geoffroy delorme
Geoffroy Delorme publie L'homme-Chevreuil". ©La Dépêche de Louviers

Livres We Culte. Une immersion en forêt au plus près des chevreuils avec Geoffroy Delorme, un éloge de la gourmandise par Nicolas d’Estienne d’Orves, les exactions d’une compagnie pétrolière dans un village d’Afrique de l’ouest pointées par Imbolo Mbue, l’île de Komodo, des requins et des raies manta en compagnie de David Vann, et aussi l’autobiographie intellectuelle du Nobel 2010 de littérature, Mario Vargas Llosa. Voici nos cinq suggestions de lecture de la semaine.     

livre l'homme-chevreuilGEOFFROY DELORME : « L’homme-chevreuil »

Tout a commencé à l’école primaire, en cours préparatoire. Là, le gamin reçoit les bases de sa « future vie humaine ». Mais là aussi, il contemple « par la fenêtre la noblesse du monde sauvage. J’observe les moineaux, les rouges-gorges, les mésanges, tout animal pouvant passer dans mon champ de vision, et j’apprécie la chance de ces petites créatures de pouvoir jouir d’une telle liberté ». A 19 ans, Geoffroy Delorme part de chez lui, direction la forêt domaniale de Bord (Eure) à 3 kilomètres de son domicile. Confidence : « À la base, j’étais parti pour me ressourcer dans la nature ». Il va y rester sept années,  » pendant tout ce temps, j’ai vécu seul avec les chevreuils« . Aujourd’hui photographe animalier, conférencier et écrivain revenu à la vie humaine et citadine, il se raconte dans  » L’homme-chevreuil ». C’est l’histoire (« fascinante », précise l’éditeur) d’un « Mogwgli » d’aujourd’hui, sans équipement ni abri. L’amour de la nature, l’immersion en forêt au contact des animaux, la nourriture (« Pour manger, il a fallu que je m’organise car il y a des saisons, écrit-il. Une quarantaine de plants se consomment également tout au long de l’année, comme les orties, le millepertuis. Les pâquerettes aussi, tout le monde marche dessus, alors que ça a un très bon goût de noisette ! »), l’hygiène (lavage des dents avec de l’eau et de la terre ou de la cendre sur l’index)… Et puis, le jour où il aperçoit un chevreuil, il se surnomme Daguet, les deux vont s’apprivoiser. Dès lors, Delorme va calquer sa vie sur celle de Daguet et des autres chevreuils de la forêt. Au total, il glisse avoir eu, pendant cette immersion, « 43 amis chevreuils, que j’ai tous baptisés et que je reconnaissais au premier coup d’œil ». Il y avait Daguet, Sipointe, Étoile ou encore Chévi qui a appris à l’homme-chevreuil à communiquer…

« L’homme-chevreuil »de Geoffroy Delorme. Editions Les Arènes, 256 pages, 19,90 €.

petit éloge de la gourmandiseNICOLAS D’ESTIENNE D’ORVES : « Petit éloge de la gourmandise »

Sur son CV, une trentaine de livres- et aussi, pendant plus de vingt ans, critique d’opéra… A 46 ans, Nicolas d’Estienne d’Orves, surnommé « NEO » (comme ses initiales), jouit d’une belle petite réputation dans le monde des lettres- flottant entre écriture légèrement surannée et envolées inscrites dans l’époque. Il est aussi connu de ses proches et amis comme non pas un gourmet mais un gourmand. Ce qui l’a amené à rédiger ce joyeux « Petit éloge de la gourmandise ». Un livre format médium (12,5 cm x 16 cm) placé sous la haute bienveillance de Joseph Berchoux (1760- 1838) qui affirmait, dans « La Gastronomie » : « Un poème jamais ne valut un dîner ». Et d’Estienne d’Orves de se lancer dans la rédaction d’« un herbier, une petite arborescence mémorielle qui vogue sur le flot de mes propres aventures gourmandes ». Ainsi, on ouvre sur le chapitres « Cuisinières », on enchaîne sur « Abats »… un peu plus loin, il y a les occurrences « McDo », « Boucherie »,  » Figues », « Digestif » ou encore « Sablé »… sans oublier l’andouillette (« un plat jalon dans l’éducation palatale. Il y a un avant et un après », selon « NEO ») et aussi Haribo, oui les bonbons qui placent tous les parents « face au dilemme hemingwayen : en avoir ou pas » ! Esthète un peu marlou, Nicolas d’Estienne d’Orves a écrit, avec ce « Petit éloge… », le menu d’un repas littéraire bien charpenté, goûteux à souhait. Oui, qu’on se le dise encore et encore, la gourmandise n’est pas un vilain défaut, foi de « NEO » !

