Jean-Michel Jarre/Interview. C’est un feu d’artifice électro que nous réserve Jean-Michel Jarre. Le pape de la musique électro va se produire ce dimanche sur la scène Foulquier des Francofolies pour célébrer en beauté, les 40 ans du festival et le 14 juillet. Il promet des surprises, avec notamment la chanteuse Zaho de Sagazan, qui interprètera « Les Mots Bleus » – chanson qu’il a écrite en 1974 pour Christophe – dans une version électro. L’occasion pour We Culte d’aller à la rencontre du pionnier de l’électronique qui ne cesse de se réinventer, dont ce sera les premières Francofolies. Un concert à découvrir sur France 2 le 14 juillet à 23:30.
C’est la première fois que vous vous produisez aux Francofolies. A quoi faut-il s’attendre pour ce show exceptionnel, pour les 40 ans du festival ?
Jean-Michel Jarre : Quand on m’a proposé de venir fêter le 40e anniversaire des Francofolies et pour célébrer le 14 juillet dans une soirée électro, j’ai trouvé que cela cochait beaucoup de cases. La musique électronique est née en France et la célébrer aux Francofolies, c’est aussi célébrer ses racines françaises et d’autre part, également célébrer la chanson française. J’ai beaucoup écrit de chansons et j’ai toujours été aux confins à la fois de l’électro et de la chanson française. J’en ai fait à l’époque avec des gens comme Françoise Hardy, Patrick Juvet dont j’ai produit plusieurs albums à Los Angeles, avec des musiciens de Herbie Hancock et avec mon ami Christophe.
Je ne pouvais pas passer à La Rochelle sans rendre un hommage à la fois à Christophe à travers une chanson que j’ai écrite « Les mots bleus » et d’inviter l’artiste, pour moi, la plus disruptive et incontournable de l’année qui est Zaho de Sagazan. Je l’ai contactée avant les Victoires de la musique et qu’elle explose en 2024 comme elle le fait de manière méritée. J’avais envie de croiser nos univers. Je me suis dit immédiatement que ce serait bien qu’on puisse faire une reprise électro des « Mots Bleu »s et de faire dans l’arrangement quelque chose que j’avais en tête au tout début, et en même temps d’aborder cette chanson qui prend une toute autre dimension, comme vous l’entendrez avec Zaho. C’est Zaho de Sagazan d’abord, mais c’est en fait une Barbara 2.0. Il y a cette pureté de cristal dans la diction et de ce côté-là, elle est incomparable. Le texte originellement a été écrit pour un homme et le fait qu’une femme le chante lui donne une toute autre dimension, ce que j’aime beaucoup.
Qu’est-ce qui vous passionne le plus ? Les concerts gigantesques comme à Bratislava récemment où vous avez joué devant 120 000 personnes ou les shows plus intimistes ?
Jean-Michel Jarre : Un concert c’est avant tout une histoire d’amour entre deux entités que sont le public et soi-même sur scène. Ce n’est pas une histoire d’échelle ou de nombre. Il peut y avoir une osmose qui se créé avec un public de 200 ou de 200 000 personnes. Finalement ce que l’on reçoit est à peu près la même chose. Je suis ravi d’être ici aux Francofolies. C’est une scène extrêmement importante et je suis heureux et fier de pouvoir y jouer, en plus un 14 juillet, qui est une date fétiche pour moi.
Votre père musicien était un grand compositeur. Il a laissé une œuvre très riche avec de nombreuses musiques de films, comme “Docteur Jivago”, « Lawrence d’Arabie » ou “Paris brûle-t-il ?”. A-t-il été une source d’inspiration ?
Jean-Michel Jarre : En fait, on n’a pas vécu ensemble car mon père est parti quand j’avais cinq ans et on s’est très peu vus. Malheureusement, nous sommes passés à côté d’une relation – c’est rare d’avoir dans une même famille qu’il y ait deux musiciens sur un chemin international – cela, on l’a raté. Aujourd’hui, il n’est plus là, mais je pense qu’il m’a sans doute inculqué le sens du travail et de l’obstination. Dans n’importe quelle création, c’est 5% de talent et 95% de travail. Je ne suis pas le premier à l’avoir dit, mais je pense que c’est vraiment cela qu’il m’a peut-être appris.
Vous auriez pu faire de la musique classique, contemporaine, ou encore créer des musiques de films. Comment expliquez-vous que vous votre attirance pour la musique électro et que vous vous soyez passionné pour les musiques électroacoustiques?
Jean-Michel Jarre : En fait, j’ai toujours considéré que la musique de films, c’était le territoire du père (rires). Donc, j’ai refusé un nombre incalculable de musiques de projets. Effectivement, j’avais un chemin tout tracé pour la musique contemporaine, quand je suis allé au G.R.M (Groupe de Recherche Musicale). En même temps, je jouais dans des groupes de rock et ce qui m’a toujours intéressé c’était ce pont entre la pop culture et ce qu’on appelait la musique savante à l’époque. Quand j’écoutais des groupes de rock anglais à l’Olympia qui ouvrait ses portes jusqu’à 3 ou 4 heures du matin à des groupes de rock progressifs, je me disais cette musique qui vient d’Angleterre, c’est évidemment la musique de notre génération et de celles qui allaient venir après, mais ce n’est pas la mienne. Quand j’ai travaillé chez Pierre Schaeffer ou au Groupe de Recherche Musicale, je me suis dit que la musique concrète, la musique électroacoustique, c’était cela ma révolution. Elle n’a rien à avoir avec le jazz, le blues et le rock, c’est une musique qui est essentiellement française et d’Europe continentale. Je me suis senti vraiment poussé et c’est ce que j’ai eu envie de faire.
