Livre. Premier roman de Frédéric Baptiste, « Amoureuses » n’est pas une bluette, ni un ouvrage sur la condition féminine mais une ode à la liberté des femmes, qui se déroule à la fin des années 1930, dont le thème reste très contemporain.
C’est romanesque, frais, sensuel et on imagine déjà l’adaptation au théâtre d’une fiction- ou d’une histoire vécue ? « Amoureuses », le premier roman de Frédéric Baptiste, renouvelle le plaisir de lire comme celui de fouler, dans une aube d’été sous les premiers rayons du soleil, l’herbe fraîche de rosée, une pâquerette aux lèvres et la vie en bandoulière…
« Amoureuses » est un roman de vacances non parce qu’il est superficiel et léger mais parce qu’il est rafraîchissant et que l’écriture, simple, est très efficace et nous enveloppe.
C’est l’histoire de Claire et Marthe, nos « amoureuses ». Claire est une héroïne, qui pourrait être la cousine de Thérèse Desqueroux de François Mauriac. Comme elle, corsetée dans un carcan familial bourgeois, épouse d’un riche industriel infidèle et violent, elle n’existe que par un tiers. Née fille de… et sœur de… elle est devenue femme de… puis mère de…
Elle assume tous ces rôles imposés et perpétue la condition de femme soumise, ce que l’on attend d’elle, rien de plus. Elle survit dans la maison familiale au Havre où le confort ne suffit pas à lui faire oublier la mélancolie des jours mornes et sa condition de femme muselée entre un mari, homme d’affaires qui la trompe sans vergogne et use d’elle comme d’un sujet et une belle mère dont l’insensibilité se mesure à sa volonté farouche de sauver les apparences du couple harmonieux. Pas de vagues, ni de remous, que la platitude d’une vie à marée basse.
Alors pour ne pas sombrer, Claire se réfugie dans les bras de sa fille Charlotte, poupée dont la lucidité atteint largement le petit nombre de ses années. Quand Claire qui voue un amour inconditionnel à sa fille apprend qu’elle est à nouveau enceinte, elle n’a qu’un objectif se débarrasser d’un ventre qui n’abrite que le fruit de l’asservissement et d’un rapport contraint.
Non loin de là, à la campagne, entre champs de blé et vigne vierge, vivent Marthe et Edouard. Claire vient à leur rencontre dans un dernier espoir, celui fondé sur la notoriété de Marthe « à faire passer les enfants ». Edouard tient le seul café du village et Marthe sa femme, est admirée autant que crainte pour ses dons et les soins qu’elles portent aux corps, sorte de Pythie des champs. Elle soigne, reboute, coupe le feu mais surtout se moque des jugements et vit avec allégresse.
Elle n’a peur de rien, ne doute de rien sauf parfois d’elle et de son couple qui se languit de ne pas avoir d’enfant. Marthe a alors une idée : Claire va garder ce bébé et se sauver par un mensonge. Elle l’attendra avec eux, à la campagne, et le leur donnera à sa naissance comme un cadeau du ciel qui leur a toujours été refusé.
Claire accepte cette proposition audacieuse d’être une « mère porteuse » et découvre enfin des plaisirs inédits d’une vie à l’exact opposé de celle vécue jusqu’alors. Une vie déliée des conventions, où le désir va éclore, bouleverser les normes et façonner les êtres quitte à les faire défaillir.
Ce roman traverse l’époque d’avant-guerre sans que ses tourments ne viennent altérer la vitalité de nos héroïnes. L’imminence de la guerre est un réel qu’elles tiennent à distance pour ne pas ternir la beauté des jours encore insouciants. Elles se désaltèrent à cette liberté qui inonde le jardin entre les glycines et les framboises charnues du potager. Ce désir, ce grand mystère va combler la béance de leurs existences qui de parallèles vont bientôt se nouer dans le trio.
Claire n’est pas née femme mais le devient et s’ouvre alors à l’inconnu du sentiment amoureux. Pour décrire ce qui se joue aussi pour cette femme qui naît, l’auteur emprunte cette citation de Marie Stuart « En la fin est mon commencement ». La reine l’avait brodé sur une étoffe bien avant de connaître l’issue tragique comme une prémonition avant de monter sur l’échafaud condamnée à mort par sa cousine anglaise la reine Elisabeth. Claire saura-t-elle déjouée la fin pour un autre commencement ?
C’est romanesque, frais, sensuel et on imagine déjà l’adaptation au théâtre d’une fiction- ou d’une histoire vécue ? Les mots font leur travail « ils disent ce qu’ils ont à dire » comme écrit l’auteur, et nous les suivons jusqu’à apprendre l’origine de cette histoire, dont la quatrième de couverture nous donne un indice. Les dernières lignes nous apprennent cette vérité et ses contours.
Ce premier roman de Frédéric Baptiste renouvelle le plaisir de lire comme celui de fouler, dans une aube d’été sous les premiers rayons du soleil, l’herbe fraîche de rosée, une pâquerette aux lèvres et la vie en bandoulière.
Texte Véronique Sousset
- A lire: « Amoureuses » de Frédéric Baptiste – Julliard, 270 pages, 19.00 €
Paru chez Julliard, « Amoureuses » est le premier roman de Frédéric Baptiste. Après une formation d’acteur à l’École du Théâtre national de Chaillot, il intègre l’atelier scénario de LA FEMIS. En 2013, il est lauréat d’une résidence d’écriture au Moulin d’Andé, où il poursuit l’écriture de son premier long métrage. Parallèlement au cinéma, Frédéric Baptiste écrit et met en scène des spectacles pour différentes productions et artistes de théâtre.