être le nouveau Picasso. Au début de sa carrière de musicien et chanteur, ses albums ne se vendaient pas, il était désespéré. Plus tard, quand il écrira un roman, « Evguenie Sokolov » (1980), les ventes ne seront pas terribles… Pareil avec le cinéma. Une seule chose l’intéressait : être à l’avant-garde de l’art, quel qu’il soit…


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… avec une ambition immense…

Eric Paradisi. Il voulait révolutionner. En peinture, il affirmait : « Je serai le nouveau Courbet ou rien »– malheureusement, il n’avait pas le talent de son ambition…

Ainsi, il bifurque vers la musique et la chanson…

Eric Paradisi. Comme il l’a souvent dit, il est alors passé d’un art majeur à un art mineur. D’ailleurs, son père lui avait suggéré de faire profession de la musique : « Au moins, avec la musique, tu ne crèveras pas de faim ». Dans les années 1950, il donne « La Javanaise » à Juliette Gréco, il écrit aussi « Le Poinçonneur des Lilas »… Le label Philips lui propose de chanter, et lui offre un contrat en 1958- il accepte, contraint et forcé. Il aurait souhaité rester dans l’ombre, il est devenu chanteur par la force des choses…

… tout en continuant à travailler pour les autres, surtout des chanteuses…

Eric Paradisi. Il a refusé de collaborer avec les vedettes de la vague yé-yé, Johnny Hallyday, Eddy Mitchell… Il déteste également ce qu’on appelle la variété. En 1965, on lui demande d’écrire et composer une chanson pour France Gall qui va représenter le Luxembourg à l’Eurovision. Il accepte, il dit : « J’ai retourné ma veste, elle était fourrée en vison ». Avec « Poupée de cire, poupée de son », France Gall, 17 ans, gagne. Gainsbourg fera un seul commentaire : « Cette chanson, c’est 45 briques ! »

Revenons sur l’ambition…

Eric Paradisi. Gainsbourg, c’est la revanche d’un petit Juif russe qui se rêvait comme LE peintre de l’après-guerre. Ça n’a pas fonctionné, il s’est mis au service de la musique. Il voulait une revanche sur la vie, sur sa laideur mais il n’était pas prêt à tout- la preuve, il a composé des albums de jazz de grande qualité. Oui, il était ambitieux mais avec des règles !

Gainsbourg, très tôt, c’était aussi un « homme à femmes »…

Eric Paradisi. Il ne s’est jamais caché avoir, très jeune, découvert la femme avec les prostituées. A 19 ans, il est avec Elisabeth, une femme ravissante de deux ans son aînée, sa première femme « non tarifée » comme il se plaisait à le dire… et jusqu’à la fin de ses jours, il restera un grand romantique, un « homme à femmes » qui avait, il ne s’en cachait pas, « faim de sexe » !

En quelques mots, votre Gainsbourg, ce serait…

Eric Paradisi. Empathie. Sensibilité. Mélancolie. En me glissant dans la peau de Serge Gainsbourg, j’ai enfin fait le lien entre mon adolescence et ma vie d’adulte…

Serge Bressan

  • A lire : « Gainsbourg, roman » d’Eric Paradisi. Editions de L’Archipel, 356 pages, 22 €.

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Extrait

« En sortant de chez Prévert, j’ai buté contre les pavés de l’impasse. Jamais je n’avais été soûl de si bonne heure. En si bonne compagnie. Sur le pas de la porte, il m’avait dit d’une voix à peine éraillée : « On dit que je m’enivre, mais je suis intoxiqué par la vie ». Cet aphorisme qui me ressemblait tellement tournait dans ma tête tandis que je tanguais légèrement en descendant la rue Blanche. Pas pour franchir la porte d’un bar à putes. Les enseignes étaient toutes muettes et mon vague à l’âme bien trop lourd malgré les bulles. Je n’allais pas non plus à la Sacem, mais à l’angle de la rue Ballu, je suis tombé nez à nez avec un travesti de chez Madame Arthur. J’y emmenais toujours mes conquêtes et, pendant le spectacle, j’essayais de deviner lequel de leurs sourires s’apparenterait à celui du plaisir. « Qu’est-ce que tu fais là, mon Sergio ? » m’a demandé Ginette. Je lui ai marmonné que je rentrais chez moi ».


 

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