Le book club de We Culte/Le bel été des livres de poche. L’été ne finit jamais tout à fait quand il reste des livres à lire. Profitez des longues journées de juillet août pour savourer ces instants où le plaisir de lire s’affirme comme une douce résistance. Voici dix romans parus en poche, choisis pour ce qu’ils racontent du monde et de nous, pour les voix qu’ils portent, les paysages qu’ils traversent, les émotions qu’ils laissent en mémoire.
Il y a des romans qu’on lit comme on suit une grande fresque historique, le souffle court, les yeux brillants. Filles du ciel de Michel Moutot est de ceux-là. De la fonderie des ateliers parisiens à l’ombre de la Tour Eiffel, en passant par les terres sauvages du Massif central et les docks new-yorkais, on suit la destinée d’une poignée d’ouvriers, de visionnaires, d’invisibles. À travers eux, l’auteur célèbre l’ingénierie française de la fin du XIXe siècle – celle qui éleva la Statue de la Liberté et le viaduc de Garabit – tout en orchestrant une intrigue menée tambour battant. Entre épopée technique, vengeance intime et destins féminins, c’est un pur bonheur de lecture.
Autre époque, autre souffle. Dans Veiller sur elle, Jean-Baptiste Andrea orchestre la rencontre d’un sculpteur de génie et d’une jeune femme de la haute société italienne. Dans l’Italie du siècle passé, entre l’ombre du fascisme et les silences d’un amour impossible, ce roman dessine la beauté d’un lien secret, celui d’un homme et d’une femme que tout oppose, mais que l’art et le destin lient à jamais. Ce livre est une offrande, un chant à la beauté, à l’amitié, à la loyauté. Un chef d’œuvre.
Panorama de Lilia Hassaine imagine une France post-révolutionnaire où règne la Transparence. Caméras, biométrie, notation sociale : tout est sous contrôle, tout semble parfait. Jusqu’au jour où une famille exemplaire disparaît sans laisser de traces. En suivant l’enquête d’un ancien policier, la romancière tisse une dystopie inquiétante, mais terriblement crédible. Elle interroge nos choix collectifs, la tentation sécuritaire et le prix de l’apparente harmonie.
Western, le roman mordant de Maria Pourchet, met en scène deux exilés de la vie parisienne : un acteur désabusé et une mère célibataire, réfugiés dans un village du Lot. Leur rencontre, d’abord grinçante, devient le miroir d’un monde en mutation. À travers eux, la romancière ausculte les crispations de la société contemporaine, la charge mentale, les rôles de genre, et le besoin d’un ailleurs. Un roman qui claque comme une gifle, mais laisse un goût de lumière.
L’ailleurs, il est aussi géographique et flamboyant dans Matador Yankee, premier roman audacieux de Jean-Baptiste Maudet. On y suit un torero américain, paumé magnifique, entre Mexique et États-Unis. Son rêve de gloire, ses errances, son costume de lumière dans un monde en décrépitude donnent à ce roman une tonalité picaresque, drôle, désespérée. Un roman libre, fougueux, inattendu.
Blanches de Claire Vesin plonge au cœur de l’hôpital. Pas celui des séries télévisées, mais celui du réel, avec ses doutes, ses douleurs, ses heures sans fin. On y découvre, à hauteur d’humain, le quotidien d’une interne et celui d’une infirmière, les gestes mille fois répétés, les absences de moyens, l’usure des corps et des âmes. Un premier roman bouleversant, qui dit sans pathos mais avec justesse ce que soigner veut dire quand tout vacille autour.
Plus méditatif mais tout aussi saisissant, Déserter de Mathias Enard entremêle deux voix. Celle d’un jeune appelé qui ne veut pas faire la guerre, et celle d’un vieil homme marqué à jamais par Buchenwald. Entre passé et présent, entre la mémoire des camps et les guerres à venir, le romancier tisse un texte à la fois lyrique et politique, traversé par les mathématiques, la poésie, et le besoin impérieux de fuir. Un livre dense, exigeant, inoubliable.
Avec La face nord, Jean-Pierre Montal signe une jolie variation autour du cinéma et des rendez-vous manqués. Deux cinéphiles, troublés par le chef-d’œuvre Elle et Lui, projettent leur propre histoire amoureuse dans cette fiction culte. Leur attirance, douce, ironique, suspendue, dit quelque chose de notre rapport aux films, à la mémoire, aux illusions. Un roman tout en finesse et en humour, qui joue avec l’élégance du noir et blanc.
La langue de Marion Fayolle, dans Du même bois, mérite le détour. En raconte, tout en sensualité, le quotidien d’une famille de paysans vivant sous le même toit. Elle donne à entendre la beauté rude du monde rural, la lenteur des jours, les efforts pour rester debout malgré les dettes, la solitude, le silence. On y sent la neige, le bois qui craque, les mots retenus. Un roman terrien, poétique, profondément humain.
Enfin, Ce que je sais de toi d’Éric Chacour nous emporte dans une quête intime qui relie Le Caire à Montréal. Le narrateur, médecin égyptien en exil, revient sur les blessures de l’enfance, les non-dits familiaux, l’amour interdit qu’il a dû taire. Ce premier roman impressionne par sa maîtrise, son intensité, sa pudeur. Il dit l’exil intérieur autant que géographique, la douleur de devoir partir et celle de ne jamais pouvoir dire.
Dix romans, dix façons de prolonger l’été, de faire durer les heures calmes où l’on lit sans rien attendre que le plaisir du texte. Dans cette nouvelle sélection, l’histoire, l’amour, la politique, le soin, le silence et la parole se répondent. Et parce qu’il reste tant d’autres livres à découvrir, une troisième chronique de dix poches suivra bientôt. Lire encore, lire toujours.
Henri-Charles Dahlem
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