Interview/Solann. La frêle jeune femme s’installe avec délicatesse sur le devant de la scène française, mais pour longtemps. Sacrée Révélation aux dernières Victoires de la musique, Solann vient de sortir » Si on sombre ce sera beau », un premier album envoûtant. Après quelques dates d’un début de tournée prometteuse, elle s’offre déjà un Olympia qui affiche complet.
La pochette de l’album semble être un tableau de la Renaissance. Et pourtant, Solann propose un premier opus d’une grande modernité dont « Rome » est l’acmé. Mais sa voix délicate ou puissante, douce et fragile nous bouleverse tout autant sur « Appelle-Moi Sorcière » portée par les notes d’un ukulélé et ce refrain énigmatique « Si on sombre ce sera beau » qui donne son nom à l’album.
L’émotion est à son comble sur le très émouvant « Les Draps » soutenu par des chœurs comme pour apaiser la souffrance. « Petit Corps » est poignant alors que « Tout Cramer » invite à la danse et au renouveau. A 25 ans, Solann sacrée Révélation aux dernières Victoires de la musique, signe un premier album envoûtant. Après quelques dates d’un début de tournée prometteuse, elle s’offre déjà un Olympia qui affiche complet.
Vous avez commencé votre tournée. Quel premier constat faites-vous ?
Solann : Je découvre la scène avec émerveillement. J’ai commencé ma relation avec le public sur les réseaux sociaux. Mais je ne voyais pas les gens physiquement. De se retrouver sur scène face à eux en chair et en os est un vrai bonheur. J’ai aussi cette chance d’être très bien entourée. Et, à aucun moment je n’ai l’impression d’être au travail. Ce qui ne m’empêche pas d’y mettre toute la rigueur nécessaire. Partager la musique et les émotions devant un public est une sensation que je n’imaginais même pas.
Et avec des musiciens ?
Solann : Oui ça change tout. Moi, je garde mon ukulélé. On a encore pas mal de choses sur l’ordinateur. Mais les vrais instruments donnent une dimension supplémentaire. Il y a maintenant de la batterie, des claviers, des guitares. Le vrai live porte tellement.
Cette année vous avez été sacrée, Meilleur Espoir aux Victoires de la musique. Est-ce pour vous un tournant majeur ?
Solann : Le mois avant les Victoires de la musique était déjà très chargé. Et tout de suite après, on a enchaîné sur une résidence pour préparer la tournée. Pas trop le temps de cogiter. Mais j’ai quand même vécu cette soirée comme une reconnaissance du travail que nous avons fait avec toute l’équipe. Elle nous donne plus de légitimité et me rassure. Je passe mon temps à douter alors évidemment, ça me booste, énormément.
Quel a été le déclic pour vous ?
Solann : C’est une reprise de « La bohème » de Charles Aznavour. Elle a été énormément plébiscitée sur les réseaux sociaux. Elle m’a permis de rencontrer Patrick Watson. Tout s’est vraiment enchainé à ce moment-là. J’ai finalement mis plus de chansons sur les réseaux que sur l’EP. Grâce à eux, on établit un lien immédiat. On peut parler, expliquer les choses, se présenter. Mais je reconnais tout de même avoir été très surpris par l’engouement.
Votre premier album s’intitule : « Si on sombre, ce sera beau » Qui a eu l’idée de ce drôle de titre ?
Solann : C’est avant tout le refrain d’une chanson qui encapsule tout ce que je voulais exprimer : c’est-à-dire mon côté très drama queen qui prend les choses au tragique avec excès, et mon envie de rendre beau et mélodieux tout ce qui est immonde, dégueulasse, frustrant et douloureux. Je dis donc : tant qu’à se casser la gueule, autant en faire quelque chose de joli.
Dans : « Les ogres », vous chantez : « ça fait quelques années, maintenant que j’oscille lentement entre la rage et l’apathie. » De quel côté penchez-vous en ce moment ?
Solann : Du côté de la rage. Il suffit d’allumer la télé ou d’écouter la radio pour être désespéré. Ce qui se passe me donne envie d’agir.
Lorsqu’on est en tournée, s’isole-t-on ou se nourrit-t-on de l’actualité ?
Solann : En tournée, avec mon équipe, je me concentre uniquement sur l’essentiel. Nous sommes tous dans une bulle. Nous ne perdons pas de temps à regarder les infos. Il n’y a pas d’espace pour ça dans nos têtes à ce moment-là. Ce sont finalement encore les réseaux qui nous informent le plus, parce que nous sommes tout de même contraintes d’aller sur nos téléphones.
