Bertrand Belin : « Watt », l’art de la pop en clair-obscur

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Bertrand Belin : l'art de la pop en clair-obscur (c) Heloise Esquié

Toutes les musiques de We Culte. Avec Watt, son nouvel album, Bertrand Belin continue de tracer une voie à la marge, entre chanson, rock et expérimentations sonores. Sa voix posée, son écriture singulière et ses arrangements subtils composent un univers à la fois étrange et familier, où se croisent l’intime et le collectif, le banal du quotidien et le mystérieux. Une proposition rare et inventive, que l’on pourra bientôt découvrir sur scène lors d’une tournée à travers la France, avec quatre soirées exceptionnelles à La Cigale, à Paris, du 19 au 22 mars 2026.

L’album s’ouvre par un regard sur nos destinés, échos de vies que l’on devine derrière les visages croisés (« L’inconnu en personne ») : image simple et sensible pour mesurer ce que propose Watt — un chemin fragile entre l’épure et la densité, où la voix de Bertrand Belin tient la trajectoire.

Il y a toujours chez Bertrand Belin cette manière singulière d’ouvrir un espace, un passage. Avec Watt, c’est une passerelle qui se tend entre l’épure et la densité, entre la voix grave d’un crooner poète et une instrumentation volontairement dépouillée, mais traversée de tensions souterraines. La pop y avance comme à tâtons, en équilibre instable entre rock et chanson, avec des reflets de jazz, de blues, parfois de soul.

Depuis Tambour Vision (2022), Belin s’est aventuré sur de multiples scènes – cinéma, théâtre, littérature. On retrouve dans Watt cette porosité entre les arts : chaque chanson se présente comme une petite pièce dramatique, à la fois autonome et solidaire des autres.



L’album, conçu avec son fidèle complice Thibault Frisoni, s’installe dans un territoire où la pop se dépouille pour mieux laisser affleurer les questions essentielles : comment habiter le monde, comment coexister, comment trouver un espace commun dans la fragilité du quotidien.

Sur le plan des arrangements, Belin et Frisoni travaillent par empilements mesurés : Mellotron pour des chœurs que la mémoire pop reconnaîtra, synthés anciens pour des nappes moirées, pulsations qui convoquent parfois la French Touch ou le trip-hop. Quelques pistes témoignent d’écarts assumés — le jazz feutré de « Tel qu’en moi-même » (quelques accents Cole Porter, un parfum des standards des années 50), la moiteur rythmique de « Rembobine » qui évoque des atmosphères portées par la lenteur, ou la soul détournée de « Berger », à la manière d’un Tindersticks revisité. Rodolphe Burger prête sa voix au morceau-titre, brisant la solitude vocale et ouvrant une fraternité de registres.

Le disque se tient dans une tension constante entre sobriété et étrangeté. Les textes de Belin observent nos vies avec un mélange de distance et d’attention aiguë : un banc public qui devient territoire intime, une « pluie de data » qui interroge notre rapport au numérique, des refrains qui répètent des mantras simples – « t’es pas tout seul » – comme pour conjurer l’isolement. Rien de péremptoire, toujours la place laissée au doute et à la nuance.

Watt doit autant à la littérature qu’à la musique. Le titre renvoie à l’unité de puissance sonore, peut-être au « what » anglo-saxon ou encore au poème (« What is the word ») de Samuel Beckett. C’est un disque qui avance en clair-obscur, refusant la démonstration pour préférer l’esquisse, les contrastes, les résonances souterraines. A l’image de « Ni bien ni mal » qui clôt l’album sur des nappes de cordes ponctuées de claviers : « A nous les beaux jours » chante Belin, regard tourné vers l’avenir et la lumière. C’est peut-être ce mélange — modestie narrative et précision musicale — qui fait de Watt un disque dense sans excès.

En concert, ces chansons devraient trouver leur ampleur. Bertrand Belin entamera une tournée à travers la France du 22 janvier au 13 novembre 2026, avec notamment quatre soirées à La Cigale, les 19, 20, 21 et 22 mars 2026. Occasion rare de voir sur scène un artiste dont l’univers, entre chanson, rock et littérature, demeure sans équivalent.

Victor Hache         

  • Album Watt Bertrand Belin. Cinq7 / Wagram Music
Image de Victor Hache

Victor Hache