Interview/Musique. Après « Toï Toï », Suzane revient avec « Caméo », un deuxième album où elle se livre sur un mode plus personnel, entre pop, chanson et ambiances urbaines. L’occasion pour We Culte d’aller à la rencontre de la chanteuse qui trace sa route de manière originale et s’est fait un nom, à force de volonté et de talent.
Suzane : « Avec « Caméo », j’ai l’impression d’ouvrir tous mes chakras »
Avec 323 concerts depuis ses débuts en 2019, elle n’a pas arrêté d’enflammer les scènes de l’hexagone. Apparue en serveuse de restaurant rêvant de voir son nom en lettres rouges sur le fronton de l’Olympia (où elle s’est produite le 22 septembre), Suzane a réussi en quelques années à se faire un nom dans la chanson, à force de volonté et de talent.
Après « Toï Toï », premier opus aux contours féministes et écologistes, la chanteuse Révélation Scène aux Victoires de la musique 2020, revient avec « Caméo », deuxième album où elle se livre sur un mode plus personnel, baigné d’une pointe de mélancolie, voire de nostalgie de ses années d’insouciance à Avignon. Elle s’appelait alors Océane (son vrai prénom), émouvant titre d’ouverture de son nouveau disque.
Exit la chanteuse façon Piaf des temps modernes qui racontait des histoires réalistes sur fond d’électro, place à un univers plus actuel où elle évolue désormais entre pop et ambiances urbaines. Un registre inclassable qui lui va bien, témoin des envies d’aventures musicales de Suzane, dont les textes résonnent avec le monde d’aujourd’hui, où elle aborde le plaisir féminin (« Clit is Good »), les violences faites aux femmes (« La fille du 4ème étage ») ou encore l’immigration (« Krishna »). Rencontre avant sa nouvelle tournée à partir du 10 novembre, qui passera par un nouvel Olympia le 10 mai 2023.
Quel sens donnez-vous au titre de votre album « Caméo » ?
Suzane : La définition de caméo, c’est une personne qui n’est pas mentionnée au générique, qui entre dans la scène. C’est aussi l’auteur qui entre dans sa propre œuvre. C’est ce que j’ai un peu vécu. J’ai scénarisé plein de rêves, de fantasmes. Je me revois dans ce restau écrire cette chanson « Suzane », rêver de l’Olympia. Je me suis retrouvée avec cette personne qui est entrée dans mon propre film. Ce mot collait avec mon état d’esprit. J’ai l’impression d’ouvrir tous mes chakras. J’en avais besoin.
Vous chantez « Fille de classe moyenne qui rêvait d’une vie grandiose ». Comment expliquez-vous votre envie d’entrer dans la lumière ?
Suzane : J’ai encore du mal à l’expliquer. Parfois, je me demande si c’est sain cette recherche d’une vie grandiose, même si on rêve tous de vivre des choses intenses, spectaculaires. J’ai vu mes parents être dans une vie, qui ressemble à celle de tous les Français, faire un job qu’ils n’aiment pas forcément tous les jours. Une vie difficile, où on se serre la ceinture parce qu’il y a les impôts, les enfants. J’ai entendu tout ça dans ma sphère d’enfant. Cette vie « normale » m’a rapidement angoissée. Au travers de la musique, la danse, les arts, j’ai compris que c’était un chemin qui me permettrait d’être plus libre et de faire plus de choses.
C’est vrai qu’il n’y pas de « copains dans le showbiz », comme vous le chantez ?
Suzane : Il y en a, mais il ne faut pas être naïf par rapport à cela. On peut être déçu par les amis, comme dans la vraie vie. Il y a beaucoup de gens qui m’aident à propager ma musique et je ne les remercierai jamais assez. Il y a beaucoup de bienveillance, mais pas que…Mes rêves n’ont pas de prix pour moi, j’ai besoin de tout ça. Les gens qui « investissent » sur moi, je peux être de « l’argent » pour certains. Ce qui peut parfois abimer quand il y des notions d’amitiés au milieu. Ce n’est rien de grave, on se renforce. J’ai eu besoin de le mentionner dans cette chanson pour dire « oui je vis mes rêves, mais je ne suis pas naïve non plus ». Il y a des moments moins sympas dans les rêves.