Il y a toujours une dimension novatrice dans vos concerts live qui mêlent à la fois la réalité, et les images numériques virtuelles du metavers. En quoi cette spatialisation sonore et visuelle est-elle importante pour vous ?
Jean-Michel Jarre : C’est quelque chose qui, en fait, est une extension de mon imagination. De la même manière que, lorsque j’ai commencé, sans le savoir j’ai ouvert des portes et des territoires vierges puisque je n’avais pas de référence. C’est un luxe formidable. Cela m’est arrivé trois fois dans ma vie. La première fois pour la musique électronique où il n’y avait pas de référence, quand j’ai commencé à travailler avec les tout premiers instruments numériques. Et aujourd’hui, avec le métavers et la réalité virtuelle, c’est la même chose. C’est explorer un monde qui est lié à l’imagination. Le premier monde virtuel, c’est le livre dont les histoires nous transportent ailleurs. Pour moi, c’est un champ d’exploration absolument incroyable aussi bien sur le plan sonore que sur le plan visuel.
Le public voyage à travers ces images, mais vous-même vous voyagez à travers ce monde virtuel puisqu’il vous est arrivé de mettre des lunettes virtuelles qui vous permettent de vous projeter dans un ailleurs…
Jean-Michel Jarre : Vous faites référence à ce que j’ai fait à Versailles (en 2023). En fait, j’étais en contact à la fois avec le public réel dans la Galerie des Glaces et le public virtuel dans la Galerie des glaces imaginaire que j’ai créé. Mais ce public virtuel, c’est quoi ? Cela peut être vous, lui, elle. Chacun chez lui ou chez elle qui se retrouve grâce à leur jumeaux numérique dans le même espace. Et cela, c’est quelque chose qui est magique et poétique. Avec les technologies actuelles, on oublie la dimension poétique et cette capacité à étendre et amplifier notre imagination. Quand on parle de l’IA, je dirais que ce n’est pas de l’intelligence artificielle, c’est de l’intelligence augmentée.
C’est un monde très futuriste. Etes-vous attiré par la science-fiction dans vos lectures, les films…?
Jean-Michel Jarre e rencontrer et de devenir très ami avec Arthur C. Clarke, l’auteur de: Je suis marqué par les débuts de ma vie où en fait mes références étaient très liées à la science-fiction et notamment « 2001, l’Odyssée de l’Espace », un film fondateur. C’est un opéra total dans tous les sens du terme. C’est quelque chose qui m’a beaucoup influencé, cette utilisation de la musique et ses oxymores, ses contradictions entre le « Beau Danube bleu » et le vaisseau spatial. J’ai eu la chance J’ai eu la chance de rencontrer et de devenir très ami avec Arthur C. Clarke, l’auteur de « 2001, l’Odyssée de l’Espace ». J’étais à Londres quelques années plus tard en 2010, je me précipite pour acheter le livre et à la fin je vois mon nom dans les remerciements. En fait, il avait écrit la suite de « 2001 » en écoutant ma musique. On s’est contacté et je me suis rendu compte en le fréquentant, que comme Jules Vernes ou Léonard de Vinci, ce sont des gens qui ont prédit le futur d’une certaine manière. Les gens de la Nasa aussi bien que les gens de Baïkonour, les cosmonautes des deux côtés, se sont servis de l’imagination d’Arthur C. Clarke et du film de Stanley Kubrick pour fabriquer leurs modules.
Vous avez été un des pionnier de l’électro et votre musique a fait planer des millions de gens dans le monde avec des morceaux à la matière sonore novatrice comme « Oxygène ». Avez-vous l’impression d’avoir été un visionnaire ?
Jean-Michel Jarre : Ce n’est pas à moi de le dire. On peut effectivement défricher quelque chose de nouveau et ensuite décliner cela. Moi, ce qui me guide, c’est la curiosité. Je pense qu’à chaque fois je me renouvèle dans la manière d’aborder finalement mon ADN.
Est-ce qu’on pourrait dire qu’il y a un style Jean-Michel Jarre et sauriez-vous le définir ?
Jean-Michel Jarre : Je pense que quand on écoute 30 secondes de Moby, on sait que c’est lui ou quand on écoute 3O secondes de ma musique, on sait que c’est moi et personne d’autre. C’est cela le style, c’est un truc qu’on a en soi, on n’y peut rien. Après, on peut le décliner avec différents outils. Je dirais que ce qui défini ma musique, c’est peut-être une approche impressionniste des choses, aussi bien dans la composition, que dans les concerts, la scénographie. La musique est un peu la bande-son de l’histoire ou du film que l’auditeur peut se créer en l’écoutant. C’est cela mon ambition.
Entretien réalisé par Victor Hache