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François Cheng publie "Une longue route pour m'unir au chant français" (c) Philippe Matsas/ Leextra via Opale Images

Livres. Né en Chine, François Cheng est arrivé à Paris à peine âgé de 20 ans sans parler un mot de français. Il a connu le dénuement et la solitude, été élu à l’Académie française et est un poète parmi les plus connus. Il se raconte dans « Une longue route pour m’unir au chant français », un livre aussi étourdissant qu’éblouissant.


François Cheng : « Une longue route pour m’unir au chant français »


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François Cheng : « Une longue route pour m’unir au chant français « 

 

L’un dit : « Il est sourcier, calligraphe, peintre ». Un autre précise : « Il est un poète initié par Rilke ». A 93 ans, François Cheng est un des poètes français parmi les plus connus, les célèbres. Membre de l’Académie française depuis le 13 juin 2002 où il siège au fauteuil 34 et y sera à jamais le premier Asiatique élu, il se pose pour un regard en mode rétro- ce qui donne, une fois encore, un texte somptueux au titre délicieux : « Une longue route pour m’unir au chant français ».

Un texte somptueux pour une histoire aussi étourdissante qu’éblouissante. Un texte autobiographique qui n’a rien de l’autocomplaisance si fréquente dans ce genre d’exercice. Le texte d’un passeur entre deux rives, d’un constructeur de ponts qui n’abolit pas les différences…

A Nanchang (province du Jiangxi), Cheng Chi-hsien (程纪贤, en calligraphie chinoise), est né chinois le 30 août 1929. Il deviendra François Cheng (en référence à saint François d’Assise) et sera naturalisé français en 1971. Jusque-là (et aujourd’hui encore), sa vie fut une longue route. Il grandit dans une famille de lettrés et d’universitaires, et étudie à l’université de Nankin. En 1948, avec, pour bagages, une anthologie avec des textes de Shelley, Keats, Schiller, Goethe, et le manuscrit d’un poème qu’il a écrit à 14 ans, titré « L’Eau » : « La vie n’est jamais un état fixe / elle est toujours en devenir », il arrive en France avec ses parents, le père ayant été nommé à Paris à l’Unesco en tant que spécialiste des sciences de l’éducation.

L’année suivante, la guerre civile faisant rage au pays, la famille émigre aux Etats-Unis ; le jeune homme, à peine 20 ans, décide de rester en France et justifie sa décision, par sa passion de la culture française. Ce sera le temps des « vaches maigres »- dénuement et solitude ; ce sera aussi le temps de l’étude de la langue et de la littérature françaises. Ainsi, dans les années 1960 après l’obtention du diplôme de l’Ecole pratique des hautes études (EPHE), il enseigne au Centre de linguistique chinoise puis sera chargé d’un cours, en 1969, à l’université Paris-VII.



Ce sera aussi le temps où il traduit des poèmes français en chinois et des chinois en français… en 1974, naturalisé français trois ans plus tôt, il est maître de conférences puis professeur à l’Institut national des langues et civilisations orientales. Lors de son arrivée en France en 1949, François Cheng ne parlait pas un seul mot de français…

En ouverture d’« Une longue route pour m’unir au chant français », l’auteur confie : « De par mon itinéraire passablement hors norme, je suis devenu un être complexe qui échappe à ma propre compréhension… Durant le confinement, j’ai ainsi pu lire un ouvrage que je venais de recevoir, rassemblant les interventions d’un colloque qui avait eu lieu un an auparavant à l’université Bordeaux-Montaigne. Nous étions en 2020. Le monde entier faisait face au ravage d’un virus meurtrier, et chaque personne faisait face à son propre destin. Moi-même, parvenu à l’âge de quatre-vingt-onze ans, me voilà acculé à jeter un regard sur le chemin parcouru… » Et quel chemin parcouru depuis ce départ de Nankin, en 1948 !

Longue route, cheminement patient, aventure poétique… et le grand écrivain et poète Claude Roy (1915- 1997), un jour, d’évoquer François Cheng, « un vivant démenti de l’adage de Kipling selon lequel l’Est et l’Ouest ne peuvent se rencontrer tout à fait ». Après de nombreuses publications, il connaît une première consécration en 1998 avec l’attribution du prix Fémina pour « Le Dit de Tianyi », un texte dans lequel il raconte un voyage en Chine lors duquel il retrouve le peintre Tianyi qu’il avait connu dans le passé et qui lui remet ses confessions- résumé du livre : Tianyi a vécu l’avant-guerre dans une Chine imprégnée de traditions, il est parti en Occident où il a vécu la misère et découvert une autre vision de la vie et de l’art, revenu dans un pays soumis aux bouleversements de la révolution, tente de retrouver des êtres chers mais la vie les emmène tous dans des tourmentes…



Tout l’art de François Cheng et son amour immense pour la langue française sont dans ce livre- tout comme dans « Une longue route pour m’unir au chant français ». Et avant de fermer (avant d’y vite revenir) cette « Longue route… », on écoute François Cheng de sa voix douce, lente et posée : « Que de fois te supposant loin / nous sentons Mort / ton haleine sur notre nuque / Que de fois te cherchant ailleurs / nous surprenons / ton ombre à nos talons »… Et c’est ainsi que François Cheng est le poète définitif de l’authentique et de l’universel.

Serge Bressan

  • A lire : « Une longue route pour m’unir au chant français » de François Cheng, de l’Académie française. Albin Michel, 258 pages, 17,90 €.
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François Cheng (c) Philippe Matsas/ Leextra via Opale Images

EXTRAIT 

« Sur le plan littéraire, une question se pose : la fameuse « clarté » française ne nuit-elle pas à des expressions proprement poétiques ? L’interrogation est pertinente, mais il convient de se rappeler alors que durant le glorieux XXème siècle eut lieu la « révolution du langage poétique », expérience qu’aucune autre langue n’a connue à ce degré. Je tiens à intérioriser lucidement cette expérience par moi-même. J’en témoigne ici non pour donner une leçon scolaire, mais pour dire comment j’ai personnellement reçu, vécu cette évolution de la poésie française, avec l’exemple de poèmes que je connais tous par cœur ».

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