qu'on leur donne le chaos
"Qu'on leur donne le chaos" : un texte de tempête poétique signé Kae Tempest (c) L'Arche

Livres. Star internationale du « spoken word », Kae Tempest signe avec « Qu’on leur donne le chaos », un aussi beau que long poème en prose. Une nuit à Londres, sept paumé.e.s, face à leurs angoisses. Pour les sauver : une seule solution : la poésie…


« Qu’on leur donne le chaos » de Kae Tempest : un texte de tempête poétique pour virée londonienne nocturne.


qu'on leur donne le chaos
« Qu’on leur donne le chaos » de Kae Tempest

Glissée dans le présent livre, une petite carte- on y lit : « Jusqu’à ce que l’Amour soit inconditionnel / Le mythe de l’individu / Nous a laissés déconnectés perdus / et pathétiques ». Signature : Kae Tempest, 37 ans, Anglaise née Kate Esther Calvert à Londres, est une voix puissante- on la tient pour la « papesse » du « spoken word », cet art d’oraliser un texte poétique ou non et dont on date l’origine dans les années 1960 à la beat generation avec William Burroughs ou encore Lawrence Ferlinghetti.

En piste depuis l’âge de 16 ans, d’abord sur scène puis dans des recueils de poésie ou des pièces de théâtre, Kae Tempest a annoncé à l’été 2022 son non-binarité et s’est glissé.e jusqu’à nous, la saison suivante, avec « Qu’on leur donne le chaos »– un texte de tempête poétique pour virée londonienne nocturne.

En ouverture de ce poème XXL en prose, elle suggère qu’il « a été écrit pour être lu à voix haute », et d’y ajouter deux citations- l’une de William Blake (« Sans contraires point de progression »), l’autre de Jean dans la « Bible du roi Jacques » (« La crainte n’est pas dans l’amour, mais l’amour parfait bannit la crainte ; car la crainte suppose un châtiment, et celui qui craint n’est pas parfait dans l’amour »).

Il est 4h18, une nuit à Londres. Avis de tempête poétique annoncé. On passe d’appartement en appartement, il y a sept âmes isolées. Revue de détail : Jemma hantée par les fantômes d’un passé toxicomane, Esther aide-soignante laminée par le désordre mondial, Bradley le natif de Manchester qui vit à l’aise dans un « appart de luxe» est incapable de trouver un sens à sa vie.


  • LIRE AUSSI : «Connexion» : le livre de l’urgence et de la (re)naissance selon Kae Tempest

Il y a aussi Alicia, Pete, Zoé ou encore Pious. Pas vraiment des dingues, surtout des paumé.e.s seul.e.s avec leurs angoisses. L’un.e dit : « Mais certains d’entre nous sont coincés /comme des pierres /dans une / eau stagnante / Comment faire pour me réveiller ? » Un.e autre : « Le mythe de l’individu / Nous a laissés déconnectés / perdus / et pathétiques »… On les croit tout.e.s éveillé.e.s et conscient.e.s- apparence, en fait : tout.e.s sont anesthésié.e.s. Victimes du malaise contemporain.

Pour s’en sortir ? Une injonction : « Imagine un vide / Une infinie et immobile noirceur / La paix / Ou l’absence, au moins de terreur / Maintenant, dans tout cet espace, / vois ce point de lumière dans le coin le plus reculé, / or brillant comme le sarcophage d’un pharaon / Suis cette lumière de tes yeux fatigués ».

Une solution, une seule selon Kae Tempest : la poésie. Parce qu’elle agit inévitablement, tel un électrochoc, tel un coup de fouet… Alors, tout en rythmes et syncopes, « qu’on leur donne le chaos » entre bourrasque et trombes d’eau. Pour sauver une génération désenchantée…

P.S. : pour compléter le plaisir de « Qu’on leur donne le chaos », on replonge avec bonheur dans « Ecoute la ville tomber », le premier roman de Kae Tempest (Rivages, 2016), on enchaîne avec son premier essai, « Connexion » (L’Olivier, 2021) et on écoute son nouvel album, « The Line is a Curve » (Universal, 2022).

Serge Bressan

  • A lire : « Qu’on leur donne le chaos » de Kae Tempest. Traduit par Louise Battler et D’ de Kabal. L’Arche, 160 pages, 17,50 €.

EXTRAIT

« Ici rassemblés ici rencontrés

Témoins d’une chose partagée, à eux autant qu’aux autres

Os heurtés, résonnent en harmonie.

Et le matin quand c’est fini ils commenceront leur journée

vaguement conscients de ce baptême.

Ils le porteront comme la photo d’un parent mort

toujours rangée dans une poche intérieure

Qui s’estompe comme un battement de cœur ».

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