« L’Inconnu de la Grande Arche »: portrait d’un architecte idéaliste

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"L'Inconnu de la Grande Arche" : L'architecte danois Johan Otto von Spreckelsen (Claes Bang, à gauche) montre au président François Mitterrand (Michel Fau) la perspective d'alignement Louvre-Concorde-Arc de Triomphe-Grande Arche (©Julien Panie/Agat Films/Le Pacte).

Sortie cinéma. La naissance et le développement du projet de la Grande Arche de la Défense: même pour un documentaire, le sujet n’est pas folichon. Et pourtant le film de fiction L’INCONNU DE LA GRANDE ARCHE (mercredi 5 novembre sur les écrans), centré sur l’architecte danois à l’origine du projet, est captivant.

« L’inconnu de la Grande Arche » : un film captivant centré sur l’architecte danois à l’origine du projet

En 1983, quand il ouvre l’enveloppe contenant le nom du vainqueur du concours anonyme et international destiné à désigner l’architecte du projet « Tête-Défense », le président François Mitterrand (Michel Fau) est comme tout le monde: surpris. Car c’est un inconnu, Johan Otto von Spreckelsen, un Danois de 53 ans, qui l’emporte.

Dans l’entourage présidentiel, c’est un peu la panique. On appelle l’ambassade du Danemark pour prévenir l’heureux élu. « C’est incroyable, personne ne connaît ce type », s’exclame un conseiller.

Cube

Quelques jours plus tard, Spreckelsen tient sa première conférence de presse à Paris: « J’ai construit ma maison et quatre églises » (deux chapelles catholiques, deux églises protestantes), explique-t-il aux journalistes. Et le voici désormais propulsé à la tête du plus grand chantier de l’époque.

On ne parle pas alors de Grande Arche mais de « Cube »: l’architecte danois a une idée précise de ce qu’il veut construire. Aidée par sa femme Liv, Spreckelsen (Sidse Babett Knudsen et Claes Bang) va vite se heurter à la complexité du réel et aux aléas de la politique.

Contraintes

Maniaque des détails, rétif au travail sur ordinateur, exigeant, tatillon, têtu, intransigeant, capricieux voire colérique, l’homme va lutter pied à pied contre les contraintes administratives, techniques et politiques, symbolisées par deux hommes: le conseiller spécial du président, Jean-Louis Subilon, et l’architecte français qui le seconde, Paul Andreu (Xavier Dolan et Swann Arlaud).



Jusqu’au bout Spreckelsen n’en démordra pas et défendra ses idées sur ce projet architectural hors du commun, malgré les obstacles et difficultés. « Le Cube est l’œuvre de ma vie », répètera-t-il à plusieurs reprises…

Inspiré du livre de Laurence Cossé

« Ce qui m’intéresse chez Spreckelsen, c’est qu’il se bat pour ses idées. J’admire à quel point il défend ce qu’il estime être essentiel. Pour autant il ne parvient pas à composer avec le réel. Jusqu’où peut-on faire des compromis? À partir de quand s’agit-il de compromissions? C’est cette tension-là qui m’intéressait, elle est au coeur de tout processus de création », explique le réalisateur, Stéphane Demoustier, qui s’est inspiré en partie du roman-document de Laurence Cossé La Grande Arche (Ed. Gallimard) paru en 2016.

Comme le livre, le film est une fiction mais basée sur des faits et des personnages réels. « Ce film est une création librement inspirée de faits réels survenus entre 1983 et 1987. Le rôle attribué à l’épouse de l’architecte, les situations de vies privées et les dialogues relèvent de la fiction », précise un carton dès le générique de début.

Personnes réelles

Le personnage de la femme de l’architecte, Liv, est en effet développé dans le film au-delà de ce qu’il a peut-être été dans la réalité. Mais les personnages interprétés par un Xavier Dolan étonnant et par Swann Arlaud s’inspirent de personnes réelles: Jean-Louis Subilon est un mélange de deux dirigeants de la société d’économie mixte Tête-Défense, Jean-Louis Subileau et Robert Lion, et l’architecte Paul Andreu est celui qui a construit le terminal-1 circulaire de l’aéroport de Roissy.

Accompagnant et enveloppant l’acteur danois Claes Bang, impeccable avec son petit air de Pierce Brosnan, ses costumes et chaussettes-sandales, et son caractère bien trempé, c’est l’Architecture elle-même, avec un grand A, qui est le personnage principal du film: maquettes, dessins, chantier (que Mitterrand visite, en bottes dans la boue) et projet d’envergure que les enjeux financiers et les jeux de pouvoir viennent menacer.

Architecture et cinéma

Rien d’étonnant à cela: Stéphane Demoustier, 48 ans, s’y connaît. Il a commencé sa carrière au ministère de la Culture, dans le département de l’Architecture, où il a produit et réalisé des documentaires et films de commande pour le Pavillon de l’Arsenal et la Cité de l’Architecture.

« Ça a été ma formation de cinéaste: je n’ai pas fait d’école, mais j’ai beaucoup appris en filmant des bâtiments, parfois des quartiers, et en interviewant des architectes », raconte-t-il. « J’ai développé un intérêt pour l’architecture et les questions esthétiques et sociales qu’elle charrie. L’architecture a en commun avec le cinéma d’être un art du prototype, avec une mise en oeuvre collective et industrielle ».

Sorte de biopic

Il est ensuite passé au cinéma de fiction, L’INCONNU DE LA GRANDE ARCHE est son 4e long-métrage après TERRE BATTUE (2014), LA FILLE AU BRACELET (2019, dans lequel jouait sa petite sœur Anaïs Demoustier) et récemment BORGO (2024), tous trois tirés de faits divers réels.

Sorte de biopic sur cet architecte danois inconnu, mêlant histoire récente, création artistique et références politiques, L’INCONNU DE LA GRANDE ARCHE aborde un sujet original. Dire que le film est passionnant serait peut-être légèrement exagéré, mais il est intéressant, séduisant, instructif, prenant, avec même un semblant de suspense sur la fin.

Et pourtant on la connaît, la fin: le « Cube » de Johan Otto von Spreckelsen a été inauguré par François Mitterrand le 14 juillet 1989, pour le bicentenaire de la Révolution, deux ans après la mort de l’architecte danois, décédé à Copenhague en 1987.

Jean-Michel Comte

LA PHRASE : « Si c’est urgent, prenez votre temps » (proverbe chinois que cite l’architecte Pei, créateur de la Pyramide du Louvre, lors d’une rencontre avec Spreckelsen).


  • L’Inconnu De La Grande Arche (France, 1h37). Réalisation: Stéphane Demoustier. Avec Claes Bang, Sidse Babett Knudsen, Michel Fau (Sortie 5 novembre 2025)
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