Télé. Alors que le Festival de la bande dessinée d’Angoulême s’ouvre jeudi 17 mars, Culturebox propose le jour de l’inauguration dès 20:25 une spéciale BD de « Culturebox, l’émission » réalisée en duplex et une soirée thématique dédiée, dès 21.10. L’occasion de découvrir le très beau documentaire portrait « Enki Bilal souvenirs du futur » mettant en lumière le travail de cet artiste majeur de la bande dessinée, suivi du concert dessiné d’Hugh Coltman et Juanjo Guarnido, inédit à la télévision. A voir sur France 4 (canal 14).
« Enki Bilal souvenirs du futur » à voir ce soir sur Culturebox
« Le véritable travail de création, c’est une affaire de lâcher prise » dit Enki Bilal en ouverture de «Souvenirs du Futur». Un documentaire à découvrir ce soir dans « Culturebox, l’émission » où on le voit travailler dans son atelier à la conception du deuxième volet de son roman graphique « Bug », dont le premier tome est paru en 2017. Une histoire futuriste qui se passe en 2041, où cet artiste majeur de la bande dessinée imagine un monde paralysé par une immense panne informatique entraînant un chao gigantesque.
« Bug » est née d’une idée qui s’est imposée à lui « sans doute, parce qu’on baigne tous trop dans le numérique » raconte-il dans « Enki Bilal souvenirs du futur » : « on est devenu des esclaves de nos IPhone, de nos tablettes, de nos ordinateurs. J’ai pensé : « mais si on était privé de tous ces outils qu’on nous a imposés et auxquels on s’est attachés de manière presque trop déraisonnable. C’est comme ça que c’est parti ».
L’artiste qui réalise toutes ses œuvres à la main inscrivant son trait entre passé et futur en un geste de transmission, explique comment il travaille à partir d’un simple crayonné, qu’il peint ensuite à l’acrylique, à la gouache ou au pastel. Des œuvres scannées puis montées sur ordinateur qui lui permet de visualiser le récit dans son ensemble et voir le rendu tel qu’il apparaîtra dans les pages de l’album:
« Le monde d’Enki, c’est à la fois sa vision, comme nous tous d’ailleurs gens de science-fiction, sur le futur possible, mais avec une technique, un univers de touche, de peinture, de regard, qui fait que la chose continue et ça c’est admirable » explique le dessinateur et scénariste de BD Philippe Druillet « là, nous sommes devant une page blanche sur laquelle nous inventons un monde ».
Pour Serge Lemoine, historien de l’art : « ce qui est intéressant dans le travail d’Enki Bilal c’est que bien sûr, on a affaire à un auteur, mais aussi à une véritable œuvre. C’est vraiment tout à fait étonnant comment il créé des ambiances. Ce qui est intéressant c’est de voir qu’il privilégie le dessin, la création artistique proprement dite ».
Tous sont admiratifs de l’œuvre d’Enki Bila. Bastien Vivès, jeune dessinateur et scénariste de BD de la nouvelle génération, voit d’abord en lui le peintre avant le dessinateur : «je pense que si Bilal était né 100 ans avant, il n’aurait jamais fait de la bande dessinée, il aurait fait de la peinture directement »
Enki Bilal est l’un des rares créateurs de BD à avoir réussi à franchir les frontières. Il garde ainsi un grand souvenir de l’exposition itinérante de sa série « Oxymore » à New-York en 2012, qui lui a permis de découvrir ses toiles sous un nouveau jour. « Je considère qu’un tableau ne doit jamais être terminé. A partir du moment où on franchi un certain cap, on bascule dans quelque chose qui ferme le tableau. Il faut qu’il reste ouvert ».
Cette manière de faire très ouverte de tableaux donnant l’impression d’être en cours de réalisation, comme a pu le faire un artiste comme Basquiat qu’il aime beaucoup ou encore Francis Bacon et sa technique de brouillage des lignes, lui procure une grande sensation de liberté, « cela produit quelque chose de dynamique et de très positif » souligne-t-il.
Né à Belgrade en ex-Yougoslavie, arrivé à paris en 1961, il s’est tout de suite intéressé à la science-fiction dessinant ses premières planches pour le mythique magazine de BD Pilote des années 1970 dirigé par René Gosciny, avant d’évoluer vers un univers plus politique et historique. A l’image de son album « Partie de chasse » qui fait écho à l’histoire du bloc de l’Est, dont les personnages évoluent dans un monde finissant.
«J’ai commencé par la ligne claire, le dessin à l’encre de chine classique, et à un moment j’ai commencé à travailler sur des volumes, pas mal intéressé par Gustave Doré, un des graveurs que j’ai énormément regardé et cela a débouché sur l’envie de peindre. C’est un dessinateur qui avait renoncé à faire des dessins cernés pour essayer de travailler dan la matière. Et avant la peinture, j’ai commencé à travailler la hachure » confie Enki Bilal.
Artiste polymorphe au croisement de la BD, du cinéma et de l’art contemporain, ses différentes expériences lui auront beaucoup appris sur sa personnalité et sa propre réflexion sur son art qu’il a toujours voulu libre de toute chapelle : «Ce que je sais c’est que je suis moi-même » explique-t-il : « J’essaie d’être le plus disponible pour ma passion : un temps elle peut se trouver dans la peinture, dans le cinéma. C’est une chance exceptionnelle, j’en suis parfaitement conscient. En même temps, j’en profite le plus possible pour créer ».
Victor Hache