meena kandasamy
Meena Kandasamy. Photo Terri Pengilley.

Roman. L’Inde était l’invitée d’honneur du Salon du livre de Paris 2020. Le confinement en a décidé autrement. Avec « Quand je frappe », Meena Kandasamy, même absente, livre le récit implacable d’une femme violentée. Une langue de la contrainte et de l’emprise, auréolée de poésie pour sauver sa peau.

« Quand je te frappe », un récit âpre, défiant les lois du clacissisme, au ton singulier pour dire la souffrance d’une violence sans but que celui de détruire autrui jusqu’à l’enterrer. Un récit où chaque phrase a construit le sauvetage d’une naufragée

livre quand je te frappeIl y a des mots qui sauvent et des mots qui tuent. Le personnage de Meena Kandasamy en a fait l’expérience après quatre mois de mariage. Sa chevelure envahie de poux, en loques, pieds nus, elle se réfugie chez ses parents. Une prisonnière en fuite. Une esclave sur la route de l’exode. Elle a quitté un mari violent. Longtemps encore après cette échappée de la dernière heure avant la mort, la mémoire de son corps lui rappelle les coups, les humiliations, la dictature imposée.

Pour contrer l’emprise, elle s’invente un personnage, joue sa vie comme dans une fiction : elle interprète le rôle d’une femme battue. Les rituels de la brutalité commencent par une inspection de ses mails, éviter toute relation extérieure, portable confisqué, la garder recluse : « Rien de criard, rien de trop voyant, rien de beau. Je dois ressembler à une femme que personne ne voit. Je dois être rien. » La négation d’une identité.

Son époux, qui la considère en petite bourgeoise, l’exhorte à devenir une militante de la cause maoïste, à ressentir la fatigue des ouvrières qui triment toute la journée alors qu’elle ne pense qu’à son corps à elle. Qu’est-ce qui différencie un récit de femme battue d’un autre ? Le projet littéraire. Si le roman se situe en Inde, il parle de toutes les femmes brutalisées.

L’auteure de « Quand je te frappe » s’attache à varier les types narratifs, de longues pages écrites à des amants imaginaires, cet espace intime où le bourreau n’entrera jamais. « Quand je te frappe, le camarade Lénine pleure », lui lance-t-il ; ses idées communistes lui servent à cacher son propre sadisme. Tout au long de ce calvaire, une maison intérieure détruite, la narratrice apprend la peur, en Inde, une épouse est brûlée toutes les 90 minutes ; et quand le viol conjugal devient la règle, elle apprend la discipline et les mutilations. Entre cris et silence.

Pourquoi être restée ? s’interroge-t-elle, « j’observe mon cadavre de l’extérieur, depuis ma fenêtre, sans cheveux, sans yeux, sans bouche. Je ne veux pas que ma cuisine devienne mon bûcher funéraire ». La poésie est son alliée avec la lune dans la nuit. Son credo : l’écrivain maîtrise le récit. Quand la mort est imminente, elle s’oblige à retrouver le dehors. A partir de là, elle décide de son corps, pas besoin d’autorisation parentale ou de l’approbation de la société pour qu’il s’ouvre ou se referme. De plaisir charnel, elle se le refuse, elle multiplie les rencontres furtives sans lendemain.

Cette femme n’est pas conforme aux normes des traditions patriarcales, elle fait peur, n’entre dans aucune catégorie. D’un corps délabré, elle réussit par les mots écrits d’une brève rencontre dévastatrice à s’éloigner, à trouver des lieux de repos, un semblant d’apaisement. Elle s’approprie un corps étranger, souillé, que plus personne ne touche sans consentement. « Quand je frappe » est un récit âpre, défiant les lois du clacissisme, au ton singulier pour dire la souffrance d’une violence sans but que celui de détruire autrui jusqu’à l’enterrer. Un récit où chaque phrase a construit le sauvetage d’une naufragée.

Texte Virginie Gatti

  • « Quand je te frappe » de Meena Kandasamy. Traduit de l’anglais (Inde) par Myriam Bellehigue. Actes Sud, 253 pages, 22 euros

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