Musique. Avec l’album « Carmen’s Karma » la pianiste Ramona Horvath et ses deux musiciens complices (Le contrebassiste Nicolas Rageau et le batteur Antoine Paganotti) se baladent avec fougue et virtuosité dans des compositions jazz inspirées par des œuvres de Debussy, Ravel, Dvorak ou Beethoven.
Ramona Horvath : cette pianiste virtuose et compositrice met un sacré swing dans la musique classique
Native de Bucarest, d’une mère roumaine et d’un père hongrois, Ramona Horvath baigne dans la musique depuis son plus jeune âge. Après avoir obtenu son diplôme de pianiste soliste au Conservatoire National Supérieur de Bucarest, elle a notamment enregistré trois albums dont « Le Sucrier Velours » (en 2019) unanimement plébiscité par les critiques.
Installée à Paris depuis une quinzaine d’années, elle vient de sortir l’enthousiasmant « Carmen’s Karma« . En formule trio, avec ses musiciens complices Nicolas Rageau à la contrebasse et Antoine Paganotti à la batterie, elle se balade avec fougue et une subtile délicatesse dans des thèmes inspirés par des oeuvres de Debussy, Dvorak, Fauré, Beethoven, Ravel et Tchaïkovski. De « Lagniappe » à « Winnaretta Song » en passant par « Caipirinha com Pedro » ou « La valse des Asperges Jaunes« , cette virtuose pianiste et compositrice met un sacré swing dans la musique classique.
Rencontre avec une artiste qui se joue des étiquettes, avant son concert parisien au Sunside, le 18 novembre prochain.
Cet album, c’est une manière de conjuguer votre passion pour le jazz et la musique classique ?
Ramona Horvath : Je trouve qu’en France, vous vous embêtez un peu trop avec les étiquettes. Pour moi, la musique s’inscrit avant tout au coeur de l’âme.
Et la vôtre est voyageuse ?
Ramona Horvath : C’est vrai. Grâce à ma mère qui est une grande mélomane, j’ai écouté les compositeurs classiques mais aussi la chanson française, les boléros cubains, le tango argentin, le jazz… Et comme elle adore votre pays, elle m’a aussi fait découvrir la littérature et le cinéma français. Elle vit toujours à Bucarest et je l’appelle souvent. C’est ma bibliothèque pour la musique classique et notamment pour les vieilles chansons internationales dont elle connaît même les paroles.
Il y a eu également cette rencontre avec le pianiste d’origine hongroise Jancy Korossy, véritable icône du jazz international dans les années 50/60 ?
Ramona Horvath : C’est vrai. Je lui ai d’ailleurs rendu hommage dans mon premier album « XS Bird ». Un surdoué qui s’était initié au piano tout juste deux mois avant d’être embauché dans l’orchestre de son village. Il est rapidement devenu une star dans les pays de l’Est et, vers la fin des années 60 il a émigré aux Etats-Unis. Il fallait entrer dans son monde, l’inverse n’était pas possible. Grâce à lui, j’ai pu approcher l’univers du jazz de la meilleure manière possible c’est-à-dire par la transmission.
Vous vous intéressiez également au répertoire américain. Ce n’était pas compliqué sous le régime de Ceausescu ?
Ramona Horvath : J’étais très jeune à l’époque. J’ai grandi dans les années 80. J’ai eu accès à des cassettes et des films qui circulaient sous le manteau. Cela m’a permis de voir des comédies musicales avec Fred Astaire, Gene Kelly, Dean Martin, Judy Garland… C’est comme ça que j’ai appris très tôt les standards. J’ai aussi écouté des artistes de la Motown comme Stevie Wonder, Marvin Gaye, Gladys Knight, The Temptations… du R&B, du funk . Aujourd’hui encore je reste sensible aux musiques actuelles et pas seulement au jazz.
Ce nouvel album a une histoire particulière, non ?
Ramona Horvath : J’ai grandi dans un environnement qui m’a donné une grande ouverture d’esprit. Cela ne m’a jamais posé de problèmes de jouer dans des styles différents. Lorsque mon précédent album (« Le Sucrier Velours ») est sorti, il a reçu de bonnes critiques en France et à l’international. Mais il y a eu la pandémie et tous les concerts ont été annulés. On ne savait pas combien de temps cela allait durer.
Seule, dans ma chambre à Montparnasse, je me suis replongée dans mes souvenirs d’enfance où j’ai été bercée par la musique classique et j’ai puisé également dans cette extraordinaire liberté d’improvisation que l’on peut trouver dans le jazz. Quand on regarde Dizzie Gillespie, par exemple, et sa manière de souffler dans sa trompette, on s’aperçoit que les enfants n’apprennent jamais à jouer comme ça à l’école! L’idée était de mettre tout cela en miroir. « Carmen’s Karma » est un album de jazz d’inspiration classique.
Il évoque aussi beaucoup les femmes ?
Ramona Horvath : Tout-à-fait. D’ailleurs le personnage libre et rebelle de Carmen me correspond pas mal ! J’ai été une enfant très sage parce que j’ai vite compris que les choses étaient difficiles pour ma mère qui m’a élevée seule.
Mais, un beau jour, je suis sortie des clous avec l’envie de repousser mes limites. La rencontre avec Korossy a dû ouvrir quelque chose dans ma tête ! Je suis ravie lorsque j’ai l’occasion de jouer avec des musiciens que je trouve meilleurs que moi. J’essaie de tout absorber. L’essentiel, c’est ce mélange entre la maîtrise de l’instrument, le langage musical, la légitimité...
Après, il y a la manière d’enrober tout ça avec un peu de magie. Dans ce métier, on peut toujours remplir des salles, la difficulté c’est de donner au public l’envie de revenir.
Vous pouvez nous parler du titre étrange « La Valse des Asperges Jaunes » ?
Ramona Horvath : J’aime bien m’amuser avec les mots mais ce titre c’et plutôt Nicolas (Rageau) qui l’a trouvé. Comme un jeu avec le titre de la sonate de Schubert « Arpegionne » (Asperges Jaunes). Et comme c’est une valse, nous avons pensé que ça pourrait être marrant. On peut évidemment avoir des discussions philosophiques sur le monde. D’autant plus que nous vivons des moments tellement difficiles. Mais on a besoin de ce baume que représente l’humour dans la musique. Juste pour essayer d’être heureux…
Entretien réalisé par Annie Grandjanin
- Album : Ramona Horvath « Carmen’s Karma » (Camille Productions).
- En tournée : le 25 novembre 2023 au Jazz Club Lingotto Hilton de Turin (Italie), le 30 novembre au Théâtre A. Malraux de Sarcelles, le 7 décembre à la Maison des Etudiants Suédois,, le 10 décembre au 38’Riv à Paris, les 2 et 3 janvier 2024 au Son de la Terre à Paris, le 18 janvier au Centre Culturel G. Brassens à Angers…
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