Le Book Club de We Culte/Fabrice Caro. Avec« Les derniers jours de l’apesanteur » Fabrice Caro nous offre une plongée dans les années lycée. Entre rire et nostalgie – nous sommes à la fin des années 80 dans une ville de province – ce récit savoureux fait le portrait de Daniel, de sa famille et de ses copains en cette année-charnière où il passe le Bac.
Fabrice Caro : Son roman « Les derniers jours de l’apesanteur », nous embarque et nous enchante du début à la fin

Pour Daniel cette année sera marquée d’une pierre blanche. S’il ne se passe pas grand chose dans sa ville de province, une échéance importante l’attend : le baccalauréat. Si cet examen devrait être une formalité pour lui qui est en terminale C, celle des cracks, il n’en redoute pas moins l’échéance, car depuis quelques temps ses priorités ne sont plus dirigées vers ses cours mais plutôt vers ses amis et ses amours.
Son copain Marc est obnubilé par Sandrine Moynot. Mais il désespéré de la voir succomber au charme de Thomas Mathieu quand ce dernier se présente avec un plâtre et des béquilles après un accident de moto.
Son autre poste, Justin, tente de localiser le point G à l’aide de calculs savants : « Regarde, tu mesures la fille sur le dessin, ensuite tu mesures la taille du sexe, mettons que la fille mesure un mètre soixante, hop, règle de trois, et tu as la taille réelle du vagin ». Conclusion triomphante de Justin : « ça passe tranquille ». Une formule d’un romantisme fou.
Et pour Daniel il y a Cathy Mourier. Leur histoire avait duré exactement deux mois et dix-sept jours avant qu’elle ne succombe au charme inexplicable de Gilles Rouquet. Depuis, Daniel rumine, évite de la croiser dans les couloirs, écoute en boucle Quelque chose dans mon cœur d’Elsa.
Pour la séduire, il s’était inventé des passions : Le Cercle des poètes disparus, film culte ? C’était son film préféré. Sting et son dernier album ? Il le vénérait. Mandela et la lutte contre l’apartheid ? Il avait même peint son visage sur la porte de sa chambre. Sauf que le pochoir avait glissé, donnant un résultat abstrait ressemblant davantage à l’acteur Jean Lefebvre. Ce qui lui vaut les moqueries de son frère, qui « était dans sa période hard-rock, en phase pousse de cheveux, une sorte de mulet mal ajusté, à mi-chemin entre le chauffeur routier et le gardien de but allemand. »
Son quotidien qui va être bouleversé lorsqu’il accepte de donner des cours de maths à Béatrice Rigaux. Car cinquante francs de l’heure, c’est tentant. Même si chez les Rigaux, rien n’est ordinaire. La mère instaure un rituel troublant : « À peine Béatrice avait-elle franchi la porte que madame Rigaux m’a attrapé la tête, l’a plongée entre ses seins, et l’a frénétiquement secouée dans tous les sens. J’avais le visage écrasé contre sa poitrine, manquant de perdre mon souffle. »
Le père n’est pas en reste : Daniel le surprend dans une position scabreuse avec la jeune prof de piano et découvre une étrange collection de coupures de presse dans un dossier parlant de la disparition du lycéen Félicien Lubac.
L’auteur va faire son miel de cette confrontation entre milieux sociaux. D’un côté, la famille modeste de Daniel où la mère range le linge pile au moment des baisers avec Cathy. De l’autre, la villa des Rigaux sur les hauteurs de la ville, leurs codes bourgeois. Cette fracture sociale traverse tout le roman, à l’image de Thomas Mathieu et sa bande, qui portent du Chevignon et du Lacoste authentiques quand Daniel et ses amis se contentent de « Chevignos » et « Lagoste » achetés vingt-cinq francs au marché.
Le roman fourmille de détails qui ressuscitent la fin des années 80. La bande-son – de MC Hammer à Paul Simon en passant par 99 Luftballons – nous replonge dans cette époque. Les références culturelles fusent : Michel Sardou en couverture de Télé 7 Jours, les céréales du petit-déjeuner, la mobylette 103 sport abandonnée au garage comme « une vieille dame à qui plus personne ne rend visite ».
Fabrice Caro ancre son récit dans la mémoire collective, la nostalgie d’une époque révolue, en l’illustrant de faits d’arme inoubliables, comme cette soirée qui dégénère : « Renaud Delmas a vomi dans la bouche de Stéphanie Blondel, Olivier Garnier a pissé dans le ficus de entrée, Paul Féraut et Nassim Benameur ont passé des coups de fil au hasard en se faisant passer pour des flics dans le cadre d’un trafic international de vibromasseurs, Christel Bassoul et Hélène Pérez ont exécuté une chorégraphie impeccablement synchronisée sur U Can’t Touch This de MC Hammer pendant que Paul Abbes et Rémi Laporte les singeaient à côté, José Marini et sa copine qu’on ne connaissait pas se sont enfermés dans une des chambres pour baiser, deux ou trois curieux écoutaient, l’oreille collée à la porte, Vincent Guérin répétait en boucle Ils niquent ils niquent en faisant, incrédule, des allers-retours dans le couloir les mains sur la tête comme devant une occasion manquée dans un match de foot, Carole Lavigne fait tourner une fiole de poppers qu’elle avait rapportée de Barcelone, Nancy Barral a sniffé et a fait une crise de spasmophilie, je ne sais plus qui a essayé d’appeler le SAMU, il est tombé sur une vieille dame à moitié sourde qui a menacé d’appeler les flics, Marie Marceau hurlait à tue-tête… »
Mais ce qui reste le plus étonnant, c’est que la mort est très présente dans ce roman burlesque, rappelant que derrière les rires se cachent les premières grandes prises de conscience de l’âge adulte. Dès les premières pages, Nicolas Morin se tue en voiture. Puis viennent les obsèques de l’oncle et ce constat : « Les enterrements sont des moments où tout ressort, où le lien humain apparaît nu, à l’os ».
Fabrice Caro, qui s’est imposé comme l’un des romanciers les plus drôles de notre époque avec – pour ne citer que ses dernières œuvres – Journal d’un scénario et Fort Alamo, prouve une fois encore son talent pour croquer notre époque avec tendresse et dérision.
Son roman nous embarque et nous enchante du début à la fin. La version audio, magnifiée par le comédien Jérémy Lopez, mérite une mention spéciale. Il rend avec une justesse de ton remarquable le caractère savoureux du texte, transformant chaque réplique en petit bijou d’humour.
Henri-Charles Dahlem
- Les derniers jours de l’apesanteur Fabrice Caro. Éditions Gallimard Coll. Sygne. Roman 216 p., 20 €. Paru le 14/08/2025

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A propos de l’auteur

Fabrice Caro a publié près de quarante bandes dessinées, dont le fameux Zaï zaï zaï zaï et les plus récents albums d’Astérix. Il est aussi l’auteur de six romans parus aux Éditions Gallimard : Figurec (2006), Le discours (2018), Broadway (2020), Samouraï (2022), Journal d’un scénario (2023) et Fort Alamo (2024). (Source : Éditions Gallimard, coll. Sygne)





