les ombres persanes
"Les ombres persanes" : Bita (Taraneh Alidoosti) et Jalal (Navid Mohammadzadeh) n'étaient pas faits pour se rencontrer, mais sont comme les clones de leurs conjoints respectifs (©Films Boutique/Majid Film/Dark Precursor/Diaphana).

Sortie cinéma. Parfois le destin se trompe, ou bégaie. À Téhéran, un homme et une femme découvrent par hasard qu’un autre couple leur ressemble trait pour trait: c’est le scénario troublant du film « LES OMBRES PERSANES », un thriller psychologique et social à la limite du fantastique, sur les écrans ce mercredi 19 juillet.


« Les ombres persanes » : Le suspense, la tension, le mystère sont illustrés par une réalisation de Mani Haghighi très maîtrisée


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« Les ombres persanes » : Taraneh Alidoosti (c) (©Films Boutique/Majid Film/Dark Precursor/Diaphana).

Le film commence par une scène choc et violente qu’on ne comprend pas (un homme en tabasse un autre dans un couloir), mais dont la signification viendra plus tard. Puis la longue scène suivante, un embouteillage sous une pluie battante, introduit le personnage de Farzaneh (Taraneh Alidoosti), monitrice d’auto-école en train de donner une leçon de conduite.

Sous l’averse

Sous l’averse, elle aperçoit un homme qui ressemble à son mari Jalal (Navid Mohammadzadeh), censé passer la journée hors de la ville, à plusieurs centaines de kilomètres, pour ses affaires. Il monte dans l’autobus, elle le suit et le voit entrer dans un immeuble puis, par la fenêtre, parler avec une femme.

Le lendemain, elle interroge son mari qui lui jure que ce n’était pas lui. Après enquête, avec l’aide du père de Jalal, le couple va découvrir l’existence d’un autre couple, physiquement identique: des doubles, des sosies, des clones…

Quatuor improbable

L’homme et la femme de cet autre couple, Mohsen et Bita, qui ont un fils de sept ans, leur ressemblent mais n’ont pas les mêmes caractères. Jalal est doux et compréhensif alors que Mohsen est violent et arrogant. Farzaneh, enceinte de trois mois, est déprimée et subit l’usure de son couple, alors que Bita est souriante et dynamique.

Dans ce quatuor improbable, c’est entre Jalal et Bita que vont naître peu à peu des liens, à l’insu des deux autres. Cette situation étrange et troublante va donner lieu à une manipulation, puis à des relations plus compliquées susceptibles de virer au drame…

Différences de comportements

Le thème du double est un sujet vu et revu à de nombreuses reprises dans le cinéma. Dans « Les ombres persanes », c’est la différence des comportements des quatre personnages et du fonctionnement des deux couples qui nourrit, tout au long de l’histoire, l’idée de départ: « Découvrir qu’il existe une autre version de vous et qu’elle s’avère meilleure ou plus épanouissante que celle que vous expérimentez fait basculer le récit dans le fantastique », explique le réalisateur, Mani Haghighi.

« Je ne voulais pas faire un film expérimental comme mes précédents. Je souhaitais, au contraire, faire à la fois un film fantastique, social, et un thriller psychologique. Sans sacrifier pour autant le côté philosophique et abstrait du propos », ajoute-t-il.

Suspense, tension, mystère

Le suspense, la tension, le mystère sont illustrés par une réalisation très maîtrisée, avec des images en clair-obscur, une pénombre parfois interrompue par une violente lumière (néons, téléviseur, éclairs), des ellipses, des hors-champs, un montage qui laisse la place à des interrogations, et surtout une pluie omniprésente, quasi continue pendant tout le film et presque personnage à part entière, « comme si le cœur de l’histoire n’était qu’une infime conséquence collatérale d’un problème beaucoup plus grand. Comme si l’univers tout entier était déréglé », explique Mani Haghighi.



Les deux acteurs qui jouent les quatre rôles sont formidables, notamment dans leurs comportements différents, même si on arrive à les distinguer par d’infimes détails (chevelure, vêtements). Et deux autres personnages, le père de Jalal et le fils de Mohsen et Bita, jouent un rôle important dans l’histoire.

Message politique

Qui dit cinéma iranien dit message politique, souvent. Ici le mystère de l’histoire et l’atmosphère de thriller, quoique bien ancrés dans le réel de la société iranienne, l’emportent largement sur des sujets qui ne sont pas abordés de front, à peine évoqués en toile de fond: condition de la femme, emprise des religieux, toute-puissance des autorités, différences de classes sociales, liberté d’expression, avenir de la jeunesse.

Mais « il serait inutile de nier que ce film est politique à sa manière. Pas de façon affirmée mais subliminale », dit le réalisateur, qui a eu des ennuis avec les autorités de son pays l’an dernier, interdit de quitter l’Iran pour aller présenter son film à Londres.

Double sens

Mais l’intention de donner un double sens à cette histoire singulière est là, dit-il, « avec ce qu’il se passe en Iran, pays de religion fondamentaliste. Un système qui ne dit au fond qu’une seule chose: vous n’avez pas d’autre alternative que celle définie par le pouvoir et la croyance. C’est comme ça et pas autrement. Or l’idée du double ouvre justement la question de l’alternative. Ce n’est pas une copie de vous, bien au contraire. C’est vous, vivant et expérimentant une autre existence ». Cette réflexion politico-philosophique n’est pas le moindre des charmes de ce film iranien déroutant et passionnant.

Jean-Michel Comte

LA PHRASE : « T’en fais pas, c’est qu’un rêve » (le fils de Mohsen à son père, qu’il surprend en larmes en pleine nuit, sans comprendre pourquoi).


  • A voir : « LES OMBRES PERSANES » (« Subtraction ») (Iran, 1h47) Réalisation: Mani Haghighi. Avec Taraneh Alidoosti, Navid Mohammadzadeh, Esmail Poor-Reza (Sortie 19 juillet 2023)

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