Sortie cinéma/« Coup de chance ». Woody Allen aime la France et adore Paris. Rien de surprenant, donc, de voir son dernier film tourné directement en français, avec des acteurs français.« COUP DE CHANCE » (ce mercredi 27 septembre sur les écrans) commence par un marivaudage avant de virer au suspense, avec comme thème une obsession qui a souvent guidé le réalisateur new-yorkais dans ses 49 films précédents: le rôle majeur que le hasard et la chance tiennent dans nos vies.
Fanny (Lou de Laâge) et Jean (Melvil Poupaud) ont tout du couple idéal: épanouis dans leur vie professionnelle (elle travaille pour un commissaire priseur, il est conseiller financier), financièrement très à l’aise, ils habitent un magnifique appartement dans les beaux quartiers de Paris.
Ils semblent amoureux comme au premier jour. Tout juste se plaint-elle de passer parfois pour « une femme trophée » aux yeux des amis de son mari, qu’elle n’apprécie pas tous –dans les soirées mondaines, les dîners en ville et les week-ends de chasse et de randonnée dans les superbes résidences secondaires à la campagne.
Première faille
Une petite faille dans ce couple presque parfait apparaît quand Fanny croise par hasard, avenue Montaigne, Alain (Niels Schneider), un ancien camarade du lycée français de New York. Il est écrivain, ne roule pas sur l’or, lui avoue qu’il a toujours été amoureux d’elle et lui fait la cour.
Ils se revoient régulièrement pour déjeuner d’un sandwich sur les bancs des jardins publics ou dans la petite garçonnière que loue Alain. Vont-ils coucher ensemble? C’est le premier suspense du film. Ce ne sera pas le seul, quand va apparaître la vraie nature de Jean, jaloux, possessif et aux affaires louches, et quand va débarquer de New York, comme un chien dans un jeu de quilles, la mère de Fanny (Valérie Lemercier)…
Thriller habilement tourné
Ce changement de rythme et d’intérêt de l’histoire, à mi-film, fait virer celui-ci de pièce de boulevard mondaine à thriller habilement tourné, le tout habillé d’humour sur fond de jazz. On pense aux deux films que Woody Allen tourna à Londres, MATCH POINT (2005) pour le suspense et SCOOP (2006) pour le maillot de bain une-pièce de Scarlett Johansson à la piscine –une scène renouvelée ici avec Lou de Laâge.
Pour le reste, comme c’était le cas pour Saint-Sébastien dans son précédent film « RIFKIN’S FESTIVAL » sorti en 2022, Woody Allen adresse une carte postale glamour de Paris (cafés, restaurants chics, jardins et parcs, fleuristes, antiquaires, beaux quartiers). Les imposantes maisons de campagne, en lisière de forêts, ne sont pas mal non plus.
Mots d’auteur
Le réalisateur, qui n’apparaît plus dans ses films depuis « TO ROME WITH LOVE » en 2012, multiplie aussi les mots d’auteur, dans la bouche de ses personnages (principalement Niels Schneider): « On ne sort pas indemne d’un divorce »; « On est tous à la merci du hasard et des coïncidences »; « La vie est une grande farce tragique »; « On voudrait tout vouloir contrôler mais en réalité on ne contrôle pas grand-chose »; « Il n’y a pas de génie supérieur à celui de la poésie »; « Il y a des gens qui sont incapables de prendre des décisions »; « L’existence de chaque personne sur cette terre est un miracle qui déjoue les probabilités les plus insensées »; « On a de la chance d’avoir des femmes aussi belles »; « Il n’est pas joli, joli, notre monde, mais quand certaines personnes meurent, il s’améliore »; « C’est la vie: on mange, on dort, on vite, on meurt »; « L’amour est une affaire très compliquée, le cœur est sans pitié ». Parfois, on dirait du Lelouch…
Francophilie
Après avoir filmé quelques scènes à Paris dans « TOUT LE MONDE DIT I LOVE YOU » en 1996, Woody Allen avait sublimé la capitale française dans « MINUIT À PARIS » en 2011. Pour « COUP DE CHANCE », il a donc franchi une étape supplémentaire dans sa francophilie en tournant entièrement en français, pour la première fois. « Je ne parle pas très bien français, et je le comprends encore moins, mais en finissant le scénario, je me suis dit que ce serait une expérience formidable de tourner en français », explique-t-il.
Il s’en tire plutôt bien (même si son légendaire humour juif new-yorkais est le grand absent du film), et les acteurs français aussi (notamment Valérie Lemercier dans ses dialogues avec Lou de Laâge). Parmi les acteurs connus, Elsa Zylberstein, Guillaume de Tonquédec et Grégory Gadebois ont de petits rôles.
Beaucoup de liberté
Le réalisateur dit avoir laissé beaucoup de liberté à ses acteurs français: « Je tenais à ce que les acteurs s’approprient les dialogues et parlent comme n’importe quels Français », dit-il. « Ils n’étaient pas obligés de respecter le script à la lettre: ils pouvaient improviser et s’exprimer naturellement, comme ils l’auraient fait dans un contexte comparable. C’est en leur laissant cette marge de manœuvre qu’ils sont aussi bons ».
Ce 50e film de Woody Allen, 87 ans, est loin d’être le meilleur, mais ce n’est pas le plus mauvais. Si l’on est en terrain connu et pas passionnant (riches intellos et badinages amoureux) dans la première moitié, le double suspense de la seconde partie du film est finement mené, avec une fin certes un peu prévisible mais amusante.
Et, en résumé du film, l’accent est mis sur « le rôle immense joué par le hasard et l’importance d’avoir de la chance » (c’est la dernière phrase du film), comme l’explique le réalisateur new-yorkais: « Personnellement, je suis convaincu que la chance joue un bien plus grand rôle que ce qu’en pensent la plupart des gens: ils estiment qu’avec de la discipline, du travail et de la concentration, ils peuvent maîtriser le cours de leur existence. Mais ce n’est que partiellement vrai, même si c’est une perspective assez troublante ».
Jean-Michel Comte
LA PHRASE : « Trop sexy, ça n’existe pas. C’est comme trop riche« (Melvin Poupaud à Lou de Laâge).
- A voir : « COUP DE CHANCE » (France/Grande-Bretagne, 1h36) Réalisation: Woody Allen. Avec Lou de Laâge, Melvil Poupaud, Niels Schneider (Sortie 27 septembre 2023)
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