Le Book club de We Culte/« Où les étoiles tombent ». Après le formidable succès de « Son odeur après la pluie », Cédric Sapin-Defour nous revient avec « Où les étoiles tombent », récit poignant de l’accident de parapente survenu à sa compagne en août 2022. Malgré l’épreuve et l’année incertaine qui a suivi, il célèbre la vie et l’amour. Une belle leçon de courage et d’espoir.
« Où les étoiles tombent » : tout au long de ce voyage intime et poignant, c’est la vie qui est célébrée, l’amour qui est partagé, la force qui est transmise
« À la faveur de l’épreuve et de ses abrasions, on fait connaissance avec soi-même et ce n’est pas la plus anodine des rencontres. » Quand Cédric Sapin-Defour voit son premier roman, Son odeur après la pluie, grimper en tête des ventes, peu de gens savent qu’il vit une douloureuse expérience. Il ne pleure pas la perte de son chien Ubac, mais se bat pour aider sa compagne à surmonter l’accident survenu par un jour d’été radieux, le 12 août 2022.
Passionnés de parapente, Cédric et Mathilde se sont élancés depuis un sommet du Haut-Adige dans le ciel de la province de Bolzano. Mais brusquement Mathilde disparaît et Cédric ne voit plus que la toile du parapente en contrebas. Elle ne répond ni à la radio, ni à son portable. Commence alors une très longue attente. Les secours sont prévenus et l’hélicoptère se dirige vers les lieux de l’accident tandis que Cédric, qui a atterri en urgence en contrebas, tente de regrimper vers sa compagne.
Il ne le sait pas encore, mais les minutes d’incertitude qui suivent marquent le début d’une année de lutte et de reconstruction. Car la seule information sûre, c’est que Mathilde est en vie, qu’il est trop tôt pour se prononcer plus avant. « À midi cinq et des poussières, tu es née. Tu as crié fort et sans réserve, âgée d’une seconde, cela ravit les grands. »
Car c’est bien une autre vie qui commence pour le couple, documentée avec une sincérité déchirante. Présenté sous forme de journal intime dans un désordre chronologique, alternant entre le jour de l’accident et les jours qui suivent sur une année entière, le récit instaure une tension narrative qui captive le lecteur. « On croit entrer dans une histoire par son début. On se trompe. Nos histoires nous cueillent par leur milieu. Une grande part s’est jouée sans nous, à peu près tout est en place, on nous l’a signalé mais nous n’avons rien vu venir. »
La prose est à la fois poétique et brutale, à l’image de l’ascenseur émotionnel que le couple a pris sans le vouloir. On passe de petits moments de grâce qui éclairent même les jours les plus sombres aux questions toujours sans réponse, à la mélancolie des souvenirs partagés qui ne reviendront plus à la tendresse que dévoilent les regards partagés à chaque petite victoire.
Car tout au long de ce voyage intime et poignant, c’est la vie qui est célébrée, l’amour qui est partagé, la force qui est transmise. Mais ce qui touche avant tout dans cette leçon de courage et d’espoir, c’est la distorsion du temps où chaque instant de douleur est aussi un instant de vie qui s’écoule, inéluctablement.
Où il est question de semaines et de mois pour essayer de remettre un pied devant l’autre. Une attente qui peut se transformer en colère, en impatience, en renoncement même. Mais que Mathilde et Cédric combattent sans relâche, chacun à leur manière. Mathilde avec sa force de caractère, Cédric avec son stylo.
« Je ne suis pas certain que les plaies ouvertes soient le meilleur des encriers mais je n’ai que ça. Un jour, peut-être, voudras-tu savoir ce qui s’est passé, le vendredi puis le samedi puis le dimanche, et aide-mémoire, c’est une noble tâche. Un jour, peut-être nous demanderons-nous si nous avons vraiment vécu cela, si nous avons affronté cette chose. Et il n’y aura que les mots pour nous venir en aide. Parce qu’écrire, c’est lutter contre l’effacement et c’est s’offrir d’oublier. Parce qu’écrire, minutieusement, c’est m’assurer que rien ni personne ne vienne un jour corrompre ce que tu as vécu. Parce qu’écrire, c’est fuir le réel et l’enserrer tout entier. Parce qu’écrire, en cas de vie mouvante, n’est pas le moins sûr des ancrages. Parce qu’écrire, à ce moment précis, sous ses airs de supplice, est mon unique remède. Je ne dispose d’aucune autre substance pour redonner de l’ampleur à notre monde qui depuis ce matin ne fait que s’étriquer. »
Il remplit des carnets pour dire ce que Mathilde a oublié. « Ici se sont jouées les minutes les plus intenses de notre vie. Je me souviendrai de chacune d’elles, toi de rien. Mon esprit sera marqué pour toujours et toi ton corps, à nous deux nous ferons un être complet. »
Oui, malgré les épreuves, la vie continue à offrir des moments de grâce et de beauté. Il faut alors savoir les saisir, car après le choc et les soins intensifs, une nouvelle étape attend le couple. « Vous avez fait le plus dur, reste le plus long. »
Henri-Charles Dahlem
- « Où les étoiles tombent » Cédric Sapin-Defour. Éditions Stock. Roman, 400 p., 22,50 €. Paru le 13/08/2025
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A propos de l’auteur
Cédric Sapin-Defour vit en montagne et la parcourt. Il est l’auteur, entre autres, de Son odeur après la pluie, qui fut l’événement littéraire de l’année 2023, traduit dans de nombreux pays, adapté en bande dessinée, au théâtre et en cours d’adaptation au cinéma. (Source : Éditions Stock)