ragnar jonasson
L'écrivain islandais Ragnar Jónasson publie "La dernière tempête", Un grand polar, terriblement en résonnance avec l’actualité

Livres We Culte. L’Islande pour le nouveau polar de Ragnar Jónasson, le monde de l’hôpital le temps d’un confinement avec Thomas Lilti, Londres débordé par une pandémie vu par le romancier Peter May, l’amour et un hymne à la différence contés par Isla Mosley et, au crépuscule de leur vie, un homme et une femme évoqués par Marie Pavlenko. Voici nos cinq suggestions de lecture pour la semaine.       

livre la dernière tempêteRAGNAR JÓNASSON : « La dernière tempête »

    L’ordinaire an début d’un jour de février 1988. « Hulda Hermannsdóttir ouvrit les yeux. La fichue torpeur qui l’enveloppait refusait de se dissiper. Elle aurait voulu dormir toute la journée ; même ici, au commissariat, sur cette chaise inconfortable ». On est en Islande, Hulda est policière et Snorri, son supérieur, a remarqué que depuis son retour de congé deux semaines auparavant, elle n’a réussi à plonger dans ces dossiers qui s’entassent sur son bureau. Enquêtrice de police tourmentée, Hulda, on l’a déjà croisée dans les deux précédents tomes de « La Dame de Reykjavik », la trilogie de Ragnar Jónasson, 45 ans, grand lecteur et traducteur d’Agatha Christie, tenu pour l’un des plus brillants auteurs de polars du Grand Nord avec plus d’un million de lecteurs en France, et qui met en scène son héroïne à différents âges de sa vie. Avec « La dernière tempête », le romancier boucle là sa trilogie- et de belle manière avec une enquête pour le moins haletante ! Ainsi, vingt-cinq ans avant le premier volet de la saga, deux histoires de familles s’entrechoquent- deux drames qui se répondent l’un à l’autre. Hulda a alors 40 ans, travaille comme enquêtrice à Reykjavik et doit faire face à une tragédie intime, tandis qu’à l’est du pays-île qu’est l’Islande pris dans une tempête de neige, un couple vit dans une ferme isolée quand une visite inattendue le fait basculer dans l’horreur avec un invité indésirable, un inconnu qu’il n’aurait jamais dû laisser entrer. « Ils l’ont pourtant fait »… Un mensonge. Un meurtre, la mort qui frappe en ce jour de Noël aux deux bouts du pays… Chargée de l’enquête, Hulda Hermannsdóttir très longtemps sera hantée, obsédée, perturbée par les fantômes du drame. Sur un rythme trépidant avec nombre de chapitres ne dépassant pas les trois pages dans « La dernière tempête », Ragnar Jónasson donne la meilleure des réponses à la question posée par le quotidien londonien « The Times » : « Ne serait-il pas le meilleur auteur de romans policiers de notre époque ? »

« La dernière tempête » de Ragnar Jónasson. Traduit par Jean-Christope Salaün. Editions La Martinière, 336 pages, 21 €.

THOMAS LILITI : "Le Serment"THOMAS LILITI : « Le Serment »

Dans une première vie professionnelle, il fut médecin. Puis il s’est glissé derrière une caméra. Pour le cinéma, pour la télé. Ainsi, en 2014, Thomas Lilti présentait son premier film, « Hippocrate » (vu à la Semaine de la Critique à Cannes, omniprésent aux Césars avec la victoire pour le meilleur second rôle masculin et six autres nominations…). Et puis, la pandémie covidienne a frappé l’Europe, « je ne pouvais plus me cacher derrière la fiction », confie Lilti. Il renfile la blouse de médecins. Les urgences « où je vais bientôt découvrir la partie de l’hôpital en activité, celle que je connais le moins ». Dans « Le Serment »– intense essai-témoignage, il écrit aussi : « Je ne sais pas à quel point je suis légitime pour parler, j’ai le sentiment aussi qu’il me faudrait plus de recul. Peut-être que cette prise de notes m’a permis de conserver mes souvenirs… » Le temps d’un confinement, Thomas Lilti est redevenu médecin- prêter main forte au personnel de l’hôpital Robert-Ballanger à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), lui qui a longtemps, étudiant, de sa faculté à « être un bon médecin », un médecin qui n’oubliera jamais le fameux serment d’Hippocrate : « Quoi que je voie ou entende, je tairai ce qui n’a jamais besoin d’être divulgué ». Dans un entretien à un quotidien, il a précisé : « Et même si ce retour à l’hôpital en tant que médecin volontaire bénévole m’a rappelé pourquoi je l’avais quitté, j’ai été saisi d’une forte émotion ». Parce que, au fil des pages de « Le Serment », Thomas Lilti dresse un constat implacable. Oui, l’hôpital public est malade. Gravement malade. Et cette pandémie covidienne en aura rappelé la triste réalité : l’hôpital public, il faut le placer aux urgences, de toute urgence…

livre quarantainePETER MAY : « Quarantaine »

