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Thameur Mejri : l'artiste-peintre expose au Musée d’Art Contemporain (MAC) de Lyon jusqu’au 10 (Photo) Firas Ben Khelifa

Exposition. Thameur Mejri expose au Musée d’Art Contemporain (MAC) de Lyon jusqu’au 10 juillet 2022. Cet artiste-peintre tunisien y présente des toiles réalisées pour la plupart en 2020 et 2021 ainsi que trois œuvres qu’il a conçues lors de sa résidence au MAC début 2022.


Thameur Mejri : le dessin de la subversion et le plaisir de la peinture


Thameur Mejri est né en 1982 à Tunis, il vit et travaille à Nabeul (Tunisie). Après une première exposition personnelle à Tunis en 2010, il a exposé à Abu Dhabi, Londres, Accra et New York. Il a participé également à de nombreuses expositions collectives aux Etats-Unis et en Afrique. Cette présentation lyonnaise est sa première exposition personnelle en France et la première qui soit organisée dans un musée en Europe.

Thameur Mejri associe dans chacun de ses tableaux des formes dessinées d’une grande violence et une peinture faite de couleurs vives et apaisantes. Le dessin évoque les luttes et les corps à corps, le sexe masculin et la mort. Rencontre dans les locaux du Musée d’art contemporain (MAC) de Lyon avec un artiste d’une grande simplicité, chaleureux et attachant. Il parle sans hésitation de ses engagements picturaux et nous présente sans langue de bois ce qu’il critique de la société dans laquelle il vit.

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Thameur Mejri. DR

Comment êtes-vous devenu peintre ?

Thameur Mejri : Je suis né en 1982 à Tunis. Nous sommes trois frères, et nous travaillons tous trois dans le domaine de l’art. Mon frère aîné est cinéaste et mon jeune frère, photographe, vit à Lyon. A 5 ou 6 ans j’ai découvert chez mon oncle l’atelier de l’artiste et la peinture. Ma mère m’y emmenait avec elle et j’étais fasciné par la posture de l’artiste, tous ses tableaux accrochés, l’odeur de la peinture à l’huile, la couleur et je me suis dit que je voulais devenir peintre comme mon oncle. Je ne savais pas ce qu’était un artiste car en Tunisie on n’a pas de musées des beaux-arts. A cette époque, il y avait très peu de galeries de peintures.

Quels sont les peintres qui vous ont marqué ?

Pendant mes études aux Beaux-Arts de Tunis, j’ai étudié l’art occidental. Mon inspiration vient donc aussi bien de Léonard de Vinci, Raphaël, Grünewald que de Picasso, les surréalistes, Francis Bacon et Vladimir Velickovic. Dès 2004 j’ai essayé de travailler de façon à avoir mon propre langage esthétique. Entre 2006 et 2008 je me suis consacré au cinéma aux côtés de mon frère avec qui nous avons réalisé des courts-métrages expérimentaux. Nous avons été primé à Los Angeles en 2007 comme meilleur court-métrage expérimental. Notre travail était un hommage au cinéma des années 80 et 90, celui de Cronenberg, Carpenter, David Lynch, des cinéastes qui avaient une approche prémonitoire de l’évolution de notre société.

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Thameur Mejri : « The Walking Target », 2020 Acrylique, fusain et pastel sur toile. 180 × 150 cm Courtesy de l’artiste et Selma Feriani Gallery, Tunis/Londres

Les changements qui sont intervenus en Tunisie ont-ils eu une influence sur votre parcours ?

Avant la Révolution je faisais déjà ce que je voulais. Ma première exposition personnelle en Tunisie c’était en 2010 et elle était intitulée « Mâle (dieu) épouvantail ». J’évoquais déjà cette tendance masculine, phallocratique, patriarcale et islamiste de la société tunisienne.. Cette exposition s’est bien passée, car je critiquais la structure même de la société dans ses profondeurs, mais pas les acteurs eux-mêmes.



Une pièce de théâtre ou un film aurait sans doute créé plus de problèmes. Les arts plastiques sont dans le domaine de l’image et l’accès à la peinture était alors très élitiste. Certes la représentation des corps n’est pas autorisée dans l’imaginaire collectif. La peinture figurative reste donc une discipline tabou, mais la société tolère les artistes. La peinture n’est pas ancrée dans notre culture. C’est quelque chose d’étranger. L’artiste doit faire avec. Mais le danger c’est que si la société cesse d’être tolérante aucune forme d’art ne sera plus possible.

