Le book club de We Culte. Dans son nouveau roman « Les Echappées », Renaud Blondel est parti sur la trace de dix femmes victimes d’oppression. Dix femmes qui prouvent combien leur combat pour l’égalité des droits, pour la fin de traditions patriarcales qui n’ont plus lieu d’être ou encore pour davantage de liberté est loin d’être gagné. Des récits forts et émouvants et un voyage autour d’une planète devenue folle.
« Les Echappées » : Dix femmes, dix destins pour un récit fort et émouvant et un voyage autour de la planète devenue folle.
Le livre s’ouvre sur la nouvelle tentative de Ji de fuir la Corée du Nord. Victime d’un régime sans pitié, elle déjà tenté d’échapper aux sbires de Kim Jong-il, mais sans succès jusque là. Ayant compris qu’il était illusoire de vouloir franchir le no Mans Land qui mène en Corée du Sud, elle a choisi de gagner la Chine, moins surveillée, et de trouver dans l’empire du milieu le moyen de gagner Séoul. Son rêve va se transformer en cauchemar, s’achever dans l’horreur.
Cette première histoire donne le ton. Car « Les Échappées » n’est pas un recueil de témoignages ou de reportages, mais bien de dix récits littéraires – presque des nouvelles – qui racontent les vies brisées et reconstruites, parfois à peine, qui bousculent et bouleversent. Dans un tour du monde de l’oppression, on va suivre les combats de Pia, inuite vivant au Groenland, victime d’une politique inique mise en place par gouvernement danois. Contrainte, comme des milliers d’autres femmes, à ne pas avoir d’enfant, elle sera avortée de force. Une opération qui a tout d’une boucherie, qui la laissera exsangue mais en vie.
On partira en Inde où Laxmi sera défigurée par une attaque à l’acide, châtiment pour
« celles qui ne cèdent pas aux avances, celles dont la fidélité est en cause, celles qui se soustraient à l’autorité de l’homme, celles qui portent atteinte à son honneur… » Dans un pays où la génisse a plus de droits que la femme, Laxmi parviendra cependant à se reconstruire, dans tous les sens du terme.
Puis viendra l’histoire de Zita, réduites à l’esclavage en plein Paris. Venue des Philippines, elle est engagée par la famille Vidal. Cette dernière, sous des dehors bien sous tous rapports, va se transformer en esclavagiste moderne et démontrer que l’oppression n’est pas l’apanage des régimes autoritaires. Mais Zita va se rebeller et trouver le moyen de sortir de sa condition.
Puis viendra Khider Kathoon qui se bat pour sa communauté yézidie, de Hiyori Kon qui entend donner un statut aux femmes-sumo, de Yayi Bayam Diouf, qui ne veut plus voir ses proches émigrer et mourir, de Glass Mercano, partie de rien pour réussir à devenir une musicienne reconnue sur la scène internationale. Et après Nadia Nadim, qui a fui l’Afghanistan pour devenir footballeuse puis médecin, le recueil se conclure sur le combat de Teodora Vasquez pour les détenues du Salvador.
Blondel collecte, écoute, puis restitue — avec une retenue qui n’étouffe jamais l’émotion — les récits de femmes aux trajectoires cabossées par la violence des hommes, des régimes, des dogmes. Il nous donne à lire ce que le mot « oppression » signifie concrètement.
L’excision, la servitude domestique, le mariage forcé, le viol comme arme de guerre, la réclusion sociale : autant de réalités souvent reléguées aux marges de l’actualité ou diluées dans le confort de l’indignation molle. Ici, tout est chair, douleur, volonté. Et surtout, tout est résistance.
Renaud Blondel, qu’on a connu scénariste (« Les Herbes folles », « Un héros très discret ») avant de passer au journalisme de terrain, s’efface derrière la parole de celles qu’il a rencontrées, choisissant une écriture sobre, sans effets, mais tendue comme un arc. Il ne cherche pas à moraliser, encore moins à culpabiliser. Son regard est humain, engagé, lucide.