Dans « Océane », la chanson d’ouverture, vous révélez votre vrai prénom. Une manière de ne plus se cacher derrière le personnage Suzane ?
Suzane : C’est une manière de me présenter plus officiellement. Non pas que je regrette d’avoir pris ce nom de scène inspiré par mon arrière-grand-mère. J’adore ce prénom Suzane. Il m’a permis beaucoup de choses, de m’émanciper, de me sentir bien. Suzane c’est celle qui ose, entreprend, n’a pas peur, arrive à assumer ce qu’elle est devant le regard des autres. Et Océane finalement, c’est les mauvais souvenirs, les échecs, celle à qui on a dit non, qui s’est dit toute sa vie que c’était impossible. C’est celle qui est moins bien, la petite provinciale…je n’avais pas envie de ressentir ça. Cette chanson, c’est rappelle-toi d’où tu viens, où tu veux aller, mais surtout qui tu es. Pour moi, il était essentiel de ne pas renier cette Océane parce que après tout Suzane ou Océane, c’est la même personne avec les mêmes émotions.
D’où peut-être les ambiances un peu plus mélancoliques, voire nostalgiques de Cameo…
Suzane : J’ai eu la sensation d’un lâcher prise. Il y a un piano qui est arrivé chez moi et je me suis laissée aller un peu plus dans l’harmonie. Ça été un autre travail que j’ai beaucoup aimé, une autre recherche. Les gens me disent souvent que même dans les chansons lumineuses qui sont censées être joyeuses et entraînantes, il y a toujours dans ma voix, un brin de nostalgie, de spleen. J’ai beau mettre un peu plus de sourire, je crois que c’est en moi et que je ne peux pas le cacher.
Musicalement, vous vous êtes diversifiée avec des sonorités plus urbaines, des rythmes latinos par moment…
Suzane : J’ai cherché une fusion entre la pop, la chanson française, la musique urbaine et encore un peu d’électro. J’essaie de trouver un chemin entre tous ces styles. En fait, je veux juste ne pas être classifiée dans un genre. Je ne voulais pas me limiter. Parce que dire « Suzane, chanteuse réaliste électro » et ce sera comme ça pour toujours, franchement au fond, ça me rend triste. J’ai encore plein de choses à explorer en moi. J’ai cette curiosité-là pour le deuxième album et je pense que je l’aurai encore sur le troisième et que ce sera toujours des fusions inclassables. C’est tant mieux, car je ne n’ai pas envie de me dire que le voyage ne sera que sur un seul chemin. J’aime dévier, cela m’amuse et me plaît.
Vous vous racontez beaucoup, comme si vous aviez besoin de plus vous livrer…
Suzane : Si on refait l’histoire, j’étais cette serveuse qui écrit ses chansons dans le bar. Finalement, je rencontre les bonnes personnes, je commence à faire des concerts et me demande sans arrêt « qui es-tu ? ». Comment mieux se raconter qu’en chanson ? Cela m’a poussé à écrire Caméo.
C’est dire que je m’appelle Océane, que je viens d’une famille de classe moyenne qui vit dans le Sud. J’ai perdu un ami très jeune, j’ai peur de ce monde et je n’y trouve pas ma place, j’ai entendu ma voisine ayant été témoin de violences conjugales et je me sens encore impuissante et culpabilisée de ne pas avoir pu faire grand-chose, j’ai rencontré Krishna (le patron du restaurant où elle commencé à travailler) quand je suis arrivée à Paris et que ça été la période la plus enrichissante de ma vie…. Il fallait que je dise tout cela en chanson.
Vous vous êtes aussi métamorphosée en supprimant votre franche, pour un visage dégagé et un look plus féminin…D’où vient ce désir de changement physique ?
