Livres. Pendant plus de quarante ans, il a arpenté les rues de Bourges, préfecture du Cher. Vêtu de robes de femme, marginal, formidable dessinateur, Marcel Bascoulard était connu de tout.e.s. Un magnifique beau livre, tout à lui consacré, est réédité. Un ouvrage indispensable…
Marcel Bascoulard: Mascotte et artiste maudit de Bourges, autodidacte « doté d’un talent miraculeux » pendant 40 ans, il a dessiné sa ville, ses rues, ses bâtiments, ses monuments
Marcel Bascoulard dessinant dans les rues de Bourges (c) DRTraversant le 20ème siècle, il fut clochard magnifique, voyageur immobile. Son point d’ancrage ? Bourges, préfecture du Cher en cœur de France. Là, les ancien.ne.s se souviennent de cet individu qui déambulait dans les rues de la cité berruyère, un carton à dessin sous le bras, souvent accompagné de ses chiens.
Marcel Bascoulard est né dans un village, pas loin de Bourges, le 10 février 1913. Il a 19 ans quand, le dimanche 25 septembre 1932, sa vie bascule. Un témoin raconte : « Tout de suite après le repas de midi, alors que le brave homme lisait paisiblement son journal, sa femme, froidement, lui a tiré un coup de revolver dans le dos. André Thomas [un voisin, NDLR] qui se trouvait dans la cour à ce moment-là a vu le pauvre homme ouvrir la porte et s’écrouler… mort. Derrière, sa femme est sortie, le revolver encore à la main, suivie de son fils qui frappait dans ses mains en s’écriant, heureux semble-t-il : ‘’Elle l’a tué le vieux, elle l’a tué !’’ »
Sur ce dernier point, d’autres versions divergent mais voisins et proches, tous sont unanimes : pour Marcel Bascoulard, « cette mère était de toute évidence l’objet de la plus terrible affection ». Une mère qui dira : « La vie avec mon mari était devenue impossible », et finira sa vie en hôpital psychiatrique, une mère que le fils visitera régulièrement…
En ces temps-ci, le passant de Bourges revient en librairie. Avec la réédition de « Marcel Bascoulard, dessinateur virtuose, clochard magnifique, femme inventée », le très épais et très beau livre avec un texte impeccable de Patrick Martinat, nombre de photos et reproductions d’œuvres et aussi dix-neuf lettres inédites.
Pendant plus de quarante ans, Bascoulard a cheminé au hasard des rues de la préfecture berruyère, on le croisait souvent rue Mirebeau, il liait conversation et offrait un dessin à qui lui donnait quelque pièce de monnaie. Bascoulard, dans les rues dépeuplées parmi les gens de peu. Mascotte et artiste maudit de Bourges…
Autodidacte « doté d’un talent miraculeux » selon certains, il dessine sa ville, ses rues, ses bâtiments, ses monuments. C’est du dessin sur le vif, aussi réaliste que systématique et follement instantané. Jeune homme, sur l’invitation d’un mécène local, Joseph de La Nézière, qu’il appelle « Mé-maître », il fit un voyage à Paris à l’occasion de l’Exposition internationale des arts et techniques de Paris où sont montrés quelques-uns de ses dessins grâce à l’appui de l’architecte Marcel Pinon, enseignant aux Beaux-Arts de Bourges, qui l’a repéré… Dans une lettre, Bascoulard évoque son séjour à Paris, « la Ville lumière qui est toutefois fort ténébreuse »…
Retour à Bourges. Très vite, il glisse dans la marge. Devient clochard. Il est admiré et réprouvé. Asocial et excentrique. Ainsi, dans les rues de la préfecture du Cher, on le croise adossé à un mur ou accroupi devant une porte, surtout dans le quartier d’Avaricum, centre historique gallo-romain en décrépitude. Il est habillé en femme.
Parfois, à des passant.e.s, il lui arrive d’évoquer des « chagrins de famille »– sans en dire plus… Rapportée par Patrick Martinat dans son livre, la sociologue de l’art Isabelle Papieau avance une explication : « Bascoulard a pu se trouver dans une démarche non seulement d’identification à la mère, mais aussi de désappropriation d’une culture de la famille qui passe inévitablement par le décor, le cadre domestique d’un intérieur dont il refusa l’idée ».
Un jour de 1942, il se balade rue Bourbonnoux, il porte une robe rose à crinoline- une de ces robes qu’il a dessinées et faites confectionner par des couturières amies après avoir choisi méticuleusement le tissu. Dans le dos, il porte un écriteau sur lequel on lit : « J’emmerde la société ».
Souvent, pendant la Seconde Guerre mondiale, il sera interpellé par l’occupant allemand. Ensuite, dans les années d’après-guerre, par la police locale. L’objet de son méfait ? « Indécence ». Et c’est ainsi que, mort assassiné le 12 janvier 1978 après s’être vanté d’être « multimillionnaire », Marcel Bascoulard s’est offert une vie dans la marge, aussi romanesque que tragique…
Serge Bressan
- A lire : « Marcel Bascoulard, dessinateur virtuose, clochard magnifique, femme inventée » de Patrick Martinat. Les Cahiers dessinés, 304 pages, 55 €.
EXTRAIT
« Vêtue d’une blouse d’un gris incertain, une silhouette passe, en ombre chinoise, dans les rues de Bourges. Sur son avant-bras gauche repose un carton avec une feuille à dessin, une feuille d’un état douteux et souvent détournée de son premier usage. Marcel Bascoulard n’utilise jamais de chevalet. Ses mimiques étranges découragent les curieux. Il aime à faire croire qu’il est couvert de puces. Il travaille en courbant l’échine. On le dit coléreux, misanthrope, généreux, naïf, rebelle. On lui prête des silences fiévreux, des exubérances, parfois même des crises de démence… »
