Interview/ Eric Bouvron. Au Festival Off d’Avignon nous avons admiré et présenté dans We Culte plusieurs spectacles mis en scène par Eric Bouvron. C’était « Lawrence d’Arabie » en 2021, « Braconniers » et « Accordzéâm – La Truite » en 2023 et « Paris-Istanbul, dernier appel » en 2024. Cette année nous avons pu rencontrer le metteur en scène à l’ombre des arbres du Théâtre des Halles dont Bouvron est un habitué. Cette année il participait à l’inauguration d’un nouveau lieu du Off dans le cadre d’une programmation du Mois Molière de Versailles. Nous avons parlé avec lui de son travail de metteur en scène, un échange passionnant.
Comment définiriez-vous votre travail de metteur en scène ?
Eric Bouvron : Je prends le cadre limité de la scène pour raconter des histoires. J’aime les mots, la danse, les chorégraphies. Le spectacle vivant c’est ce que j’aime le plus car on est avec les gens, on vit ensemble. Quand je mets en scène, je pense à un livre. Un livre c’est du papier et de l’encre et en le lisant, c’est le lecteur qui fait tout le travail. Moi je suis celui qui ouvre ce livre et qui trace un passage vers l’imaginaire du spectateur.
Comment avez vous construit la mise en scène de « Paris-Istanbul » ?
Eric Bouvron : Pour « Paris-Istanbul », comme pour toutes mes œuvres, je ne me limite pas dans l’écriture à des espaces. Une fois que j’ai l’histoire c’est avec les acteurs que je la transpose sur scène. On a en main les dialogues et les situations. Ensuite avec les corps des actrices en face de moi, dans un espace vide, on va trouver les clés qui vont déclencher l’imaginaire du spectateur. Il faut trouver des astuces, une métaphore ou une stylisation. Tout ce travail, je l’ai appris avec le temps, la danse, le sport. Grâce à des rencontres, des stages de théâtre No et à des maîtres qui m’ont guidé comme Peter Brook et Ariane Mnouchkine.
Je suis en face de la comédienne et je lui dis « c’est toi qui va faire le mari ». « Je ne suis pas un homme » me dit-elle. Je lui réponds alors « l’imaginaire du spectateur, il suffit de lui donner l’ouverture pour qu’il te croit ». Une fois qu’il a saisi le code, on peut l’emmener où on veut. Miro le faisait dans la peinture. Il disait « c’est trop réel ; si je le fais avec une virgule, c’est l’homme, avec la ligne droite, c’est la femme. Et après je fais mon histoire sur le tableau ». C’est ce qui est fabuleux pour nous les humains, cette capacité à plonger avec notre imaginaire.
Pour « Paris-Istanbul » j’avais avec moi trois femmes de trois générations. Il suffisait alors de trouver les codes pour qu’elles deviennent homme, femme ou animal et que le spectateur y croit aussi. Pour y arriver on fait comme les enfants. On joue dans le monde du faire semblant. On est dans un bac à sable et on joue.
Se limiter à trois actrices est-ce un choix artistique ou une obligation économique ?
Eric Bouvron : Pour cette histoire c’était le choix le plus juste. « Lawrence d’Arabie », je ne pouvais pas le montrer avec trois acteurs. L’ampleur de l’histoire nécessitait un travail choral. Pour « Paris Istanbul » c’est Sedef Ecer qui voulait travailler avec moi et j’avais l’idée de l’associer à deux autres femmes. C’était pour moi une histoire pour trois femmes.
Parlez-nous de « Les passionnés du rêve », votre compagnie ?
Eric Bouvron : C’est plus une structure qu’une compagnie. Elle a été créée par Patricia Barthélémy et j’en suis le directeur artistique. C’est seulement l’équipe administrative qui est permanente. Pour la production je travaille avec Barefoot Productions. J’assure également la direction artistique de cette société dont Elizabeth Brownhill, mon épouse, est la patronne.
Je ne vais pas faire toutes mes créations avec les mêmes artistes. C’est cruel, une création. C’est comme une famille qui se soude mais quand la création a vécu son chemin, on se dit au revoir. C’est l’éphémère dans son état sublime en quelque sorte.
Votre travail aurait-il sa place dans le festival In d’Avignon ?
Eric Bouvron : Je n’ai pas accès aux personnes qui dirigent le In car je suis labellisé « privé ». En réalité je suis entre les deux eaux. Je suis dans les eaux troubles me dit Alain Timar le directeur du Théâtre des Halles à Avignon.
En France on met les gens dans des boîtes. J’ai vécu l’apartheid en Afrique du Sud. En France je vois une sorte d’apartheid dans le monde culturel. Pourquoi en tant qu’artiste et créateur je n’ai pas accès aux moyens qui sont attribués au théâtre public ? Dans mon travail je touche un peu à tout : le one man show comique, le clown, Shakespeare, la danse classique. Je participe quand même au Mois Molière présent à Avignon. Il est organisé par le maire de Versailles qui en est le directeur artistique.
Quelqu’un va payer une place et je lui offre une histoire qui je l’espère le fera grandir comme il m’a fait grandir. « Lawrence d’Arabie » me permet de mieux comprendre le monde. J’ai envie que les gens montent dans un blockbuster théâtral et se disent « on a voyagé, on a appris des choses, on a ri ou pleuré ».
Rendez-vous l’année prochaine au Off d’Avignon ?
Eric Bouvron : L’année prochaine c’est « Cléopâtre, La Reine Louve » avec 8 comédiennes et comédiens et 3 musiciens. Il y aura également « Un songe d’une nuit d’été », une création avec Lakadémie, une compagnie de la Réunion où j’interviens très régulièrement dans le cadre du grand festival Komidi. .
Entretien réalisé par Yves Le Pape