martine aventuriere du quotidien

Livre. Elle a traversé les années toujours bien élevée; dans le monde de Martine tout est en ordre et chacun est à sa place. Mais derrière le miroir de la fillette sage inventée pour les éditions Casterman en 1954 par l’auteur Gilbert Delahaye et le dessinateur Marcel Marlier, Laurence Boudart, dans « Martine, une aventurière du quotidien », révèle une héroïne plus complexe, avec ses contradictions.


martine aventuriere du quotidienHéroïne du consensus, Martine a gagné sa place dans la littérature de jeunesse. Ce qui rend attachant le « Martine » de Laurence Boudart, c’est l’affection qu’elle lui porte sans éluder ses contradictions ou incohérences et ses absences de remises en question


Adulée ou décriée, parodiée ou copiée, elle est une aventurière du quotidien qui ne laisse pas indifférent. Licenciée en traduction et docteure en lettres modernes, Laurence Boudart en a fait l’objet de sa recherche. Le saviez-vous ? Michael Jackson, fervent admirateur de Martine, lui avait écrit une histoire. Il avait proposé une somme colossale à Marcel Marlier pour qu’il illustre cet épisode outre-Atlantique. Le dessinateur déclina l’offre, le destin de l’héroïne en aurait-il été changé ? A Marlier il faut ajouter Gilbert Delahaye, le scénariste.

Depuis « Martine à la ferme » en 1954, 60 albums ont vu le jour, 160 millions de livres ont été vendus dans le monde, elle est traduite en trente langues, s’appelle Tiny en néerlandais, Debbie en anglais, Anita ou Martina en espagnol, Aysegül en turc, Margrét en islandais, Maja en croate ou encore Mairin en irlandais. En 2019, une vente aux enchères la propulse sur le marché de l’art contemporain, une gouache s’envole à 50 000 euros, soit 12 fois sa valeur de départ ! La fillette a intégré les réseaux sociaux, #Martine sur Instagram s’est décliné tout au long des confinements et de la pandémie avec des détournements des couvertures en enfilade.


martine aventuriere du quotidienLivre. Martine, une aventurière du quotidien 


Pourquoi un tel engouement qui ne se dément pas ? : « Il n’existe pas une Martine, mais des Martine », observe la chercheuse. Elle reste cependant une énigme dans l’édition pour la jeunesse et n’a aucune équivalence : elle ne possède aucun pouvoirs extraordinaires, « il ne lui arrive rien ». Là réside le paradoxe, la normalité guide ses gestes, son environnement, son entourage. Elle rassure. Elle ne fait pas peur et les  jeunes lectrices et lecteurs y trouve un confort moral jamais transgressif. « Quel modèle de l’enfance incarne-t-elle ? Quel imaginaire éveille-t-elle ? Et de quelles valeurs est-elle porteuse ?» s’interroge la chercheuse. Elle met en confiance « parents et censeurs, tout en ravissant les enfants », conclut-elle.

Dans les années 1960, les éditions Casterman veulent donner un pendant au reporter Tintin et mettre à l’honneur une antithèse à Caroline en salopette rouge, indépendante et plus audacieuse. Pour Martine, l’affaire de la petite culotte blanche vue dans les premières histoires a fait couler beaucoup d’encre, Marcel Marlier a toujours invoqué « que c’était à la mode ». Aujourd’hui, il est impératif que cette vision masculine ne se reproduise plus et soit condamnée. Si ce personnage populaire nage, monte à cheval, fait du ski, de la danse classique, du camping, elle a du mal à briser les chaînes moralisantes et conservatrices et ne bouleverse pas les structures sociétales de fond en comble.



martine aventuriere du quotidien
« Martine », une aventurière du quotidien » de Laurence Boudart

A la fin des années 1970, elle prend des initiatives, mais reste toujours mesurée, tempérée et bien élevée. La « révolution des mœurs » de 1968 lui échappe, tout comme les revendications estudiantines et féministes à venir. Elle vit dans un monde préservé de la pauvreté, des conflits, des questions d’argent, de ce qui peut heurter. Dans « Martine petite maman », elle répond à ce que la société demande : reproduire les gestes hérités de sa mère pour s’occuper de son petit frère, la mère étant un adulte référent, elle se pose comme « un modèle vertueux à suivre ». L’universitaire fait remarquer avec acuité que Martine ne s’engage dans aucun apprentissage, « elle est ».

Ce qui rend attachant le « Martine » de Laurence Boudart, c’est l’affection qu’elle lui porte sans éluder ses contradictions ou incohérences et ses absences de remises en question. Et d’affirmer que cette héroïne du consensus a gagné sa place dans la littérature de jeunesse. Le journaliste et écrivain Sébastien Ministru résume la complexité d’un personnage sans aspérités : «C’est une petite bourgeoise très comme il faut mais c’est accessoire. Le style kitsch que je rapproche des photos de communiants est unique ; il annonce à mon sens le travail d’un Jeff Koons ou de Pierre et Gilles.» Rien que ça pour une enfant certes idéale et idéalisée, mais elle fait toujours rêver à un moment de l’enfance des millions de jeunes lecteurs. D’ailleurs une rumeur court : Laurence Boudart se perd régulièrement en forêt à la recherche de Patapouf et de Moustache.

Virginie Gatti

  • A lire : « Martine, une aventurière du quotidien » de Laurence Boudart. Les Impressions nouvelles, coll. « La fabrique des héros », 120 pages, 12 euros.

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