Prenant pour point de départ son admiration pour le peintre Pierre Soulages, Christian Bobin dans « Pierre, » son dernier ouvrage, nous livre ses réflexions sur la vie, la mort, Dieu et interroge ce qui demeure son énigme : le surgissement de toute présence sur terre.
« Pierre, » de Christian Bobin n’est pas un roman mais un long poème en prose, lettre d’amour par fragments, au peintre Pierre Soulages. C’est un livre trait d’union entre le peintre, le poète, un livre de pinceau et de plume mêlés.
Paru chez Gallimard le 3 octobre 2019, « Pierre, » n’est pas un roman mais un long poème en prose, lettre d’amour par fragments, au peintre Pierre Soulages. Ce livre fait le lien avec « La nuit du cœur » sorti chez le même éditeur en 2018, où Christian Bobin relatait déjà ses impressions rapportées d’une nuit à Conques, dans un hôtel donnant sur l’abbatiale du XIème siècle (dont les vitraux sont de Pierre Soulages).
« Pierre, » ce titre simple mais dont la virgule ponctue déjà l’imaginaire, invite le lecteur à se laisser toucher par la plume fulgurante de l’écrivain. Chaque phrase est une pépite, « je n’ai jamais connu d’autre habitation que la phrase à venir » qui décrit dans un style très poétique et philosophique, ce qui l’unit à l’artiste et tout ce que l’œuvre de Pierre Soulages inspire à l’auteur parfois mystique dans sa recherche de l’au-delà.
Par cette nuit de Noël, il décide sur un coup de tête, ou plutôt de cœur, de suivre son inclinaison et de prendre un train du Creusot à Sète pour visiter Pierre Soulages, d’aller « vers ce donjon blanc où vit l’amant du noir ». Se sont-ils déjà rencontrés ou y a-t-il eu des occasions manquées ? Ce qui est certain c’est qu’ils sont des intimes, comme le sont les hommes d’exception qui ont l’œuvre en partage. L’auteur nous livre une anecdote de génie et de pure poésie qui signe ce lien. Pierre, enfant vient de noircir une feuille de papier blanc et à ses parents qui lui posent la question : « Que fais-tu Pierre ? » il répond : « de la neige ».
Dans ce train, traçant les lignes de fuite dans la nuit, celles obscures des campagnes, tout juste teintées d’étoiles, celles plus vives des villes qui ne s’éteignent jamais, Christian Bobin nous invite à découvrir le noir, celui de la nuit, ses mystères et ses visages de morts, si vivants. On y croise Ghislaine chère au cœur de l’écrivain, mais aussi de plus illustres, comme Kafka.
Le train poursuit sa course, fend les paysages contrastés de la Bourgogne à la Méditerranée et nous entraîne à son allure sur les rails des pensées de l’auteur. On partage ses impressions de voyage : « je vais bientôt me lever de mon siège, les rails sifflent et soupirent, s’apprêtent à ce repos épuisant qu’on appelle une gare ». Ce voyage imprévu dans cette nuit du 24 décembre est aussi celle anniversaire du peintre et Christian Bobin dessine alors son portrait. Ses mots comme des pinceaux nous révèle par touches ce que les œuvres de Pierre Soulages recèlent de lumière qu’éclaire la nature humaine: « Je n’écris pas ce livre pour toi, mais pour moi, pour accueillir une lumière nouvelle sur la vie, quelque chose de plus radical qu’une pensée ou du sens ».
Nous plongeons avec lui notre regard dans cet outremonde, en écho à l’outrenoir, celui du vertige de la question de l’être, ici-bas et là-haut. Parfois religieux, Christian Bobin pour expliquer cette grâce de l’œuvre convoque un Dieu, plus immanent que transcendant, puisque les êtres ne sont pas tant une création de Dieu que l’expression de ce Dieu. L’on se prend à croire à la bonté des âmes et à la beauté du monde ainsi révélées.
La poésie est pour l’auteur le noir du langage, sur lequel il pose des rais de lumière. C’est un livre trait d’union entre le peintre, le poète, un livre de pinceau et de plume mêlés. Si le temps n’est en rien mesurable par le cœur écrit Christian Bobin alors prenons-le et faisons entendre sa prière qui nous rappelle, simples mortels, que seule la beauté de l’œuvre transcende.
Texte: Véronique Sousset
- « Pierre, » de Christian Bobin – éditions Gallimard, 104 P. 14 €
Lire: Jean-Luc Coatalem sur la piste d’un inconnu familier
Christian Bobin, la bio
Écrivain et poète français, Christian Bobin, après avoir étudié la philosophie, a travaillé pour la bibliothèque municipale d’Autun, à l’Écomusée du Creusot et a été rédacteur à la revue Milieux; il a également été infirmier psychiatrique.
Ses premiers textes, marqués par leur brièveté et se situant entre l’essai et la poésie, datent des années 1980. Ils sont publiés aux éditions Brandes, Paroles d’Aube, Le temps qu’il fait, chez Théodore Balmoral, et surtout chez Fata Morgana (où il publie notamment Souveraineté du vide et Lettres d’or).
Connaissant le succès à partir notamment d’« Une petite robe de fête » (1991), il reste un auteur assez discret. En 1992, il rencontre un autre succès, grâce à un livre consacré à saint François d’Assise, « Le Très-Bas », Prix des Deux Magots en 1993 et Grand Prix catholique de littérature. Il publie en 1996 « La Plus que vive », hommage rendu à son amie Ghislaine, morte à 44 ans d’une rupture d’anévrisme. Ses thèmes de prédilection sont le vide, la nature, l’enfance, les petites choses. Chroniqueur, il tient la rubrique « Regard poétique » pour le bimensuel Le Monde des Religions. Il a également préfacé ou postfacé quelques ouvrages, notamment deux livres de Patrick Renou. En 2016, il a reçu le Prix d’Académie pour l’ensemble de son œuvre.