anne sinclair la rafles des notables
Anne Sinclair (c) François Paga/Grasset

Livre. Rechercher l’histoire d’un aïeul et en découvrir des centaines d’autres. S’interrogeant sur la manière dont son grand-père paternel, Léonce Schwartz, a échappé à la déportation, la journaliste Anne Sinclair découvre un chapitre méconnu de la persécution sous l’Occupation : la « rafle des notables ».

Ce livre a avant tout pour ambition de participer à la mémoire collective. Ecrit en quatre courts chapitres, « La rafle des notables » remonte le temps d’un enfer à ciel ouvert et contribue à ce que la mémoire ne s’affranchisse pas du souvenir et avec lui de la conscience qu’aucune de ces pages sombres ne peut se tourner. 

la rafle des notables anne sinclairAvec « La rafle des notables », Anne Sinclair signe ce qui n’est ni un récit, ni un roman dans le sillage du Dora Bruder de Modiano, mais un recueil de témoignages qu’elle vient appuyer de son analyse. Son objectif initial de relater l’histoire de l’internement de son aïeul, bute sur le manque, elle n’a que peu d’indices. Elle s’en remet alors à ceux qui en ont été les témoins, cette communauté d’hommes à laquelle le malheur a lié son arrière-grand-père, tous installés dans l’existence, dans un quotidien aisé, devenus par un matin d’hiver 1941, des parias et bientôt des damnés.

L’un d’entre eux écrit  « nous ne sommes juifs qu’à partir du moment où on nous le reproche ». Anne Sinclair nous livre avec sobriété sa quête de l’histoire de son arrière-grand-père. Cette histoire qui la hante depuis l’enfance mais qu’elle n’a jamais formulé : « l’on n’interroge pas les grands-parents quand on est enfant et si les confidences ne sont pas faites, il semble indécent de les provoquer.  »

Léonce Schwartz, chef d’entreprise, né à Paris en 1878, marié à Marguerite, fut arrêté comme 742 autres juifs, le 12 décembre 1941 à Paris. Ces français, issus de la bourgeoisie sont bientôt rejoints par 300 autres transférés du camp de Drancy. Cette rafle des notables a lieu à l’aube d’un matin d’hiver d’une journée interminable où ces hommes seront parqués d’abord dans le manège à chevaux de l’Ecole militaire avant de rejoindre Compiègne.

Hagards, ils découvrent le camp C, celui des juifs, la promiscuité, la saleté, la bassesse de vils instincts, le froid, la peur, la douleur et la faim qui tue. A l’élimination sociale, avant l’extermination systématique, au camp de Compiègne se distille cette mort lente. Les 1000 juifs ne monteront pas  tous dans le train pour Auschwitz. Pourtant la finalité de cette rafle était bien la déportation mais en raison d’un cynisme sans égal, ces hommes vont agonir durant trois mois à Compiègne Royallieu, derrière les grilles du camp Frontstalag 122.

S’il s’agit d’ajouter une page individuelle à l’histoire, ce livre a avant tout pour ambition de participer à la mémoire collective. Ecrit en quatre courts chapitres, il remonte le temps d’un enfer à ciel ouvert et contribue à ce que la mémoire ne s’affranchisse pas du souvenir et avec lui de la conscience qu’aucune de ces pages sombres ne peut se tourner. La main qui voudrait effacer est retenue, puis figée dans cette appréhension de la fragilité de l’humanité. Car ces hommes apprennent aussi à leurs corps défendant que le seul fait d’être citoyen de la République française, de l’avoir naguère servi, d’avoir combattu avec elle et pour son maintien, ne protège pas. L’antisémitisme ne fait pas de distinction.

L’on apprend que cette rafle des notables pensée comme « homogène » par les Allemands concerne à la fois des juifs français intégrés de longue date qui ne se vivent pas juifs et n’emploient jamais ce vocable et d’autres, pour la plupart juifs, réfugiés d’Europe venus en France pour échapper aux persécutions qui se sentent exclus depuis des millénaires à raison de leur identité. Ces derniers se moquent alors de l’aveuglement des premiers pourtant tous compagnons d’infortune. Il n’y a que des hommes de condition et de destin différents.

Léonce sera libéré du camp de Compiègne en raison d’un état de santé très dégradé et conduit à l’hôpital de Val-de-Grâce le 13 mars 1942. Le récit n’effleure que des hypothèses sur cette libération et les mois suivants. On y découvre le rôle joué (ou fantasmé) de Marguerite l’épouse mais peu de choses sur la vie après cet internement reconnu comme politique par l’Etat en 1958. Seules manquent toujours les réponses aux questions jamais posées.

Texte Véronique Sousset

  • « La rafle des notables » d’Anne Sinclair, chez Grasset, 128 pages, 13,00 €

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Lire un extrait ici:  

L’arrestation

la rafle des notables anne sinclair« Les récits des rafles de l’époque commencent tous de la même manière, à quelques détails près. Il était entre 5 h 30 et 7 heures du matin, quand Léonce et Marguerite Schwartz, mes grands-parents, furent tirés du lit. Forcément de mauvaises nouvelles, mais avaient-ils un autre choix que d’aller ouvrir ?

Je les imagine, le dimanche d’avant, au club de tennis où ils allaient souvent, jouant au bridge avec des amis, négligeant les précautions, et suivant des yeux les allées et venues des jeunes gens joyeux, raquette en main, héros d’une petite société insouciante des dangers qui guettaient les autres.

Ils se faisaient souvent appeler Sabatier, mais au club, tout le monde les connaissait. Malgré le Statut des Juifs édicté par Vichy en octobre précédent et complété en juin, et surtout malgré le recensement, voulu par les Allemands, en octobre 1940 et celui dit « de contrôle », d’octobre-novembre 1941 ; malgré la rafle de mai visant les Juifs étrangers, puis celle d’août où, pour la première fois, des Français dont quelque quarante avocats juifs avaient été arrêtés, on ne pouvait pas vivre dans la peur de ce qu’on ne maîtrisait pas. Léonce avait mis en sommeil l’entreprise de dentelles rue d’Aboukir pour éviter tout risque d’aryanisation, et la vie s’écoulait, oppressante.

Comme beaucoup de leurs amis, ils n’avaient pas voulu fuir ni en zone libre ni à l’étranger. Pas davantage se cacher, ou déménager. Était-ce de l’inconscience ? La concierge les saluait toujours d’un retentissant « Bonjour Monsieur et Madame Schwartz », comme elle saluait de la même manière Louis et Mariette Engelmann, locataires à l’étage au-dessus. Et puis, pourquoi Léonce aurait-il été arrêté ? Il se disait, comme Jean-Jacques Bernard, le fils de Tristan Bernard1, dans son très beau livre Le Camp de la mort lente, « je n’y croyais pas beaucoup. »

 

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