Livres : on adore. Pour cette semaine de lecture, trois suggestions. On commence avec « Donato », un premier roman signé par l’avocate bruxelloise Éléonore de Duve ; on enchaîne avec « Lamento », le troisième roman de Madame Nielsen, figure du « biographisme performatif » et de l’autofiction en Scandinavie, et on achève la semaine en grande nature avec « L’ombre d’un grand oiseau » de l’impeccable Catherine Poulain pour un hymne à la vie sauvage.
ÉLÉONORE DE DUVE : « Donato »
Un premier roman d’une grande beauté. Un texte indispensable d’une jeune femme qui, humilité faisant loi, ne dit pas : « J’ai toujours voulu écrire ». Avocate à Bruxelles, Éléonore de Duve confie seulement, se lançant dans l’écriture d’une fiction, avoir voulu « juste me prouver que je pouvais aller au bout de l’exercice ». Et ce sont les hautement fréquentables éditions José Corti qui publient donc « Donato ».
Au hasard de recherches, l’auteure découvre un étrange pacte signé en 1946 par la Belgique et l’Italie. La première a le charbon dont a terriblement besoin la seconde, au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale- les deux pays passent un accord : des bras italiens viennent travailler dans les mines de la Belgique qui, en échange, envoie du charbon en Italie…
Ce fut l’échange « bras contre charbon ». Et Donato, grand-père du compagnon d’Éléonore de Duve, était un de ces bras. Il a grandi dans un village des Pouilles, il a fait le voyage jusqu’à Farciennes, près de Charleroi. Il n’a jamais raconté sa vie et quand son petit-fils le lui a demandé, il souffrait de la maladie de Parkinson- trop tard. Alors, Éléonore de Duve a écrit la vie de Donato. Un roman du soleil de l’Italie au noir des mines belges. Un roman comme geste de transmission.
- « Donato » d’Éléonore de Duve. Editions Corti, 216 pages, 21 €.
MADAME NIELSEN : « Lamento »
Une sensation venue, en cet été finissant, du Danemark. L’auteure est née Claus Beck-Nielsen en 1963, a mis fin à cette identité et célébré ses funérailles en 2001 pour renaître sous le nom de Madame Nielsen en 2013. En Scandinavie, elle est tenue pour une des figures essentielles du « biographisme performatif » et de l’autofiction.
« Lamento » est son troisième roman qui s’ouvre sur la métaphore d’un incendie, c’est un grand texte de l’amour débordant et sauvage. Une femme y écrit son mariage qui a pris fin voilà vingt ans. La destinataire du texte : sa fille, née justement de cet amour avec « le garçon qui deviendrait un jour ton père ».
Toutes les pages du livre sont emplies, jusqu’à en déborder, d’une lamentation « d’un désir qui refuse la domestication, d’un coup de foudre trop pétri d’absolu pour résister aux déceptions du temps ».
« Lamento », ce sont des variations sur le coup de foudre- et aussi des questions : qu’est-ce que tomber amoureux ? l’amour n’est-il qu’un feu de paille ? le coup de foudre peut-il devenir un amour quotidien et durable ? et si l’amour n’était avant tout qu’un engouement sauvage ? L’amour, version Madame Nielsen, se rebelle contre la routine- c’est brutal et beau, touchant et lyrique… Merveilleusement incandescent.
- « Lamento » de Madame Nielsen. Traduit par Jean-Baptiste Coursaud. Notabilia / Noir sur Blanc, 192 pages, 19,50 €.
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CATHERINE POULAIN : « L’ombre d’un grand oiseau »
Enfant dans un hameau des Alpes où elle a grandi, Catherine Poulain s’imaginait ermite ou vétérinaire. Plus tard, elle est partie à la découverte du monde parce que, écrit-elle, « tout est animal en moi ». Elle a vécu nombre de vies, elle écrit et publie son troisième roman, « L’ombre d’un grand oiseau ».
En mots beaux et élégants, elle nous offre sa part de sauvagerie- comme elle nous avait envoyé des effluves d’iode et d’aventures dans son premier livre, « Le grand marin » paru en 2016.
Cette fois, aujourd’hui retirée dans le Médoc, Catherine Poulain chante d’une écriture aussi délicate que magnifique un hymne à la vie sauvage. Elle qui se définit comme une « chienne sans toit ni maître » nous emmène, au fil des pages, dans les bois, les vignes et les forêts ou encore en bord de rivières.
La nature, encore et toujours- à la beauté bouleversante… Et l’auteure de s’interroger : pourquoi n’at-elle libéré ce chien retenu par une chaîne, soigné ce rapace blessé ? Elle est aussi fauconne, panthère en cage, oiseau mazouté sur une plage, cerf traqué…
L’écriture est ciselée, cinglante, enveloppante, emplie de sensualité. Il y a aussi les souvenirs- de l’enfance légère à la vie solitaire, avec toujours l’ombre d’un grand oiseau, savourer « le terrifiant bonheur d’être en vie »…
- « L’ombre d’un grand oiseau » de Catherine Poulain. Arthaud, 192 pages ; 18 €.
Serge Bressan