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Oete sort "Armes & Paillettes", son premier album (c) Yann Orhan

Musique/Interview. Nouveau talent de la chanson, Oete sort « Armes & Paillettes » : un premier album empli d’une galvanisante « variété alternative » au tempo dansant, entre boule à facettes, disco et spleen lumineux. Entretien.

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Oete (c) Yann Orhan

Combattre ses traumas en chansons et danser sur ses failles pour se sentir libre. C’est un peu la philosophie de vie de Thibaut Blond alias Oete, dont le premier album « Armes & paillettes » révèle une galvanisante « variété alternative ». Ici la boule à facettes n’est jamais loin et l’on s’extasie sur une musique écrite à l’instinct entre disco et spleen lumineux, qui rend son univers si attachant. Révélation de ce début d’année, Oete est un artiste aussi talentueux que sensible, dont les tourments s’accompagnent de refrains imparables qu’il livre avec fougue d’une voix androgyne sur scène en véritable icône pop.

Vous avez choisi « Oete » comme nom d’artiste. Une manière de vous protéger ?

Oete : C’est surtout la prononciation « eute » qui m’intéressait dans le mot. «Eute » ça veut inclure l’autre directement. Oscar Wilde dit « c’est lorsqu’il parle en son nom que l’homme est le moins lui-même. Mettez-lui un masque et il vous dira toute la vérité ». « Eute », c’est un masque pour dire la vérité. C’est comme enfiler une cape de super héros pour avoir un super pouvoir, quelque chose qui fait qu’on assume peut-être davantage.

De quoi avez-vous peur?

Oete : La musique c’était lointain pour moi, inaccessible. Me lancer avec mon identité civile, cela accentuait le côté inatteignable. Le fait de prendre un alias, cela me rendait plus légitime.

Vous avez grandi dans un village de Picardie où il ne se passait pas grand-chose. Comment êtes-vous venu à la musique ?

Oete : Grâce aux heures qu’on passait dans la Land Rover à écouter la radio. La musique je la découvre aussi par la télé et surtout quand j’ai eu mon premier téléphone à l’adolescence. Cela m’a permis d’accéder à toute une partie de la culture musicale sur Youtube, qui n’était pas dans mon cercle familial. Il y a une chanson qui m’a frappé particulièrement, c’est « Dis, quand reviendras-tu ? » de Barbara. C’est à ce moment-là que j’ai découvert la poésie chantée.

Quelle enfance avez-vous eue ?

Oete : J’étais un enfant plutôt isolé. J’avais des amis, mais c’est vrai que j’étais solitaire comme garçon. J’aimais beaucoup m’enfermer, créer mes spectacles avec mes cousines que j’embrigadais pour monter des mini shows qu’on présentait à la fin des repas de famille. On va chercher toujours ce qui nous manque dans la vie. Quand on grandit dans un environnement familial où l’art n’est pas présent, c’est quelque chose qui nous attire, on le cherche au maximum. C’est peut-être cela qui créé la persistance des artistes, le fait qu’ils s’entêtent dans cette chose-là.



Vous vous êtes d’ailleurs intéressé très rapidement à la culture, la littérature, aux arts…

Oete : Dès que je suis à Paris, qu’il fait un peu gris ou que je ne me sens pas très bien, j’aime me rendre dans des expositions. La culture, c’est un échappatoire et beaucoup de poésie. Découvrir l’œuvre de Edvard Munch ou l’art du peintre viennois Oskar Kokoschka, je trouve ça enrichissant, cela fait du bien.

La musique c’est une manière de thérapie ? Un moyen de soigner ses maux ?

Oete : Totalement. Ce premier album, je l’ai fait comme si je m’étais assis avec mon moi enfant, mon moi adolescent . On a tout réglé ensemble, on s’est fait un gros câlin et on s’est dit « ok, on va vers la vie d’adulte ». Dans mes chansons, je parle d’abord à moi-même. Et je le fait de manière très instinctive, comme par  exemple dans la chanson « Défense ».

Des artistes comme Christophe, Bashung, Daniel Darc ou Fishbach font partie de votre Panthéon. Que représente la chanson pour vous ?

Oete : Ce que j’aime chez tous ces artistes, je pense aussi à Béatrice Dalle ou à Edouard Louis, c’est le fait qu’ils soient fêlés. Ils laissent passer la lumière. Ces artistes n’ont même pas besoin de prendre un micro, que déjà vous comprenez à quel point ils ont pu être brisés et du coup à quel point ils peuvent être lumineux. Ce qui m’intéresse chez eux, c’est leur faille et la manière dont ils l’a mettent en lumière. Daniel Darc, c’est exactement cela. Ce sont des artistes qui ont soit une faculté d’écriture ou de composition, je pense à Christophe aussi, qui est incroyable, qui nous touche énormément. Pour moi, ils sont un peu tous comme des tableaux de Soulages, des «outre-noirs ». Ils ont cette image-là.

Quels sens donnez-vous à vos tatouages ?

Oete : Le tatouage, c’est s’attribuer son corps. C’est faire en sorte qu’il soit le sien. C’est ma machine, c’est la posséder et en être maître. Le corps, c’est la névrose humaine la plus commune de l’humanité. Tout le monde a un complexe, un problème avec son corps. Le fait de le tatouer, c’est déjà être sur une route e de se dire « je vais l’aimer ». C’est aussi matérialiser ou représenter de manière visuelle des choses qui peuvent être de l’ordre du spirituel en leur donnant une forme et une place, ce qui permet de les conscientiser beaucoup plus. J’ai un tatouage sur mon plexus solaire, un ex-voto qu’on retrouve sur la pochette de mon album « Armes & Paillette » car j’ai comme croyance qu’on a des guides spirituels. Je l’ai personnifié à travers quelqu’un qui s’appelle Marie, chez qui j’allais quand adolescent, je ne me sentais pas bien. Elle est décédée, mais je suis sûr que c’est elle qui aiguille ma route. C’est pour cela que je me suis fait tatouer cet ex-voto avec un « M » dessus.

