Télé/« Eugène Riguidel entre vents & marées ». Ce soir, France 3 présente un documentaire inédit sur Eugène Riguidel, un homme qui vit au rythme des marées mais aussi des injustices du monde. Originaire du Golfe du Morbihan, cet ardent marin a su allier sa passion pour la mer à un engagement humaniste profond. Navigateur chevronné, il s’est illustré dans le monde de la compétition nautique avant de mettre un terme à sa carrière en 1985, préférant concentrer ses efforts sur des causes qui lui tiennent à cœur. A voir jeudi 31 octobre sur France 3 – 23:00.
Eugène Riguidel : Entre anecdotes maritimes et réflexions engagées, ce navigateur chevronné incarne la figure du marin humaniste, un véritable citoyen du monde
Le parcours d’Eugène Riguidel est marqué par une lutte constante pour la protection de l’environnement et des océans. Inspiré par des mouvements sociaux et écologiques, il se dresse aujourd’hui contre la spéculation foncière et la dégradation des ressources naturelles. À travers cette interview, il partage sa vision d’un monde où l’harmonie entre l’homme et la nature est possible. Entre anecdotes maritimes et réflexions engagées, Eugène Riguidel incarne la figure du marin humaniste, un véritable citoyen du monde.
Vous êtes un homme de la mer. Pourquoi vous être installé à la campagne plutôt que sur la côte ?
Eugène Riguidel : Quand j’ai rencontré Brigitte, mon épouse, elle vivait ici (près de Landaul Morbihan, NDLR), je suis venu là par amour. Et puis, je n’ai pas les moyens d’aller sur le littoral. C’est horriblement cher. Les marins, quand ils ouvrent leurs fenêtres, ils voient leur bateau, c’est normal. Mais ça fait longtemps que c’est fini. Les marins reculent vers les monts d’Arrée, il y a une flambée des prix… c’est la spéculation.
Comment êtes-vous venu à pratiquer la voile ?
Eugène Riguidel : Gamin, je faisais l’école buissonnière très souvent. J’allais à la côte, alors que mon frère aîné, lui, allait plutôt à la campagne. J’ai toujours été attiré par la mer. Ma grand-mère avait huit frères. Ils étaient tous commandants locaux ou commandants dans la marine marchande. Mon rêve était d’être commandant de marine marchande, mais il fallait être fort en maths, ce n’était pas mon cas. Je me suis rabattu sur la voile. J’ai eu de la chance. J’ai vécu quand même à la mer et de la mer.
Vous vous êtes lancé rapidement dans la compétition ?
Eugène Riguidel :J’ai d’abord fait de la godille, de l’aviron et de la compétition parce que la société des régates de Vannes organisait des courses tous les dimanches, en été. On a commencé à naviguer sur les bateaux existants, les Sinagots entre Arradon, l’île-aux-Moines, Port Navalo… J’ai gagné des régates en plate en V, en 1970. C’est comme ça que j’ai participé à la première course en solitaire organisée en France, par l’Aurore, qui est devenue la Solitaire du Figaro. Ensuite, j’ai gagné en 74 la course Brest-Laredo (Espagne), puis Pornic. Cela m’a permis d’avoir des références pour trouver des sponsors et j’ai pu faire du multicoque. Pour moi, le bateau idéal est le trimaran.
Quelle est la course qui vous a le plus marqué ?
Eugène Riguidel : Ce qui nous a fait sortir du lot, avec Gilles Gahinet, mon compère, c’est la Transat en double, en 1979, quand on a gagné devant Éric Tabarly et Marc Pajot avec 5 minutes d’avance, après une double traversée de l’Atlantique. On est passé en 5ème position aux Bermudes, mais on a dû s’arrêter pour réparer, on avait cassé les hydrophones, les carénages, la bôme. Heureusement, une escale technique était autorisée. On est repartis en 5ème position et on a remonté les bateaux, les uns après les autres, jusqu’à battre Tabarly et Pajot juste avant l’arrivée. C’était magnifique, mais on avait un super bateau, un trimaran très léger, et Gahinet était un compétiteur acharné.
La première fois qu’on se lance dans ce genre de course, est-ce qu’on a le trac de traverser l’Atlantique?
Eugène Riguidel : Bien sûr, c’est impressionnant ! Cela a énormément changé, mais à l’époque, il fallait être bon marin et maîtriser la navigation astronomique. C’était compliqué, et un de mes points faibles. Puis, on a autorisé le GPS. Un super régatier aidé par les moyens modernes de navigation, n’a pas besoin d’être marin. À l’époque, on devait se faire une idée de la météo en observant le ciel et les étoiles. C’était très différent.
Avez-vous essuyé des tempêtes ?
Eugène Riguidel : La Transat 76 reste peut-être la pire. Tabarly a gagné avec le Pen Duick 6 devant Alain Colas, et je courais avec un petit trimaran nommé Nova, que j’avais racheté d’occasion. J’avais choisi la route nord, où il y a plus de vent, et mon calcul était excellent pendant les premières semaines de course. Mais après trois dépressions, la quatrième m’a frappé de plein fouet, avec des vents de 70 nœuds et des creux de 12 mètres.
Avez-vous eu peur ?
Eugène Riguidel : Quand on est dedans, on n’a pas peur, non, parce qu’on est dans l’action. Quand on a chaviré avec Éric Duchemin et Gilles Gahinet en essayant de battre le record de l’Atlantique, le trimaran a planté les étraves. On s’est retrouvés à l’envers, les pieds sur le plafond de la cabine, avec le bateau au-dessus de nos têtes. On a dû nager autour pour récupérer tout ce qui pouvait être sauvé, pour notre survie.
