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"Microfictions 2022" de Régis Jauffret : 500 textes courts pour un « roman » aussi éblouissant que jubilatoire © Astrid di Crollalanza

Livres. Il en a promis cinq, il nous glisse sa troisième livraison. Régis Jauffret, un des plus brillants auteurs de la littérature d’en France, revient donc avec « Microfictions 2022 »– 500 textes courts pour un « roman » aussi éblouissant que jubilatoire, flottant entre vice et mort…


« Microfictions 2022 » de Régis Jauffret : fragments de vie en 500 nuances


   

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« Microfictions 2022 » de Régis Jauffret – Francesca Mantovani

Bienvenue chez les dingues, les paumés… et tous les autres ! Pour guide de ce jour (et de tous ceux qui suivront), Régis Jauffret, 66 ans, en littérature depuis 1985 avec un roman (« Seule au milieu d’elle ») et une pièce de théâtre (« Les Gouttes »), un sacré loulou qu’on a même, un temps, vu jouer dans un film pour le cinéma et entendu chanter « Petite salope »

De temps à autre, il reçoit un prix- entre autres, le Goncourt de la nouvelle en 2018. Et puis, il s’installe à la terrasse d’un terminus (nord, de préférence) et observe. Ses contemporains, et même ceux qui sortent d’« Asiles de fous », un de ses romans parus en 2005. Alors, en un début de printemps 2022, on le retrouve. Là, c’est du lourd : 1 028 pages pour « Microfictions 2022 ».



Pour un livre de 500 textes d’une page à une et demie, parfois deux, sur la couverture, sous le titre, on lit « roman ». Il s’empresse : « Je n’ai jamais été compris là-dessus. Si vous piochez une histoire çà et là, on peut dire que « Microfictions », ce sont des nouvelles. Mais si vous abordez l’ouvrage dans son ensemble, c’est un authentique roman. Certains ont accusé Gallimard d’avoir ajouté la mention « roman » à des fins commerciales, alors que c’est moi qui l’ai imposée depuis le début ! »

Interrogé également sur ces exercices qu’il pratiquerait comme d’autres font des abdos, l’auteur qui nous avait enthousiasmés l’an passé avec « Le dernier bain de Gustave Flaubert » précise : « Ce ne sont pas des exercices, c’est de la littérature. J’aurais même pu n’écrire que ça toute ma vie. A l’opposé d’une discipline que je m’imposerais, c’est la manière la plus naturelle pour moi d’écrire. Je pense même que quelqu’un qui, sans expérience, se mettrait au travail serait capable d’obtenir en une page et demie quelque chose qui ressemblerait à une microfiction. Ce format d’histoire est en effet la chose la plus naturelle qui soit. Le roman, lui, n’est pas naturel. Une microfiction n’est pas non plus une nouvelle. J’y fais entrer beaucoup plus de choses que je ne serais capable de le faire dans une petite intrigue. C’est même ce qui m’intéresse »

Dresseur de loulous et dynamiteur d’aqueducs, à défaut de sauter à l’élastique dans le Vercors ou encore de faire la saison dans une boîte crânienne, Régis Jauffret déroule, au gré des haltes des trains à travers la plaine, des « Microfictions » depuis 2007.

Il en promet cinq livraisons : il y eut donc en 2007 « Microfictions » puis « Microfictions 2018 » et, tout récemment, « Microfictions 2022 ». Toujours le même principe : en un volume, 500 textes classés par ordre alphabétique du titre et écrits sur le mode « je ». « Je ne sais pas du tout comment elles m’arrivent. Par expérience, je sais juste que je suis capable d’aller à chaque fois jusqu’au bout », confie l’auteur.



Les thèmes ? Le tout-venant, des dingues, des paumés… et tous les autres. Une constante : une histoire, un jour (même s’il n’est jamais précisé…). Alors, dans le petit théâtre de Jauffret, passent et repassent un migrant prostitué leucémique, une lycéenne toxico, un couple obsédé par l’hygiène, deux « princesses Nutella », un type qui tue sauvagement son chien, un « vieil écolo puant », un ancien laudateur de Pétain brillant dans l’art de la délation, un réac obsédé…

Il y a aussi les adeptes du transhumanisme, les convaincus du grand remplacement… « J’ai accumulé dans mon cœur beaucoup plus de haine que d’amour. Les baisers, les caresses, les moments d’extase ont disparu dans le brouillard des années mais je me souviens avec acuité des ruptures, des défaites, des humiliations. Il me suffit de lever les yeux pour les voir défiler l’une après l’autre, nettes et chatoyantes comme au moment de leur survenue », lit-on dans une microfiction titrée « Bonnet à pompon ».

C’est la désillusion sentimentale. La déroute financière. Le naufrage de la vieillesse. Avec, bien sûr, l’ordinaire que peuvent être l’homicide, le suicide, l’accident de la route, ou l’horreur que sont l’inceste et l’infanticide… Tout ça relève du « cauchemar gris ». Toute la misère d’ici, d’en face où il y a encore des oiseaux. Pour 500 nuances de Jauffret…

Serge Bressan

  • A lire : « Microfictions 2022 » de Régis Jaufrret. Gallimard, 1028 pages, 26 €.

EXTRAIT

« Un mardi après-midi nous l’avons trouvée évanouie dans la cuisine. Elle est morte à l’hôpital dix jours après. Trois ans plus tard notre père a eu un malaise cardiaque dans la nuit. Il nous a appelées au secours. Il était incapable de se déplacer jusqu’au salon pour téléphoner. Malgré ses supplications, nous l’avons laissé crever. Il est décédé au lever du jour. Nous sommes parties à l’école comme si de rien n’était. La femme de ménage l’a découvert quand elle a pris son service en début d’après-midi ». (in « Bonsoir à tous »)


 

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