Sa galerie (voir ci-dessous), est en quelque sorte un sismographe de notre époque. Il mesure les secousses, les répliques, et surtout les zones de fracture. Il rappelle que les droits que nous croyons acquis sont encore, pour beaucoup, des privilèges hors de portée. Et qu’à travers ces voix de femmes, ce sont aussi nos silences que l’on entend. À lire pour comprendre. À relire pour ne pas oublier.
Henri-Charles Dahlem
- Retrouvez cet article ainsi que l’ensemble des chroniques littéraires de Henri-Charles Dahlem sur le site Collection de livres«
- Les Échappées« Renaud Blondel. Éditions Blacklephant. Roman 234 p., 17,90 €. Paru le 13/06/2025
Galerie (les dix femmes qui ont inspiré Renaud Blondel)
Ji Hyeon-A vit à Séoul. Sous protection. Elle est l’une des principales voix féminines transfuges de Corée du Nord. Activiste remarquée des droits de l’homme, elle dirige ou orchestre des associations d’aide aux NordCoréens. Autrice et conférencière, elle a été un témoin essentiel pour l’ONU et le Congrès américain. Photo DR
Pia Larsen se fait discrète dans les médias. Probablement partage-t-elle sa vie entre la mer et l’hôpital. Sa fille Heidi naviguerait à son tour avec son propre bateau avec ce même sens de l’exploration. Photo Galya Morrell
Laxmi Agarwal dirige activement The Laxmi Foundation. En 2014, elle a reçu des mains de Michelle Obama le prix international Women of Courage. En 2019, sa campagne « Stop Sale Acid » est récompensée du prix international de l’autonomisation des femmes de l’Unicef. L’iconique actrice indienne Deepika Padukone a interprété son personnage dans le film « Chhapaak ». Photo DR
Zita Cabais-Obra couvre tous les fronts pour venir en aide aux victimes de la traite des êtres humains. Si elle pèse dans les instances internationales, elle reste, avec son association, une femme de terrain, disponible et attentive. Elle a apporté à l’auteur son précieux témoignage. Photo Pierre Gautheron
Khider Kathoon est probablement toujours engagée. peu d’informations filtrent aujourd’hui. La situation reste instable et la condition yézidie enfin considérée par la communauté internationale. Photo DR.
Hiyori Kon poursuit le combat. Sur le dohyō, avec la pratique du shin-sumo et un palmarès qui s’étoffe encore sur la scène internationale dans les médias, avec un plaidoyer entendu sur l’égalité des droits des femmes. En 2019, elle figure sur la liste BBC des cent femmes les plus inspirantes et les plus influentes de l’année. Photo DR
Yayi Bayam Diouf reste très active pour son collectif de femmes. Souvent, elle intervient dans les médias pour dissuader de l’immigration clandestine. Inlassablement, elle promeut l’émancipation. Photo Equitas.com
Glass Mercano suit son destin. Elle s’aguerrit à l’Opéra de Paris, avec les plus grands. Elle est invitée à se produire avec des formations toujours plus prestigieuses. L’étoile n’en finit plus de monter. Elle a apporté à l’auteur son précieux témoignage. Photo DR
Nadia Nadim a exaucé son rêve en devenant médecin. Elle pratique aux États-Unis après une carrière sportive qui l’aura Conduite aux sommets. Elle se raconte dans l’autobiographie “Mon histoire » et dans le documentaire d’Anissa Bonnefont « Nadia, de l’ombre à la lumière ». Elle s’engage souvent pour son pays, pour le sport ou pour l’égalité des sexes. Elle a été ambassadrice de l’Unesco en 2019 et, plus controversée, de la récente coupe du Monde 2022 au Qatar. Photo DR
Teodora Vasquez vient toujours en aide aux détenues, en prison, avec le programme « Mujeres en el camino ». Elle se consacre à la défense des femmes et à la dépénalisation de l’avortement au Salvador. Photo Amnesty International
A propos de l’auteur
Publicitaire, Renaud Blondel est aussi un auteur et un infatigable voyageur. Il parcourt le monde, souvent loin des sentiers battus, curieux de l’ailleurs et des cultures. Et quand il est touché par un destin, comme il le fut avec l’ex-otage au Mali Serge Lazarevic, c’est pour se faire le passeur d’histoires fortes et vécues. (Source : Éditions Blacklephant)