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Alex Beaupain réinterprète dans son intégralité "Love on the beat", l'album culte de Serge Gainsbourg (c) Maxime Ballesteros

Interview/Musique. Alex Beaupain est de retour avec le sulfureux « Love on the beat », un album hommage à la mémoire de Serge Gainsbourg, à l’occasion des 30 ans de sa disparition. Un disque culte paru en 1984, où le provocateur Gainsbarre joue avec le love, la poésie et les fantasmes, que Beaupain a interprété en live le 23 janvier 2022, lors de la première édition de l’Hyper Week-end Festival. Un concert exceptionnel donné à l’Auditorium de la Maison de la Radio et de la Musique capté par Culturebox, en présence de nombreux invités, Clotilde Hesme, Miossec, Alain Chamfort, Françoise Fabian, Adrien Gallo, Clou, La Grande Sophie, Gaspard Thomas… accompagnés par les cordes de l’Orchestre CODE, arrangées par Valentine Duteil. Une création à voir mercredi 6 avril sur France 4 – 21:10. 

Il fallait un certain culot et une bonne dose d’amour pour la chanson pour oser se lancer dans l’aventure. C’est pourtant ce qu’a fait de manière sensible Alex Beaupain, grand admirateur de l’œuvre de Serge Gainsbourg, qui a souhaité reprendre dans son intégralité « Love On the Beat ». Un album sulfureux et poétique paru en 1984, qu’il a découvert quand il avait dix ans, dont il garde une trace indélébile. C’est le Gainsbarre provocateur, celui des mots crus, obscènes, érotiques, qu’explore ici Beaupain, sans surinterpréter ses textes. « Je ne voulais pas en faire des tonnes » nous confie le chanteur qui a préféré s’en tenir à une interprétation la plus simple possible et être le medium d’un registre écrasant à bien des égards. Rencontre.


Alex Beaupain : « Reprendre Gainsbourg était un fantasme »


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Alex Beaupain : pochette de l’album « Love on the beat »

Pourquoi vouloir reprendre « Love on the beat » ?

Alex Beaupain : C’est un vieux fantasme. J’ai entendu ces chansons pour la première fois quand j’avais dix ans. C’est le premier album qui m’est arrivé en 1984, d’un Gainsbourg en fin de carrière, qui était déjà Gainsbarre. A partir de 15 ans, j’ai découvert l’ensemble de son œuvre, en commençant par « Le poinçonneur des Lilas », « Melody Nelson » etc… « Love on The Beat » est un disque que j’ai mis longtemps à redécouvrir, vers l’âge de 20-21 ans. J’ai toujours considéré qu’il était un peu mésestimé, mal-aimé, parce qu’on considère que c’est la fin, qu’il est un peu paresseux au niveau des textes, qu’il y a des facilités. C’est un album que j’aime parce qu’il raconte quelque chose de Gainsbourg, comme artiste et comme personnage, qu’on n’a pas forcément perçu à l’époque. C’est simplement des raisons sentimentales qui font que j’avais envie de le rependre. Peut-être aussi qu’il est plus facile de recréer quelque chose à partir de ce disque, qu’avec des albums aussi parfaits que « Histoire de Melody Nelson » ou « l’Homme à Tête de chou », qui sont des chefs-d’œuvre.

Vous étiez enfant quand vous avez entendu pour la première fois l’album. Vous parlez d’excitation et de stupeur à l’écoute de ces chansons…

Alex Beaupain : J’étais même choqué, enfant, et en même temps excité. Il y a évidemment une attirance pour l’interdit, les choses qui vous heurtent, vous bousculent. La pochette de l’album m’attirait aussi. Enfant, je ne comprenais pas que c’était Gainsbourg travesti, je voyais juste une femme un peu étrange, dont je me demandais qui elle était. Cela me faisait un peu peur et en même temps cela m’attirait. Ce sont les premiers émois, où on ne comprend pas tout ce qu’on écoute ou qu’on regarde. Mais cela laisse des traces durables. Je crois que je suis resté un garçon très poli dans mes textes, dans la façon que j’ai d’envisager la chanson. Justement, il y a un petit pas de côté d’aborder ces moments de l’œuvre de Gainsbourg. C’est comment on le fait sans le singer, sans tomber dans quelque chose d’un peu ridicule du garçon gentil qui veut dire tout à coup des gros mots, en n’évitant pas les textes, que je reprends intégralement et la musique et ce que cela raconte et charrie…il y a là une difficulté qui m’intéressait.



