Le Book Club de We Culte. Avec Heroïne, Dot Pierson nous offre un roman coup de poing sur une femme qui refuse de vieillir sagement. Anna a tout vécu : la gloire, les excès, sept maris, la drogue, l’abandon. À 89 ans, elle décide que sa sortie de scène lui appartiendra. Un chant du cygne furieux et magnifique.
Héroïne : Le livre de Dot Pierson rend hommage à toutes celles qui combattent contre la bienséance, les conventions, la mort elle-même

« Anna avait été une femme affolante qui n’avait d’autre velléité que celle de profiter de tout : des corps, des expériences, des chemins de traverse. Elle voulait tout posséder, tout ressentir, tout réaliser, tout expérimenter. Elle avait tout cramé par les deux bouts, chandelle comprise. Anna aimait l’alcool mondain et la drogue quotidienne. ». Voilà Anna. Tout est dit.
Ce roman est d’abord un chant du cygne furieux, celui d’une femme qui a connu son heure de gloire en tant qu’actrice et chanteuse. À vingt et un ans, elle chante dans les cabarets parisiens. Des disques, du cinéma, des spectacles. Puis l’oubli. Ce flop cuisant pour son plus beau rôle : Norma, dans Casta Diva de Bellini. À peine quelques milliers de spectateurs.
La chute commence là, dans la rue de Rennes, au son de cet opéra qu’elle avait tant travaillé. Elle s’effondre en pleine rue, en robe Valentino orange, « une flaque du meilleur goût sur tout ce triste gris ». Fracture du col du fémur. Le verdict tombe comme une sentence : « Et merde, elle était devenue vieille. »
Mais Anna refuse. Elle a toujours travaillé, gagné son argent. Alors quand le mot « Ehpad » traverse les lèvres d’un médecin, quelque chose se brise définitivement. Non. Elle ne mourra pas là. Pas dans « un endroit pareil, qui pue le vieux, qui sent le désespoir ».
Elle veut retrouver sa maison du Cap Ferret, retrouver les odeurs, les couleurs, les sensations qui l’ont accompagnée tout au long de sa vie, retrouver aussi le souvenir de sa roche vie amoureuse. Jean d’abord, son premier mari et leur union qui n’aura tenu que six mois. « Elle, qui se voulait libre et volage, finit cependant par se marier avec lui. Elle eut envie d’être une belle-de-jour durant plus longtemps qu’une passe. »
Puis Marcelin, marin pêcheur rencontré au cap Ferret, mort en mer l’année suivant leur union. Octave ensuite, père toxicomane de ses deux enfants, Alexandre et Isabella, décédé d’une overdose. Tommaso enfin, le coupeur de feu italien, happé par un train. Sept compagnons en tout. Sept chapitres d’une vie dévorante.
Ce portrait de femme qui orchestre son départ comme une œuvre d’art vous transperce d’émotions. Comme ce cri de révolte : « J’ai toujours vécu avec panache, je ne crèverai pas sans être digne. Je veux la choisir, ma mort. Je veux la mettre en scène. Je veux qu’elle soit grandiose et mémorable. (…) J’ai joué la Callas, merde ! Je mourrai comme elle ! Je veux me suicider ! »
Le livre rend hommage à toutes celles qui combattent contre la bienséance, les conventions, la mort elle-même. De la cocaïne au LSD, elle a tout essayé pour « faire un pied de nez à sa conclusion ».

Un style qui épouse parfaitement la fougue d’Anna. L’écriture, qui frappe par sa poésie crue, est faite de phrases courtes, sèches comme des gifles.
Dot Pierson a écrit ce roman d’une manière aussi singulière que son héroïne. Un chapitre envoyé à sa correctrice chaque semaine, avec la promesse de poursuivre. Trois mois pour terminer un récit dont on sent la fièvre, l’énergie brute.
Du reste, l’autrice ne s’est pas arrêtée au livre. Elle propose aussi un spectacle autour de sa fiction « pour célébrer les héroïnes d’hier, d’aujourd’hui et de demain ». Anna y est tout autant insupportable, égoïste et magnifique. Elle aura tout dévoré, jusqu’à sa propre fin.
Henri-Charles Dahlem
- Héroïne, Dot Pierson. Éditions Abstractions. Roman 250 p., 17,99 €. Paru le 12/09/2025

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A propos de l’autrice

Dot Pierson est autrice, metteuse en scène et musicienne. Artiste multidisciplinaire survoltée, ses sujets de prédilection sont la féminité et l’intime, le rapport à l’autre et à soi, le corps et les relations humaines. Son écriture, viscérale et sensible, mêle humour noir, poésie et profondeur pour interroger les masques sociaux, les blessures familiales et les chemins de résilience. À la manière d’une conteuse moderne, elle convoque les voix invisibles, les archétypes et les mémoires pour faire surgir l’essentiel : une parole incarnée, libre, puissante. Après Douze : Petit précis de pornographie (Le Nouvel Attila, 2019), Dot Pierson signe son retour littéraire chez Abstractions avec Héroïne. (Source : Éditions Abstractions).





