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Regis Jauffret © Astrid di Crollalanza

ROMAN. Tenu pour le plus ténébreux des romanciers français, Régis Jauffret revient à la « grande littérature » avec « Papa », un texte de l’intime dans lequel il parle de lui et de son père, cet anti-héros…

Régis Jauffret change de champ d’investigation avec son nouveau roman sobrement titré « Papa ». Un titre qui pourrait faire croire qu’on va se lancer dans un livre à la guimauve. Serait-ce là oublier qui est Régis Jauffret qui, pour la première fois dans son œuvre, parle de l’intime, de lui et de son père ?

papa roman regis jauffret Il en a fait sa marque de fabrique, depuis son apparition dans le monde des livres en 1985 avec « Seule au milieu d’elle ». Ainsi, Régis Jauffret n’a pas son pareil pour ausculter la folie et la cruauté, la noirceur et la bestialité humaines de son époque. Souvent, pour être encore plus chirurgical, il s’est appuyé sur des faits divers- en général, bien glauques. Et puis, là, à 64 ans, il change de champ d’investigation avec son nouveau roman sobrement titré « Papa ». Un titre qui pourrait faire croire qu’on va se lancer dans un livre à la guimauve, dans une littérature (suspecte, forcément suspecte) des bons sentiments, dans un texte aussi peu attirant qu’un robinet laissant son flux d’eau tiède… Serait-ce là oublier qui est Régis Jauffret qui, pour la première fois dans son œuvre, parle de l’intime, de lui et de son père ?

Nous voilà donc lancés. D’abord, la dédicace à ses enfants Marius et Fabiola, et ensuite, en épigraphe de ce nouveau roman, l’auteur annonce : « La réalité justifie la fiction ». Deux ans après « Microfictions 2018 » (prix Goncourt de la nouvelle) et quelques ouvrages qu’on qualifierait de « romenquête » (sur la mort d’un banquier en Suisse : « Sévère « , 2010 ; sur la séquestration d’une enfant par son père en Autriche : « Claustria », 2012, ou encore sur l’affaire DSK dans un hôtel à New York : « La Ballade de Rikers Island », 2014), Jauffret fait donc son retour à la « grande littérature ».

Tenu pour le plus ténébreux des écrivains français, d’un œil il regarde le 19 septembre 2018 un documentaire à la télé sur la police de Vichy pendant la Deuxième Guerre mondiale. Soudain, apparaît « l’immeuble marseillais du 4, rue Marius-Jauffret où j’ai passé toute mon enfance. Ma mère a vécu là jusqu’à son départ en maison de retraite deux ans plus tôt. J’ai vidé son appartement fin décembre ». Sur l’écran, il voit son « père sortant menotté entre deux gestapistes de l’immeuble marseillais »– la séquence dure tout juste sept secondes. Sur le visage du père, on voit la terreur ; sur celui des gestapistes, la joie… il semblerait que les images furent tournées en 1943- ou 1944.

Réalité ou propagande ? Allez savoir, Alfred, père de Régis, n’a jamais évoqué cet épisode : fut-il résistant ? Collabo ? voire comédien pour une reconstitution de propagande ?… Alors, le romancier, « le conteur, le raconteur, l’inventeur de destinées » , raconte ce père, homme ordinaire. Ou héros ? Le romancier nous glisse aussi qu’Alfred, son père, est devenu sourd à la suite d’une méningite et a été bourré, jusqu’à la fin de sa vie, de médicaments dont un neuroleptique utilisé par les Soviétiques « en psychiatrie punitive ».

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Régis Jauffret (c) Astrid Di Crollalanza

Alfred Jauffret, un anti-héros en quelque sorte… Mieux (ou pis ?), Jauffret l’auteur va même jusqu’à dire et écrire que, concernant Alfred, « papa » est vraiment « un titre usurpé ». « Il me semble soudain avoir été conçu par un personnage de roman », précise le romancier. Mais par touches habilement distillées, il laisse pointer son goût pour le sombre et la destruction– ainsi, s’il évoque son enfance « choyée et radieuse » sous le bleu soleil marseillais, immédiatement il n’hésite, avec une sorte de jubilation, à l’assombrir, il « la massacre », « la profane ». L’enfance, pour Jauffret, n’a de valeur que par son angle mort- ainsi, il confie retenir de son père à peine un homme, « juste un organisme ». Un organisme avec « une vie de poisson rouge dans le bocal d’une existence misérable ». Du grand Jauffret !

Alors, avec « Papa », fait-il œuvre d’autofiction ? Invente-t-il tout ou partie ? Page 198 de ce « Papa » enthousiasmant, d’une pirouette diabolique, Régis Jauffret lance : « Il faut toujours se méfier des romanciers. Quand le réel leur déplaît, ils le remplacent par une fiction »… Compris ?!

Texte Serge Bressan

« Papa »de Régis Jauffret. Editions du Seuil, 208 pages, 19 €

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