Dans une de vos chansons « Mayrig », vous dites : « grâce à mes écouteurs, je vais bien. La musique est un pansement un peu vain mais tant que je me perds dans les basses, j’éloigne les idées stupides ». La musique est-elle votre refuge ?
Solann : C’est la même sensation que lorsque l’on saute dans l’eau et que tout d’un coup le bruit dans nos oreilles est flou. La musique ne m’a jamais guérie, mais m’a toujours protégée de la violence environnante.
Et la scène ? Vous protégez-t-elle ou vous rendez-t-elle vulnérable ?
Solann : Sur scène, j’ai la chance de ne pas être seule et de pouvoir m’appuyer sur mes deux musiciens. Nous formons un groupe. Mais je dois reconnaître que je n’avais pas l’habitude de me retrouver devant des gens. Et de devoir leur présenter des textes très intimes et personnels est parfois terrifiant. Et en même temps, quand les gens connaissent les paroles par cœur, ça vous donne des ailes. C’est paradoxal. Il y a un côté inhumain d’être sur scène. Et quand le public vous transporte, c’est surhumain.
Se montrer sur scène, pour vous qui êtes très timide, est-ce aussi un défi ?
Solann : Clairement. Et c’est très plaisant, car j’ai l’impression de sortir de moi-même, d’être quelqu’un d’autre. C’est un peu le jeu mais c’est très paradoxal. Je suis terrifiée à l’idée de monter sur scène et j’ai horriblement besoin de cette sensation. Je sais que j’ai un côté très narcissique, mais je veux me l’accorder que lorsque je donne aux autres quelque chose. Au quotidien, je ne veux pas ce regard sur moi.
Dans « Petit corps » vous vous confiez avec sincérité sur vos complexes. (« Petit corps s’aimera demain / Pour l’instant, pour l’instant / Je délègue et j’observe de loin / Pour le moment, pour le moment / Petit corps demain suffira / ‘Fin je crois, je croise les doigts / Petit corps, petit corps, 1, 2, 3 ») L’acceptation de soi est-il un sujet qui touche de plus en plus de jeunes ?
Solann : Ce texte touche plus particulièrement les femmes. De tous les âges. Nos corps sont systématiquement mis en lumière. Aujourd’hui, on est sans cesse scrutées, comparées. Ça peut être une douleur. Je savais que je n’étais pas seule à souffrir mais la résonnance qu’a eu cette chanson m’a tout de même surprise. Sur scène, c’est l’une des chansons qui est le plus chantée en cœur.
Quels souvenirs gardez-vous de vos années de mannequinat ?
Solann : Je me cherchais beaucoup. Pour moi, il ne s’agissait pas d’un métier, mais d’une activité qui me permettait de payer mes études. J’ai cumulé les remarques désobligeantes. Ce qui m’a finalement blindé. Ce n’était pas mon univers mais cette expérience m’a été utile, notamment pour accepter ensuite la rudesse des réseaux sociaux.
« Rome » est-elle une chanson féministe ?
Solann : A l’arrivée, clairement oui ! Mais au départ, je ne l’ai pas envisagé comme ça. Je voulais juste parler d’un vécu personnel. J’ai été harcelée par un homme durant des années. Malgré mes signalements, et moult preuves, je n’ai pas été entendue, ni par la police, ni par la justice. Je me suis retrouvée seule. J’ai réglé mon problème en déménageant et en écrivant cette chanson qui m’a fait du bien.
Et qui a beaucoup fait réagir…
Solann : Oui et ça m’a dépassé. J’ai reçu pas mal d’attaques de machos. Mais d’autres ont aussi émanées de femmes qui faisaient référence à des photos du temps du mannequinat. Cela m’a déçue. J’aurais aimé plus de solidarité.
Vous consacrez beaucoup d’importance aux clips. Une chanson passe-t-elle aujourd’hui nécessairement par l’image ?
Solann : Oui je le pense. Il faut des images qui accrochent pour garder l’attention. Je viens du théâtre et du cinéma. Et j’aime raconter des histoires autrement que par une simple chanson.
Comment envisagez-vous votre carrière ?
Solann : C’est difficile de durer aujourd’hui. Il faut être consciencieux. Mais c’est encore possible aussi. Quoiqu’il en soit, je continuerai de chanter et d’écrire. Ce que je veux par-dessus tout, c’est ne pas décevoir. Les gens qui se lassent, c’est pire que ceux qui détestent. Je crains toujours de perdre les gens. Dans ma vie professionnelle et personnelle.
Entretien réalisé par Christian Panvert
- Album : « Si on sombre, ce sera beau » sortie (Cinq7).
- En concerts : le 9 avril 2025 à l’Olympia, 28 Bd Capucine, Paris 9e et en tournée dans toute la France.