Le Book club de We Culte/ Surchauffe. Nathan Devers signe un conte philosophique aussi glaçant que prophétique. L’auteur, qui a lui-même traversé un burn-out sévère, plonge au cœur du mal-être contemporain et des ravages de la mondialisation. Un roman qui détonne par sa lucidité féroce.
Surchauffe ne fait pas que dans la satire sociale mordante. C’est aussi une méditation sur la fin du monde, sur l’idée que tout disparaîtra
Laissons à l’auteur le soin de nous présenter son personnage principal : « Jade Elmire-Fasquin, 1 mètre 72, née le 16 octobre 1987 à Paris. Après une classe préparatoire littéraire, elle s’inscrit à l’EDHEC grâce à un concours d’admission parallèle. Recrutée chez Arcadie à l’âge de vingt-cinq ans, elle intègre le groupe par le bas : un stage sous la direction de Jean-Christophe Moranges. À force de travailler comme un robot corporatiste, elle gravit les échelons jusqu’à la direction des partenariats en Europe et au Moyen-Orient. »

Au moment où débute le roman, on la retrouve à Dublin. Elle sort d’une soirée mondaine épuisante avec alcool et collègues envahissants. Le lendemain matin Moranges, son patron, lui présente « le dossier indien » : un projet pharaonique aux îles Andaman, archipel isolé du golfe du Bengale. Un milliardaire indien veut y construire l’hôtel du futur. Un palace écologique, « un immense hommage à Prithvi Mata, la déesse de la Terre ».
Mais ces îles recèlent un secret. Elles abritent les Sentinelles, peuple ancestral vivant en vase clos depuis des millénaires. Ils tuent tout étranger qui tente d’accoster. Pour Jade, cette mission représente peut-être une échappatoire à son burn-out, à « la Spirale angoissée de cette vitesse folle, de ce chaos de liens, de cette hâte sans but qui me sépare de tout ». Elle parle aussi de « Surchauffe » : « ce sentiment que ma réalité, celle qui m’environne, est sur le point d’imploser ».
Son quotidien est un enfer doré. Son couple avec Thomas, journaliste égoïste devenu célèbre part à vau-l’eau. Le travail la vampirise. Elle vit « dans une oscillation perpétuelle entre l’ennui et la saturation ». Pourtant, quelque chose en elle résiste encore : l’envie d’écrire. De raconter son expérience dans un roman. De transformer son mal-être en littérature.
L’archipel d’Andaman devient une obsession. Jade se documente, cherche à comprendre ces îles qui n’ont « jamais changé depuis l’aube de l’Humanité ».
En fait, l’île est une allégorie puissante. Elle incarne notre monde en négatif. Elle raconte l’histoire d’une mondialisation tournée à l’uniformisation. Cette standardisation qui abroge toutes les distances. Les Sentinelles sont le dernier rempart contre cette déferlante.
Mais combien de temps leur reste-t-il avant que « de modernes barbares viennent piétiner leur sol » ? La question hante le roman. Car le génocide annoncé dès les premières pages n’est pas un accident. C’est le résultat logique d’un système. Celui des multinationales. Des Moranges et des Baylan. Des ogres qui dévorent tout sur leur passage.
Le style de Nathan Devers frappe par sa précision. Ses descriptions cinglantes croquent le monde avec une férocité jubilatoire. Il excelle aussi dans les portraits assassins. Alexandre Jermiel, cadre juridique lubrique, « s’échauffe » sur Jade. Moranges, ancien politicien déchu, « rumine son obsession chronique ».
Mais Surchauffe ne fait pas que dans la satire sociale mordante. C’est aussi une méditation sur la fin du monde, sur l’idée que tout disparaîtra. Cette conscience de la finitude donne au récit une dimension métaphysique.
Ajoutons que l’expérience personnelle du burn-out dont à été victime l’auteur nourrit intimement ce texte. Cette société en « surchauffe » généralisée, où plus personne ne peut s’arrêter pourrait bien faire de nous des « zombies errant dans les villes ». Dans l’indifférence généralisée.
On peut alors lire ce roman comme un cri d’alarme contre notre folie collective. Une mise en garde contre les multinationales qui piétinent tout. Un requiem pour les Sentinelles – qui existent bel et bien.
Prenons garde que la fiction ne rejoigne pas la réalité.
Henri-Charles Dahlem
- « Surchauffe« Nathan Devers. Éditions Albin Michel. Roman, 336 p., 20,90 €. Paru le 20/08/2025

- Retrouvez cet article ainsi que l’ensemble des chroniques littéraires de Henri-Charles Dahlem sur le site Collection de livres
A propos de l’auteur

Nathan Devers © Photo Pascale Ito
Nathan Devers est né en 1997 et vit à Paris. Normalien, Docteur en philosophie, éditeur de la revue La règle du Jeu, journaliste (notamment pour C ce soir sur France 5), il est l’auteur de plusieurs ouvrages dont deux chez Albin Michel, qui ont connu un grand succès : Les liens artificiels (2022) et Penser contre soi-même (2023). (Source : Éditions Albin Michel)





