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Bande dessinée. Alors que s’ouvre jeudi 30 janvier le 47ème Festival International de la BD d’Angoulême, nous avons croisé la route et le regard d’Emmanuel Lepage un auteur de bande dessinée au parcours à la fois classique et tellement hors norme.

C’est là le talent incroyable d’Emmanuel Lepage : être touchant, être bienveillant avec celles et ceux qu’il dessine. Que ce soient des personnes réelles ou des personnages de fictions, chaque sujet fait l’objet d’un traitement graphique soigné et d’une personnalité chaleureuse

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Emmanuel Lepage ©La Presse d’Armor

Que peut-on trouver dans les yeux clairs d’un breton ? De l’eau salée aux parfums étranges, des étincelles mélangées aux souvenirs éteints et surtout une soif de découvrir. Emmanuel Lepage se destinait à construire des vaisseaux de pierre et de béton pour abriter nos corps des intempéries. Mais le destin fait parfois basculer les envies. C’est finalement au cœur de nos âmes que son travail d’auteur complet de bande dessinée trouve sa juste place. Attentif aux hommes, sensible à la nature qui nous entoure, ce voyageur passionné possède une bibliographie dense et qualitative. Encore coiffé de son « Grand Boum 2018 » *, il revient avec plaisir sur quelques éléments marquants de son chemin entre gouaches et pastels.

Le goût des rencontres

Emmanuel Lepage : « Adresse-toi à tes lecteurs comme à des amis intelligents »

Le parcours d’Emmanuel Lepage débute en bande dessinée à l’âge où beaucoup de ses camarades de jeux ne s’intéressaient qu’aux petites voitures et aux billes. Toute sa carrière a été jalonnée de rencontres déterminantes. Ainsi, il a 13 ans lorsqu’il apprend les rudiments du métier des conseils avisés de Jean-Claude Fournier. Ce dessinateur avait lui-même reçu de précieuses leçons de Franquin et fait donc entrer le jeune Emmanuel dans une prestigieuse lignée. Les heures de travail portent leurs fruits, puisque, à peine quatre ans plus tard, Lepage voit son premier dessin publié dans Ouest France.

En dehors de la Bretagne, il fait une autre rencontre déterminante, à Blois, plus exactement. En 1990, il croise le regard et les stylos de Christian Rossi. « Il a une technique incroyable, une maîtrise formidable de son art ». Emmanuel Lepage se nourrit de ces apprentissages, de ces échanges. Il aime croiser des gens « adultes  » ceux qui savent réfléchir, argumenter.

Les scientifiques répondent selon lui à ces critères. Il va les côtoyer dans un de ses projets dessiné. Pour pouvoir embarquer à bord du Marion Dufresne, navire ravitailleur des terres australes, il doit faire de son voyage une bande dessinée, raconter une histoire. Alors, à l’inverse de ce qu’il a l’habitude de faire, il dessine tout ce qu’il observe, sans trame narrative, sans structure de récit. Il rentre avec 150 dessins et croquis. Mais les hommes et les femmes dont il a partagé le quotidien dans ces territoires vont lui dicter malgré eux une belle histoire. Et c’est là le talent incroyable d’Emmanuel Lepage : être touchant, être bienveillant avec celles et ceux qu’il dessine. Que ce soient des personnes réelles ou des personnages de fictions, chaque sujet fait l’objet d’un traitement graphique soigné et d’une personnalité chaleureuse. Parce qu’il aime faire plaisir à ses lecteurs, il a fait sienne la phrase que Cavana aimait à rappeler aux chroniqueurs de Charlie Hebdo : « Adresse-toi à tes lecteurs comme à des amis intelligents. »

emmanuel lepageEntre doutes et travail solitaire de l’auteur

Emmanuel Lepage: « Je pense que je suis un imposteur »

Ses études d’architecte lui ont donné le goût de l’observation. Ses croquis essaient toujours de retranscrire la façon dont les gens vivent dans l’espace qu’on leur confie. Bien plus que la perspective, c’est cette notion qu’il souhaite développer dans ses livres. Même lorsqu’il est dans les plaines irradiées de Tchernobyl, ce sont les habitants, les fantômes qui guident ses émotions.