Une manière de nous plonger dans la modernité de son approche artistique ?

Alex Beaupain : C’est se dire aujourd’hui, peut-on encore chanter ces textes-là et ces chansons ? Cela pose des questions que moi-même j’entends. Le texte le plus compliqué pour moi, c’est « No Comment » parce qu’il charrie une attitude de Gainsbourg qui est très Gainsbarre, très mâle alpha, empreint d’une espèce de misogynie, d’assurance. En même temps, j’ai l’impression que c’est une chanson où il joue un personnage jusqu’à la caricature en nous expliquant que si on lui demande des choses intimes, il répondra « No comment ». Je trouve intéressante cette pudeur dans le texte. Rechanter ce répertoire, c’est affirmer que les chansons, les livres ou les films ne sont pas là pour dire la morale. Aujourd’hui, on a de plus en plus de mal à établir une distance. On a l’impression que les chanteurs sont obligés d’être ce qu’ils sont dans leurs chansons. Cela appauvri énormément la création. Si l’on accepte que l’on joue un personnage, c’est le terrain de la fiction, que je trouve intéressant. A partir du moment où on est au clair avec ce qu’on défend et pourquoi on le fait, pour moi, il est possible d’écrire des textes provocateurs. Dans certaines chansons d’amour que j’ai écrites, je me suis permis d’être un peu cynique, méchant. « Après moi le déluge » dit, « non seulement je te quitte, mais en plus je ne  veux pas que tu rencontres quelqu’un après moi. » C’est atroce de  dire cela. Il y des chansons où je me suis mis en situation de soumission. Même dans le cadre de la chanson d’amour, je trouve intéressant d’aller explorer des choses qui ne nous mettent pas forcément en valeur, comme être humain

Quel regard portez-vous sur « Love On The Beat », où Gainsbourg joue avec le love, le beat, les mots crus et les images pornographiques…

Alex Beaupain : C’est un mélange de tous les Gainsbourg et de Gainsbarre qui est apparu depuis les albums reggae. C’est le Gainsbourg extrêmement sensible qui a été quitté par Jane Birkin qui chante une chanson suicidaire comme « Sorry Angel ». C’est en même temps le Gainsbourg érotique qui devient pornographique avec « Love On The Beat ». C’est le Gainsbourg qui se dit « qu’est-ce que je pourrais approcher comme nouveaux territoires dans mes textes ? «  et écrit des chansons clairement homosexuelles. C’est le Gainsbourg qui se nourrit de sa propre légende et se dit « j’avais écrit « Harley Davidson » pour Brigitte Bardot, je vais en faire en détournement un peu grivois avec « Harley David Son Of A Bitch ». C’est aussi le Gainsbourg qui dit très précisément « l’amour que nous ne ferons jamais ensemble » mais qui aime très profondément sa fille, veut la faire chanter et en même temps, qui est fou de Chopin et reprend ses mélodies pour en faire une chanson. Au milieu de tout cela, il y a tous les Gainsbourg possibles sur des musiques qui sont dans l’air du temps, qu’il va chercher à New-York. On se rend compte que comme artiste et comme homme, il est multiple, complexe.



Comment avez-vous abordé son interprétation ?

Alex Beaupain : Le personnage est tellement écrasant, que la première question que je me suis posée a été : « est-ce que quelqu’un d’autre que lui peut rependre ses chansons et est-ce que cela a un intérêt ? ». J’ai beaucoup cherché, douté. Le meilleur moyen de livrer ces textes, c’était de les vivre comme une espèce de medium. J’ai voulu que la voix soit belle, agréable, présente, proche et mixée en avant. Mais, je n’ai pas voulu en faire des tonnes. Cela donne une interprétation qu’on peut juger un peu blanche, désincarnée. J’ai voulu en faire le moins possible. C’est la manière que j’ai eue de me sortir de ces interrogations. Et puis, il y a l’orchestre et les cordes derrière, qui suffisent déjà à en faire quelque chose de lyrique, de romanesque.

Entretien réalisé par Victor Hache

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