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Tina Modotti. Vers 1927. (Photo Abel Plenn. The Museum of Modern Art, New York. ©Museum of Modern Art, New York/Scala, Florence)

Exposition/Tina Modotti. Pendant à peine dix ans dans les années 1920, Tina Modotti a photographié le Mexique et la vraie vie. Jamais, elle n’a cherché à plaire, a seulement voulu adhérer au réel. On la tient pour la créatrice de la « photographie ouvrière ». A Paris, le musée du Jeu du Paume lui rend hommage avec une exposition indispensable en 250 images devenues, pour la plupart, iconiques.

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Tina Modotti : Femme au drapeau. 1927. (Photo Tina Modotti. The Museum of Modern Art, New York. ©Museum of Modern Art, New York/Scala, Florence)

En débarquant le 8 juillet 1913 à Ellis Island, New York, la belle jeune fille a tout juste 17 ans. Au préposé aux services de l’immigration, elle déclare : « Je ne suis ni anarchiste, ni polygame et je n’ai jamais fait de prison », Elle a passé 45 jours en mer, en provenance d’Europe- en éclaireur, son père, mécanicien de profession, a déjà fait le voyage, espérant ce « rêve américain » qui a attiré tant et tant d’Italiens pauvres.

La jeune fille est née à Udine, la capitale du Frioul ; elle se nomme Assunta Adelaide Luigia Modotti, appelée « Assuntina », pour la distinguer de sa mère, puis dans sa vie nomade, elle deviendra Tina. Après avoir travaillé, enfant, en Italie et en Autriche dans une filature, sur le sol américain elle trouve un boulot dans une fabrique de chapeaux, et va découvrir le monde du théâtre à San Francisco, où vit une importante colonie italienne qui a monté de nombreuses troupes théâtrales.

C’est le temps du cinéma muet, Hollywood la repère et la fait jouer dans quelques films « nunuches ». Tina Modotti va rencontrer un poète d’origine québécoise, Roubaix de l’Abrie Richey (1890- 1922), dit Robo qui devient son mari. On lui présente Edward Weston : il est photographe, elle l’entraîne à Mexico en pleine renaissance culturelle, il lui apprend la photo en échange de l’intendance de la maison ou de l’atelier, ils deviennent amants…

Dans ses Mémoires, le poète, écrivain et diplôme chilien Pablo Neruda écrira : « Elle était fragile, presque invisible. Je me demande même parfois si je l’ai connue ». En 1929, lors de la dernière exposition de ses photos à Mexico, elle confiera : « Je me considère comme une photographe et rien de plus », gênée qu’elle était qu’on puisse utiliser les mots « art » et « artiste » pour évoquer son travail…

Près d’un siècle plus tard, Tina Modotti, femme libre et engagée, est à nouveau à l’honneur. Le musée parisien du Jeu de Paume lui consacre une belle exposition, « Tina Modotti. L’œil de la révolution », avec près de 250 photographies.

« Quelques images-icônes, souvent mises en avant, ont fait oublier l’essentiel, à savoir que son travail ne cherche pas à plaire mais se révèle bien davantage soucieux d’adhésion au réel et à une forme de vérité. Longtemps étudiée à travers le seul prisme de l’influence d’Edward Weston, l’œuvre photographique de Modotti se détache enfin, depuis plusieurs années maintenant, dans sa singularité », commente Quentin Bajac, directeur du Jeu de Paume, dans « Tina Modotti »– le magnifique catalogue de l’exposition parisienne.



Au Jeu de Paume, les œuvres (du moins, celles dont on dispose à ce jour) de Tina Modotti sont là. La femme au drapeau. La mère et son bébé à Tehuantepec. La femme portant un jicalpextle. La faucille, la cartouchière et l’épi de maïs. Des musiciens. Un travailleur lisant le journal « El Machete »

Des clichés qui définiront ce qu’on appellera « la photographie ouvrière ». Ce que Tina Modotti appellera simplement « des photographies honnêtes », et qu’elle précisera, dans « Sur la photographie » paru en 1929 : « La photographie, justement parce qu’elle ne peut être produite que dans le présent et parce qu’elle est fondée sur ce qui existe objectivement devant l’appareil, prend sa place en tant que moyen d’expression le plus satisfaisant qui soit pour enregistrer la vie objective sous tous ses aspects, d’où sa valeur documentaire. Si on ajoute à cela de la sensibilité et de la compréhension et, par-dessus tout, une orientation sans ambiguïté quant à la place qu’elle devrait avoir dans le domaine du développement historique, je crois que le résultat est quelque chose qui mérite une place dans la production sociale, à laquelle nous devrions tous contribuer ».

Pour Claudio Natoli, un des contributeurs du catalogue de l’exposition parisienne, avec Tina Modotti on est en présence d’une artiste dont la vie est prise dans l’histoire entre art et liberté. Ainsi, femme à hommes (elle fut très proche des muralistes mexicains dont Diego Rivera et Xavier Guerrero, ou encore du poète Maïakovski), elle n’a photographié que pendant une petite dizaine d’années.

Encore Natoli : elle est passée « de la perfection des formes abstraites à la photographie sociale. Elle s’attache à représenter les travaux épuisants et sans dignité, les inégalités et la misère des zones urbaines, mais aussi les subjectivités féminies, si éloignées des stéréotypes machistes entretenus par les classes bourgeoises (…) Son art n’admet aucune concession aux canons pédagogiques pouvant nuire à la qualité des formes expressives… »

Militante au Parti communiste mexicain, elle sera soupçonnée d’avoir participé (de loin) au meurtre de Trotski- elle part alors pour l’Europe, tient un rôle important dans le Secours rouge international (SRI) fondé en 1922 par la bolchevique Elena Stassova. Elle a posé l’appareil photo, ne s’en sera servi qu’’à peine pendant dix ans. On la croisera en France, en Allemagne, en URSS où elle devient la compagne de Vittorio Vidali, agent secret, espion et homme politique communiste italien.

Elle croit au mythe soviétique, le pays du « socialisme victorieux »– elle en reviendra vite. Direction l’Espagne- elle pressent le « choc des civilisations » entre fascisme et anti-fascisme, elle rejoint les républicains, elle retrouve l’espoir d’une « nouvelle humanité »- comme dans les années 1920 au Mexique… Plus que jamais et pour toujours, Tina Modotti est une femme libre et engagée. Le 5 janvier 1942, elle meurt d’une crise cardiaque dans un taxi à Mexico. Seule, à jamais pionnière et insurgée…

Serge Bressan


  • A voir : « Tina Modotti. L’œil de la révolution ». Musée du Jeu de Paume, 1, place de la Concorde. 75008 Paris. Jusqu’au 26 mai 2024 (fermé le 1er mai).

Mardi : 11-21 h. Du mercredi au dimanche : 11h- 19h.

Tarifs : 12 €. Réduit : 9 €. Jeune (en semaine, uniquement) : 7,50 €.

  • A lire : « Tina Modotti ». Catalogue de l’exposition. Flammarion / Jeu de Paume / MAPFRE, 354 pages, 45 €.

 

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