Quand on se lance dans le monde du spectacle, on rêve de quoi ?

Oete : On rêve d’être reconnu plus que connu. Il y a toujours une part de carence affective, d’amour qu’on vient chercher, c’est évident. Je ne pense pas qu’on arrive sur scène devant un public par hasard. Il y a vraiment un chemin. C’est quelque chose qu’on essaie de réparer parce qu’être dépendant de cela, c’est aussi malheureux. Il faut jauger correctement les choses et trouver les équilibres, car il y a un côté addictif et très excitant.

Qu’avez-vous envie de transmettre à travers vos chansons ?

Oete : J’aimerais être un Saint-Sébastien de la bienveillance et de l’acceptation de soi. C’est quelque chose qui me tient à  cœur. Qu’est-ce que je peux apporter de plus qu’un Christophe ou un Bashung ? Je n’en sais rien. Mais je suis sûr que j’ai d’autres histoires et d’autres choses à exprimer. On le dit souvent, mais c’est vrai que quand un chanson touche une personne et la réconforte, la sauve à un moment, alors je crois qu’un artiste a à peu près gagné sa vie. Si je peux juste soulager et faire du bien à travers ma musique, je serai heureux. Mon rêve serait de continuer, d’être de plus en plus expérimenté et aguerri. Si à la fin de ma vie, je peux écrire une chanson comme « Les mots bleus », je serai satisfait.

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oete (c) Yann Orhan

Vous parlez de « variété alternative » à propos de votre univers…

Oete : La variété a une image très kitch. Si je dis à ma mère que je fais de la variété, elle va penser immédiatement à Claude François. La variété que je  revendique ce n’est pas celle-là, c’est celle que j’ai déjà cité plusieurs fois. « Alternative », ça vient accoler ce côté plus rock et électro que je peux avoir dans mes concerts. C’est un beau mélange. Feu Chatterton ! par exemple, pour moi c’est de la variété alternative. C’est profondément littéraire, français, cela reprend vraiment cette route des Brel, Bashung. J’aime cette idée. Je suis attaché aux mots. J’aime beaucoup la construction de phrases avec l’allitération, l’assonance, comment on fait résonner un texte. Je déteste le premier degré, où tout est évident. Une bonne chanson  pour que l’on puisse se l’approprier, il faut qu’elle soit suffisamment large pour que chacun puisse s’y représenter et imaginer ce qu’il a envie d’imaginer. Je laisse parler mon instinct et je n’aime pas trop retoucher. J’aime quand cela reste naturel. Accepter l’imparfait, je trouve ça pas mal.

Quelle lecture faites-vous du titre de votre album « Armes & Paillettes » ?

Oete : C’est comme des gros canons de paillettes ! (rires) C’est l’idée de danser sérieusement sous la boule à facettes. J’aime le fait de faire la fête, mais je ne danse jamais fun, rigolo, détente. La danse pour moi, c’est quelque chose de pulsionnel, d’instinctif. C’est une manière de ressortir par le mouvement les mots que j’ai déjà écrits, c’est comme une extension de la musique



Vous chantez  «Ma liberté chérie ». En quoi est-elle importante à tes yeux ?

Oete : C’est la chose qui me guide le plus, le fait de pouvoir se détacher des codes sociaux, de ce qu’on avait décidé pour vous. Le côté maquillage que je peux avoir, c’est aussi une extension du masque. Evidemment qu’on a des combats sociaux à faire passer. Si je peux y participer tant mieux. Serge Gainsbourg pour l’album « Love on the beat », était aussi maquillé. J’ai ce côté féminin en moi depuis l’enfance. Quand je parle au téléphone, on me dit toujours « bonjour madame » (rires). C’est comme ça, ce n’est pas quelque chose que je joue. Je suis un homme et je me sens très bien en tant qu’homme. Mais c’est vrai que c’est aussi pour moi une déconstruction des codes de la masculinité qui a été établie depuis des siècles et qui se démontent aujourd’hui.

Vous abordez des thèmes qui sont assez sombres comme la mort, la maladie (MST), l’absence , le corps et l’égo, l’identité et bizarrement votre univers est très dansant…

Oete : Quand je danse sur « HPV », c’est la plus grosse victoire que je peux avoir sur la maladie. Danser sur un cancer, je trouve ça incroyable. Je me sens vraiment victorieux quand je fais cela. C’est une manière de dire « on est forts, faisons la fête là-dessus ». Le HPV c’est un papillomavirus humain, la MST la plus répandue chez les jeunes sexuellement actifs. J’ai eu cette maladie en 2017 à l’âge de 20 ans. Après un parcours médical de trois ans, j’en suis guéri. Cette chanson, c’est aussi une manière de faire passer un message d’espoir.

Vous aimez vous déguiser, voire chanter torse nu. La scène c’est un exutoire ?

Oete : Total ! Quand je suis sur scène, c’est le moment où je me sens le plus vivant. C’est hyper captivant que d’emmener les gens et de tout faire pour qu’ils accrochent à votre univers et de leur livrer tout cela. Je suis très heureux de tout ce qui se passe. J’essaie de vivre le moment présent en espérant que l’avenir soit le meilleur possible.

Entretien réalisé par Victor Hache

  • Oete «Armes & Paillettes »/ Roy Music. En tournée partout en France. Le 6 avril au Théâtre Les Etoiles (Paris 10ème).

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