   D’abord, il y a les mots de Robert Webster, virologue au Centre de recherches de l’Hôpital Saint Jude à Memphis, Tennessee : « Ce virus grippal est le pire que j’aie jamais vu… personne, nulle part, ne sera à l’abri »– il évoquait alors la grippe aviaire. Ensuite, il y a les mots de la préface de « Quarantaine », le nouveau polar de l’Ecossais Peter May installé depuis de nombreuses années dans le Lot : « En 2005, (…) je me suis lancé dans des recherches pour un roman policier dont l’action se déroulerait pendant une pandémie de grippe aviaire ». Enfin, une précision du romancier écossais :  » J’ai écrit « Quarantaine » en six semaines. Le roman n’a jamais été publié. Les éditeurs anglais jugeaient ma description de Londres assiégée par l’ennemi invisible du H5N1 beaucoup trop irréaliste, trop improbable… » Seize ans plus tard, en pleine pandémie covidienne, Peter May publie donc « Quarantaine ». Un texte furieusement prémonitoire. Un polar addictif qui emmène le lecteur en plein cœur de Londres, dans le domaine centenaire d’Archbishop’s Park. Les bulldozers s’y activent, on y construit en urgence un hôpital pour tenter d’enrayer une épidémie qui a séparé Londres du reste du monde et causé la mort du Premier ministre. Sur le chantier, un ouvrier fait une macabre découverte. Apparaît alors Jack MacNeil- il est flic, sacrément cabossé par la vie et Ecossais, s’apprête à quitter la police pour jouir d’une retraite amplement méritée. Ses supérieurs l’envoient sur l’affaire. Il est désabusé, n’a plus la moindre illusion mais c’est lui qui doit remonter la piste d’une machination dans une ville en proie aux pillages et où les soldats font régner leur loi. Par dessus le marché, on annonce à MacNeil que Sean, son fils unique, a été atteint par le virus et qu’il n’a pas la plus infime chance de s’en sortir… Un grand polar, terriblement en résonnance avec l’actualité…

livre le vallon des luciolesISLA MORLEY : « Le Vallon des lucioles »

L’un était journaliste, l’autre photographe. Ulys Massey et Clay Havens. On est en 1937, la carrière du photographe fait du surplace, c’est le temps du New Deal, sa rédaction l’envoie dans le Kentucky. Reportage dans un coin paumé des Appalaches. Ses supérieurs lui ont fait comprendre que c’était là sa dernière chance. Quand les deux reporters arrivent dans le village, les habitants les préviennent, conseil genre « faites attention à cette famille qui vit là-bas, au cœur de la forêt ». Point de départ de « Le Vallon des lucioles », le troisième (et premier traduit en français) roman de la Sud-Africaine Isla Morley diplômée en littérature anglaise de l’université de Port Elizabeth et qui vit depuis bien longtemps aux Etats-Unis. Evidemment, le photographe et le journaliste vont voir ladite famille- ils pressentent qu’ils tiennent un sacré sujet, un reportage top niveau. A raison, surtout pour Clay Havens. Avec son appareil photo, il fixe une jeune femme aussi étrange que splendide : elle a la peau de teinte bleue– ce qui effraie et, en même temps, fascine le photographe. On apprend que la belle Jubilee Buford, comme son frère et quelques autres membres de la famille, ont la peau bleue- et sont donc chassés, persécutés par les habitants du village, par la société. Havens le photographe doit l’admettre : « Parce que vous croyez qu’il existe un endroit dans le monde où les gens s’aiment tous ? Si ce n’est pas à cause de la couleur de leur peau, on leur cherchera des crosses à cause du dieu qu’ils prient ou de la rive sur laquelle ils ont construit leur maison ». Ainsi, il fera tout ce qu’il peut pour sauver Jubilee des affres du racisme, de l’inconsistance des préjugés. Avec « Le Vallon des lucioles », Isla Morley a écrit une belle histoire d’amour et surtout un hymne vibrant à la différence…

« La Vallée aux lucioles » d’Isla Morley. Traduit par Emmanuelle Aronson. Seuil, 480 pages, 21,50 €.

livre bientôt minuitMARIE PAVLENKO : « Bientôt minuit »

C’est l’histoire de Lucien et Emma. Pour eux, âgés (quand on ne veut pas, quand on n’ose pas dire « vieux »), il est « Bientôt minuit »– ce qui donne le joli titre au roman de Marie Pavlenko, connue surtout comme auteure « young littérature » comme on dit pour faire malin dans le microcosme de l’édition et qui confie avoir « toujours aimé les vieux, le hiatus entre ce qu’ils sont, et ce qu’ils ont été ». Lucien et Emma (veuve depuis sept ans), donc- si l’un ou l’autre perdait sa moitié, ils s’étaient promis « nous vieillirons ensemble » La vie, mesquine, en a décidé autrement : quand la femme de Lucien meurt, il perd la mémoire, oublie sa promesse, file en maison de retraite. Emma, elle, n’a rien oublié. L’auteure installe ses deux personnages, elle prend pour décor un EPHAD aux allures d’ogre- elle confie que cet établissement « est le symbole de toutes ces zones de non-droit où l’on enferme ceux que l’on ne veut pas ou plus voir. Les vieux, bien sûr, mais aussi les exilés, les pauvres… Il est cette multitude de territoires qui ne devraient pas exister, des lieux où la loi et l’humanité ont disparu, certains EHPAD (pas tous, heureusement !), les centres de rétention, les camps-bidonvilles, les banlieues abandonnées ». Dès lors, « Bientôt minuit » devient le roman de l’exclusion, de tous les damnés de la terre. D’une société qui invisibilise toutes celles et tous ceux qui ne sont plus productifs. D’une société qui, au nom du rendement et de l’économie, a oublié l’essentiel : le bonheur et la santé de chacun, quel qu’il soit…

Serge Bressan

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