Livre. Pour le vingtième anniversaire de la collection, Pierre Lemaitre (prix Goncourt 2013 et aussi auteur de romans policiers à succès) signe le « Dictionnaire amoureux du polar ». Un peu plus de 800 pages pour 245 entrées. Un ouvrage indispensable pour amateurs du genre… et tous les autres !
Le « Dictionnaire amoureux du polar » de Pierre Lemaitre est un livre aussi érudit qu’éclectique et délicieusement réjouissant, un panorama pétillant où aucun monstre sacré ne manque à l’appel
Il confie adorer la série télé Columbo avec Peter Falk. Il se souvient aussi avoir découvert l’univers du polar avec « Les dix petits nègres » d’Agatha Christie et le personnage de Sam Spade (créé par Dashiell Hammett pour le roman « Le Faucon de Malte » paru dès 1930 dans la revue populaire « Black Mask », et interprété à l’écran, notamment par Humphrey Bogart) dont il suivait les aventures dans les hebdos de bande dessinée de l’époque, dans les années 1950 quand la lecture prédominait encore sur la télé balbutiante.
Devenu romancier, Pierre Lemaitre a écrit la trilogie « Les Enfants du désastre », dont « Au revoir là-haut », prix Goncourt 2013, et aussi du noir et du polar– entres autres, « Robe de marié », « Alex », « Sacrifices », « Trois jours et une vie »; ce furent de grands succès en librairie. Normal, dès lors, que l’éditeur Jean-Claude Simoën lui ait demandé un « Dictionnaire amoureux du polar », l’année du vingtième anniversaire de la collection pour laquelle d’autres amoureux ont évoqué l’Egypte, New York, l’enfance et l’adolescence, Mozart ou encore le tennis…
Vite, Pierre Lemaitre précise : « Les amateurs de définitions maîtrisées, de monographies exhaustives, d’analyses thématiques seront déçus. C’est à un écrivain que l’éditeur a confié ce « Dictionnaire amoureux », je parlerai donc ici en romancier et en lecteur. Il y aura des oublis impardonnables, des injustices criantes, des jugements contestables, c’est inévitable : c’est un dictionnaire de ce que j’aime et encore n’ai-je pas pu mettre tout ce que j’aime ».
Donc, le Dictionnaire de ce « Lemaitre du polar », ce sont deux cent quarante-cinq entrées qui courent sur un peu plus de 800 pages ! On commence à A (comme Ackroyd Roger), on finit non pas à Z mais à W (comme Wolfe Nero), tout ça pour rendre gloire et hommage à tout ce qui ne manque pas dans le polar : « papes, rois, reines (ou prétendus tels), chapelles, querelles, ego… mais surtout des romans qui emportent, frappent, terrifient, marquent les esprits comme les époques ».
Mais peut-être faudrait-il, d’emblée, s’entendre sur le vocable- on dit noir ? on dit polar ? quelle différence ?… Une autre précision de Pierre Lemaitre : « Nos amis italiens et espagnols (ils ne sont pas les seuls) ne font guère de distinction entre « roman noir » et » roman policier ». Mais comme en France, nous la faisons, en toute logique ce dictionnaire devrait ne comprendre que des entrées concernant le roman policier. Si vous en êtes d’accord, ce sera ma première licence : je parle d’un univers littéraire qui est le mien, on y trouvera aussi bien du ‘’polar’’ que du ‘’noir’’ . On glissera même qu’il en est qui évoquent le polar comme une « littérature de genre » !
Avec Pierre Lemaitre, c’est le voyage dans le monde tel qu’il va mal. Certes, jamais il n’écorche, ne bouscule mais cela ne l’empêche pas d’égratigner les « vaches sacrées » de la discipline, les vendeurs poids lourds (tels Harlan Coben ou encore Mary Higgins Clarke), les agacés professionnels (tel DOA, l’auteur de, entre autres, « Pukhtu ») ou encore le polar scandinave…
En fait, avec Lemaitre du polar, c’est l’hommage aux incontournables (par exemple, Agatha Christie ou Jim Thompson) et aussi la (re)mise en lumière d’auteur.e.s et de héros négligés ou oubliés comme l’écrivain- diplomate néerlandais Robert Van Gulick ( » Le Squelette sous cloche »– 1958 ; « Meurtre sur un bateau-de-fleurs »– 1960) ou Nero Wolfe, le « détective pachydermique, sédentaire, casanier… spécialiste des orchidées, maniaque, misogyne, ombrageux », créé dans les années 1930 par Rex Todhunter Stout…
Livre aussi érudit qu’éclectique et délicieusement réjouissant, panorama pétillant où aucun monstre sacré ne manque à l’appel, le « Dictionnaire amoureux du polar », version Lemaitre, ne craint pas de pointer les agissements réactionnaires d’un James Ellroy ou la soupe d’une Ruth Rendell.
Heureusement, dans l’histoire du polar toujours selon Lemaitre, il y a Georges Simenon. « Simenon, l’éternel », « je l’ai tant lu, confie l’auteur dudit dictionnaire, j’ai lu tant de choses sur lui, son influence a été si considérable… » Et d’ajouter : « A chaque roman, on a l’impression de retrouver un ami. Je ressens très fortement cette familiarité avec mon histoire, mon histoire de lecteur, ce que j’ai appris de l’existence. Lire Simenon, c’est comme entretenir une correspondance avec un proche… »
Serge Bressan
- Lire : « Dictionnaire amoureux du polar » de Pierre Lemaitre. Plon, 818 pages, 27 €.