Suzane : J’avais besoin de lever cette frange pour me reconnaître. J’ai adoré l’avoir parce que c’était ma manière de m’émanciper du chignon que j’ai porté pendant 15 ans, avant d’arriver au carré. Mais là, je préfère me montrer avec ce visage.
Dans « Clit is good », vous évoquez le plaisir féminin. Un thème osé assez peu abordé dans la chanson…
Suzane : Je crois qu’Ophélie Winter l’a fait, le groupe Bagarre aussi. Cette chanson (qui a été censurée par les algorithmes de Youtube NDLR) a eu une sortie houleuse. Je ne cache pas que j’étais dans une utopie de penser que tout le monde était prêt à entendre parler de plaisir féminin, de liberté des corps, de mettre la femme en avant de façon juste. J’ai l’impression de voir beaucoup de femmes constamment objectivées, sexualisées. Le corps est là pour éveiller le désir des autres et quand une femme parle de son propre plaisir, c’est encore choquant dans notre société. Je trouve dommage que la chanson ait été réduite à « la masturbation féminine ». Pour moi, c’est plus le « plaisir féminin », quelque chose qui résonne mieux.
Le plaisir féminin, en tant que femmes, on ne doit pas en parler et le mettre de côté, alors que le plaisir masculin qui fait partie de la virilité, est mis en avant. J’ai reçu beaucoup de messages de femmes qui m’ont dit qu’elles culpabilisaient moins, qu’elles se sentaient plus légères, qu’elles auraient adoré entendre cette chanson plus tôt. Les femmes n’ont pas le droit de dire qu’elles se font des films érotiques. C’est encore très déplacé de parler de ça, sinon on passe pour des nymphos. On peut entendre des choses terribles quand une femme prend la parole sur la sexualité.
A l’image de Mylène Farmer, vous chantez « Génération désenchantée », mais vous dites «allez ça va aller». Envie de positiver malgré le monde d’aujourd’hui ?
Suzane : C’est une des premières chansons que j’ai écrites pour l’album. C’était la fin de la pandémie, le début de la guerre en Ukraine. C’est un moment où je me sentais angoissée, où je n’avais plus envie de sortir de chez moi. Je pensais « quel est le sens de la vie quand le monde est aussi sombre ? On est dans un épisode dark de l’humanité ». Je suis anxieuse par rapport à l’avenir dans ce monde qui s’abime à vitesse grand V, mais je me dis qu’il faut garder espoir, d’où ces mots « allez, ça va aller ».
Ce clin d’œil à Mylène Farmer, c’est dire qu’on est tous concernés. Il y a 30 ans, elle chantait déjà « tout est chaos », j’ai la chance de faire perdurer ce message. Cette chanson, je l’écoute encore quand le monde va mal, me fait peur. Je suis contente de reprendre le « flambeau », pour montrer que malheureusement tout est chaos encore aujourd’hui et qu’on est tous dans le même pétrin, générations confondues.
Avec «Vista Sul Mare», une belle et émouvante chanson d’amour, on va découvrir votre côté romantique !
Suzane : Je suis très pudique dans la vie quant à mes sentiments amoureux. Je tiens rarement la main de ma compagne dans la rue, sans doute parce qu’il y encore de l’homophobie. Je disais il y a quelques années, que les chansons d’amour ce n’était pas mon truc. Mais « Vista Sul Mare » a été comme une évidence. Elle n’a pas été très douloureuse à écrire, car quand c’est le cœur qui parle, tout est plus facile.
J’espère que je pourrai tenir toutes les promesses que j’ai faites dans cette chanson à la rythmique urbaine. Le son de cette guitare acoustique presque italienne, m’a transpercée. Elle a un côté nostalgie, mais il y a ça aussi dans l’amour, se dire que chaque jour qui passe est un de moins avec la personne qu’on aime.
Entretien réalisé par Victor Hache
- Album « Caméo », 3ème Bureau/Wagram music. En tournée à partir du 10 novembre.