« Petit éloge de la gourmandise » de Nicolas d’Estienne d’Orves. Editions François Bourin, 186 pages, 12 €.

livre puissions nous vivre longtempsIMBOLO MBUE : « Puissions-nous vivre longtemps »

Ce pourrait paraître caricatural, cette histoire de pot de terre contre pot de ferre. C’est violent, intense, étourdissant, puissant. C’est « Puissions-nous vire longtemps », le deuxième roman d’Imbolo Mbue, née au Cameroun en 1982 et résidente aux Etats-Unis- elle a obtenu la nationalité américaine en 2014. Son premier roman, « Voici venir les rêveurs », avait fait l’objet de surenchères lors de la Foire de Francfort alors qu’il n’était qu’à l’état d’ébauche de manuscrit… Avouant avoir été influencée par Toni Morrison, Imbolo Mbue, pour ce deuxième roman, déroule une histoire avec, pour décor, un village fictif d’Afrique de l’ouest. Les habitants y vénèrent Son Excellence, maître du pays et chef paranoïaque coiffé d’une toque en peau de léopard aux allures d’un certain dictateur Mobutu Sese Seko (1930- 1997). A la fin des années 1970, la compagnie (américaine) Pexton accélère- elle fore le sous-sol depuis une cinquante d’années, avait promis aux habitants la prospérité mais les pipe-lines ont pourri les terres, les plantes médicinales sont devenues mortelles et le fleuve pollué ne nourrit plus la population… Les anciens se sont résignés, le dictateur collabore avec la compagnie pétrolière, Konga- « le fou du village »– bloque les employés de Pexton, il a volé la clé de leur voiture. Le pouvoir a changé de camp ; « puissions-nous vivre longtemps », espèrent Konga et les habitants du village. Supportée par le grand romancier américain Jonathan Franzen, Imbolo Mbue fait résonner, dans ce deuxième roman, les voix de Frantz Fanon, Gabriel Garcia Marquez et aussi les importants auteurs africains Chinua Achebe et Ngugi wa Thiong’o avec qui elle a grandi…

« Puissions-nous vivre longtemps » d’Imbolo Mbue. Traduit par Catherine Gibert. Belfond, 432 pages, 22 €.

livre komodoDAVID VANN : « Komodo »

Par facilité, certains diront qu’il est un aventurier ; d’autres le qualifieront d’« écrivain-voyageur ». Né en 1966 en Alaska, il assure avoir « grandi dans une famille de menteurs ». Jeune adulte, il a traversé les Etats-Unis, parcouru près de 75 000 kilomètres et échoué dans une tentative du monde en solitaire sur un trimaran qu’il a construit. A près de 40 ans, il publie son premier récit, suivi trois ans plus tard de « Sukkwan Island » (2008)- prix Médicis étranger, best-seller mondial dont 300 000 exemplaires vendus en France. Et voilà David Vann de retour avec « Komodo ». Tracy vit en Californie, ça ne marche pas fort avec son mari, un Argentin danseur et acrobate, et leurs tout jeunes (5 ans) jumeaux la mettent sur les genoux. Alors, elle répond à l’invitation de son frère Roy- il vit sur l’île de Komodo (Indonésie), l’île des dragons éponymes, et prépare un « dive master » (moniteur de plongée) ; elle est accompagnée de leur mère et s’imagine des vacances paradisiaques avec plongées en compagnie des requins et des raies Manta. Ce devait être des retrouvailles heureuses avec ce frère écrivain de réputation internationale qui, depuis son divorce, a pris ses distances avec la famille et va de chaos en chaos. Ce devait être… mais il n’en est rien : peu après son arrivée à Komodo, Tracy se heurte à Roy, les souvenirs et reproches deviennent l’ordinaire quotidien. Il y a des violences, des tourments, c’était enfoui, c’est sorti. L’affrontement tourne au duel. Avec « Komodo », une fois encore, David Vann conte les heurs (peu) et malheurs (beaucoup) d’une famille cabossée, d’une famille malade avec une femme en apnée. L’écriture est nerveuse, tendue- parfaite pour entraîner le lecteur au plus loin des profondeurs de l’âme humaine

« Komodo » de David Vann. Traduit par Laura Derajinski. Gallmeister, 306 pages, 22,80 €.

livre l'appel de la tribuMARIO VARGAS LLOSA : « L’appel de la tribu »

Il en est certains qui le comparent au Renard. Celui du « Roman ». Celui aussi vanté par Archiloque, le poète grec (680 av. J.C.- 645 av. J.C.), qui affirmait que « le renard connaît beaucoup de choses, mais le hérisson en connaît une seule grande ». Mario Vargas Llosa, né au Pérou, naturalisé espagnol et prix Nobel 2010 de littérature, a un peu du hérisson et beaucoup du renard. La preuve avec son récent et nouvel essai, « L’appel de la tribu »un texte écrit par un brillant manieur de bientôt 85 ans, très grand écrivain, piètre homme politique (il a été battu lors de l’élection présidentielle au Pérou en 1990, avec 37% des voix au second tour). Hommes d’idées et d’action, Vargas Llosa a commencé sa vie à gauche- il fut un temps communiste castriste, et à ce jour, il est un chantre du libéralisme. De Jean-Paul Sartre et Fidel Castro à Margaret Thatcher et Raymond Aron… Au fil des pages de cet « Appel de la tribu », il évoque et rend hommage à ses « maîtres ». Sept penseurs : par ordre d’apparition, Adam Smith, José Ortega y Gasset, Friedrich August von Hayek, sir Karl Popper, Raymond Aron, sir Isaiah Berlin et Jean-François Revel. « J’ai été poussé vers le libéralisme par certaines expériences politiques et, surtout, par les idées des sept auteurs à qui ces pages sont consacrées », explique Mario Vargas Llosa qui écrit là la deuxième partie de son autobiographie, initiée en 1995 avec « Le poisson dans l’eau » où il se tenait à un récit factuel. Avec « L’appel de la tribu », changement de genre : l’auteur nous offre un autoportrait intellectuel de grande exigence. Salutaire en ces temps flous…

« L’appel de la tribu » de Mario Vargas Llosa. Traduit par Albert Bensoussan et Daniel Lefort. Gallimard, 338 pages, 22 €.

Serge Bressan

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