Que représente pour vous le Golfe du Morbihan, où vous naviguez très souvent ?
Eugène Riguidel : Je suis né au bord du Golfe du Morbihan, à Arradon. C’est un terrain de jeu extraordinaire, avec toutes ces îles, où on peut naviguer tous les jours comme si on était à l’autre bout de la Terre. C’est un endroit abrité de la houle du large, idéal pour le dériveur ou les unités légères. C’est aussi très technique à cause des courants, des contre-courants. Celui qui les connaît a plus de chances de faire des voyages faciles, même si on se fait piéger de temps en temps.
Vous êtes aussi un militant écologiste. D’où vient cet engagement ?
Eugène Riguidel : C’est un engagement qui date de très longtemps. En 68, déjà, j’étais dans la région parisienne, à l’époque, et j’ai assisté à une conférence de Jean Rostand, un éminent scientifique, qui a fait de la biologie une science majeure. Cela a été un déclic. Puis, quand j’ai commencé à naviguer, j’ai vu directement l’impact de la pollution sur la mer. J’ai vu des poissons morts, des nappes de pétrole, des ordures… c’était insupportable. J’ai donc commencé à m’impliquer. Pour moi, c’est une évidence.
Vous vous considérez comme un « citoyen du monde ». Qu’est-ce que cela signifie pour vous ?
Eugène Riguidel : Je suis citoyen du monde et j’ai à cœur de militer pour des causes globales, contre les injustices et le racisme. Dans les années 70, j’ai rejoint le mouvement « Sortir du nucléaire ». Je ne suis pas contre le nucléaire en soi, puisqu’il existe, mais je milite pour que l’on en sorte. C’est une technologie qui laisse des séquelles mortelles, comme on l’a vu à Tchernobyl ou au Japon, et même indirectement au Niger, où l’uranium est extrait dans des conditions déplorables.
Vous êtes aussi engagé pour la protection des océans. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Eugène Riguidel : Récemment, avec Jo Le Guen, le rameur, nous sommes allés manifester devant l’usine Toyota à Valenciennes pour dénoncer la chasse à la baleine au Japon. Contrairement aux chasses traditionnelles, respectueuses de l’écosystème, aujourd’hui des bateaux ultra modernes massacrent les baleines. Cette pêche commerciale n’a plus aucun respect pour la faune marine. Et Paul Watson, qui combat ce massacre, est menacé de prison. J’espère sincèrement qu’on ne l’extradera pas au Japon, car ce serait une condamnation à mort pour un homme qui défend la nature.
Que pourrait-on faire pour mieux protéger le milieu marin ?
Eugène Riguidel : Pour le Golfe du Morbihan, par exemple, on pourrait limiter les bateaux polluants, notamment en été. Le golfe pourrait devenir un laboratoire d’innovations en matière de propulsion : air comprimé, voiles, moteurs électriques rechargés par des sources renouvelables. Il y a aussi la possibilité de réhabiliter les anciens moulins à marée avec des générateurs pour alimenter des bateaux électriques. Par contre, je suis contre les hydroliennes dans le courant de la Jument, car elles risquent de perturber l’écosystème. Il faut innover intelligemment, sans sacrifier l’environnement au nom d’une soi-disant « modernité ».
Pourquoi avoir arrêté la compétition nautique en 1985 ?
Eugène Riguidel : Après des années de course, je me sentais fatigué, et les financements devenaient de plus en plus difficiles à trouver. J’ai eu la chance de rester en bons termes avec tous mes sponsors, ce qui m’a permis de conserver mon indépendance. J’avais aussi d’autres projets : créer un trimaran pour refaire les trajets d’explorateurs humanistes comme La Pérouse, défendre l’idée d’une autosuffisance locale. C’est aussi de là qu’est né le projet de « Riguidel d’Avion », une ligne de vêtements bretons de mer, 100 % coton. Nos tailles allaient de « Homard », « crevette » à « Bigorneau ».
Vous êtes souvent décrit comme un « râleur au grand cœur ». C’est votre image ?
Eugène Riguidel : Oui. La course au profit et les options destructrices me révoltent. Mais je garde espoir. Je suis convaincu que, même si cela prend du temps, un changement s’opérera. Si la situation nucléaire devait s’aggraver, seuls quelques survivants pourraient espérer reconstruire une société plus sage.
Votre philosophie repose donc sur un cap humaniste ?
Eugène Riguidel : Tout à fait. Je ne vis que pour de belles causes, entouré de gens qui partagent mes valeurs. Par exemple, on se bat pour que l’île Berder reste un domaine public, accessible à tous. Ce rêve est d’entendre les enfants rire en découvrant la voile. La magnifique plage d’Erdeven est un autre exemple où nous avons réussi à empêcher la construction d’une centrale nucléaire. On s’est battu avec l’association « Menhirs Libres », pour empêcher la destruction de mégalithes. Mais la lutte continue : récemment, 39 menhirs ont été détruits pour implanter un grand magasin de bricolage à Carnac…
Quel message souhaitez-vous transmettre aux nouvelles générations ?
Eugène Riguidel : Ne baissez jamais les bras. Aménagez votre environnement selon vos valeurs, sans céder aux lobbys industriels ou aux technologies comme la 5G. Cultivons la résistance face à tout ce qui menace notre liberté de pensée et notre qualité de vie.
Entretien réalisé par Victor Hache
- A voir : «Eugène Riguidel entre vents & marées ». Documentaire de Véronique Garcia. Jeudi 31 octobre sur France 3 – 23:00.