Le doute fait partie des sentiments qu’il éprouve souvent. Face à une planche, une case ou parfois même un livre, il éprouve la sensation que tout le monde va voir ses faiblesses, ses lacunes. « Je pense que je suis un imposteur parce que quelques fois, il me faut trois heures pour résoudre un problème rencontré sur un dessin. » La solitude dans ces moments-là n’est pas la meilleure conseillère. Et il le sait bien que son métier est un travail de solitude. « Il n’y a que dans les festivals de BD que l’on se croise, que l’on échange. Le reste du temps on est seul face à ses planches. » Le monde de la bande dessinée est pris en étau entre créativité et industrie. « Un projet est contraint tout autant par les idées qu’il faut avoir, développer, dessiner et les délais fixés par les éditeurs. » Mais ces doutes sont balayés par le vent de la passion qui anime toujours Emmanuel Lepage.

Le dessin, une passion

Emmanuel Lepage: « Je ne suis jamais plus heureux que lorsque je dessine »

En disant cette phrase, le visage de l’élégant quinqua s’illumine. Il sait que son art est exigeant, physique, épuisant, mais c’est la meilleure façon qu’il a trouvé de s’exprimer. Au-delà des mots et des histoires, ce sont les dessins qui lui montrent la route. S’il aime Norman Rockwel dont il a pu observer le travail dans ses originaux tout récemment, il affectionne et admire aussi la peinture abstraite. Il aime vibrer sur une texture, des lignes ou même une couleur.

Emmanuel Lepage: « Le bleu cobalt, c’est une émotion physique, sensuelle et nostalgique »

emmanuel le page bdMais il sait que le dessin, la BD n’est qu’un véhicule qui permet de voyager dans des contrées inexplorées. « Dessiner, c’est une quête. C’est merveilleux que de pouvoir se dire j’y suis allé, j’ai voyagé en ces territoires. » C’est certainement pour cela qu’Emmanuel Lepage affectionne tant dessiner la nature. Représenter la mer, la montagne lui parait simple. Il peut même faire le lien entre figuratif et abstrait. Ainsi, certains de ses océans ne prennent leur dimension marine qu’à partir du moment où il plante un phare dans le décor. Avant, il est parfois difficile de tenir le dessin dans le bon sens. Le détail donne la clé: « Ce qui m’intéresse c’est de raconter des histoires par le dessin. »

Ses histoires sont multiples, ses ouvrages remplissent les étagères de lecteurs qui parfois ne sont venus à la bande dessinée que grâce à ses ouvrages. Ses voyages réels (Voyage aux îles de la désolation, La lune est blanche, Un printemps à Tchernobyl, Ar-Men) ou imaginaires (Les voyages d’Anna, les voyages d’Ulysse, les voyages de Jules) ont tous une démarche artistique exigeante. Les lecteurs le ressentent et le lui rendent bien.

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Emmanuel Lepage et notre journaliste Christophe Ravet

Son regard est tourné aujourd’hui vers un nouvel album. Ni reportage, ni fiction, mais plutôt un témoignage de son enfance, de ce cadre de vie qui lui a permis de devenir le brillant dessinateur, l’humble raconteur d’histoire mais surtout cet homme curieux de la nature humaine. Le travail est en cours. Il sera lumineux et sincère, à l’image de son auteur.

Texte Christophe Ravet

* « Grand Boum » est le prix décerné par le festival de BD de Blois à l’auteur qui présidera l’édition suivante.

Bibliographie sélective :

Ed DUPUIS: Muchacho T1 et T2 (Aire Libre);  Ed FUTUROPOLIS: Voyage aux îles de la Désolation, Un printemps à Tchernobyl , La Lune est blanche , Ar-Men, Ed Daniel MAGHEN : Les voyages d’Anna , Les voyages d’Ulysse, Les voyages de Jules

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