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Thameur Mejri : Œuvre créé par Thameur Mejri pendant sa résidence au Mac de LYON : « Hope 3 » (Espoir 3), 2022. Acrylique, fusain, pastel et crayon sur toile 450 × 550 cm. Courtesy de l’artiste et Selma Feriani Gallery, Tunis/Londres/ Photo : Blaise Adilon

L’artiste est donc toléré ?

Ce qui est sûr c’est que nous ne sommes pas protégés par l’Etat. J’ai été affecté émotionnellement par les évènements qu’a connus la Tunisie. Mais, quand je travaille dans mon atelier, je ne pense pas au politique. Je dégage tout ce qui est émotionnel en moi, les traumatismes, la vulnérabilité, la haine, la revanche, les doutes, mes choix d’homme en tant que père, de partenaire. Il y a aussi la sexualité, le désir, la libido, les phantasmes, les contradictions de l’homme et la mort. La remise en question et la contestation du religieux est fondamentale dans mes tableaux. En Tunisie l’approche de la politique est encore religieuse. Elle n’est ni laïque ni rationnelle et il n’y a pas de conscience historique dans la culture arabo-musulmane.

Ces tableaux sont-ils représentatifs d’une période particulière de votre parcours ?

Dans ces tableaux il y a une tendance bleue et une tendance rouge. C’est le contraste dans l’imaginaire de ma société où il y a toujours une dualité entre le paradis et l’enfer. Le rouge c’est l’enfer et le paradis c’est le bleu. C’est aussi le feu et l’eau que l’on retrouve toujours dans nos phantasmes. La récompense c’est le paradis et le châtiment c’est le rouge de l’enfer.

Pourquoi les femmes sont-elles absentes de vos oeuvres ?

Je n’ai aucun problème avec le corps de la femme. En tant qu’artiste issu d’une culture arabo-musulmane, je dois déconstruire le mâle pour pouvoir libérer la femme. C’est la perception qu’en ont les hommes qui est erronée, car elle est pleine de complexes, de tabous et de violence. Si la femme n’est pas encore complètement émancipée c’est parce que l’homme ne l’est pas lui-même. La société est phallocrate et patriarcale, la religion méprise la femme. Il faut donc détruire et construire autre chose. C’est aussi vrai partout dans le monde, où la femme n’est pas responsable des guerres, de la violence, de la pédophilie. J’ai parfois honte de ma société. Dans mon atelier je détruis donc cette image de l’homme arabo-musulman, mais également celle du mâle en général.

Vous sources d’inspiration sont-elles exclusivement occidentales ?

Je travaille en effet contre les références à l’art tunisien. Les peintres y faisaient, pour les touristes, une peinture folklorique, exotique et orientaliste. Je m’inspire donc de la culture occidentale, du cinéma américain, des mangas et des jeux vidéo japonais. Je suis un produit de cette globalisation de la culture et de l’économie.



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Thameur Mejri : Œuvre créé par Thameur Mejri pendant sa résidence au Mac de LYON : « Hope 1 » (Espoir 1), 2022. Acrylique, fusain, pastel et crayon sur toile 475 × 400 cm. Courtesy de l’artiste et Selma Feriani Gallery, Tunis/Londres. Photo : Blaise Adilon

S’exprimer avec son seul héritage est une approche orientaliste qui serait en fait raciste. Mais on n’a pas de référence possible à une peinture figurative dans l’histoire de l’art islamique et arabe. Il faut remonter à l’époque de l’antiquité pour la retrouver. Nos ancêtres carthaginois, romains, byzantins faisaient de la mosaïque, représentaient leur quotidien, les femmes, les hommes, la fête. C’est cet héritage qui légitime mon travail aujourd’hui. Je ne me limite donc pas à la seule phase arabo-musulmane, une phase relativement récente qui n’a d’ailleurs que 1500 ans.

Quelle place accordez-vous à la couleur dans votre travail ?

J’aime la couleur, la manipuler. Je commence par profaner la toile blanche avec des taches de peinture et ensuite il y a un va-et-vient entre dessin et peinture. Et puis, si le discours est fort et subversif, pourquoi ne pas le présenter aussi d’une façon agréable à l’œil.

Ma peinture me sert aussi de thérapie personnelle pour exorciser tous les traumatismes. J’existe à travers la peinture. Je suis quelqu’un de tragique, mais j’aime la vie. C’est aussi l’influence de ma fille qui a 8 ans. Elle a complètement changé mon approche de la vie et mon propre univers.

Entretien réalisé par Yves Le Pape

  • A voir : Exposition « Thameur Mejri.Jusqu’à ce que s’effondrent mes veines (Etats d’urgence) », jusqu’au 10 julllet 2022 au Musée d’Art Contemporain. Cité Internationale, 81 quai Charles De Gaulle, 69006 Lyon

 

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